LETTRE OUVERTE AU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Excellence, Monsieur le Président de la
République,
Nous voici au terme de la transition instaurée par
vous-même ce jour de mars de l’an 2002 mettant fin aux
galères des centrafricains avant de rétablir l’ordre
constitutionnel suspendu pour les circonstances.
Je viens réitérer ma gratitude à forte raison
qu’on ne juge pas par sa propre incapacité à gérer, un
peuple indigne d’égards pour le frapper après. Même les
plus radicaux des démocrates centrafricains qui n’étaient
en cesse de rêver de la démission d’un pouvoir dont les
dirigeants n’ont le moindre malaise moral à dormir
paisiblement sur la dépouille mortelle des populations,
cauchemardaient à la limite. Cent cinquante morts de misère par
jour, c’est un tsunami qui ne dit pas sont nom.
L’occasion de passage à Paris de
l’archevêque de Bangui en mission prospective peu de temps
avant la chute du régime m’avait permis d’émouvoir
tout un auditoire lorsque je clamais haut et fort que « la
démocratie ne se mesure pas par une arrivée aux Affaires
démocratiquement. Devant l’événement funeste d’une
telle ampleur, ne pas vouloir prendre de risque c’est être
sûr de faire l’erreur. Plutôt tenter d’éviter
l’erreur que d’être sûr d’en commettre. Car on
ne peut pas être en totale opposition avec un régime violent et
rejeter la réponse adaptée à donner à cette violence. Nous
devons saisir l’opportunité de l’action que mène le
Général BOZIZE pour l’encourager à stopper la souffrance
permanente de nos parents ».
Mon Général, si je me réjouis à vous voir un
jour là ou vous êtes cela ne vous surprend pas. Lors d’une
réunion précédant la finalisation de votre endurance ça
n’est pas par hasard que j’avais lâché « Mon
Général allez-y, vous réussirez mais faites gaffe, il y a de
la prédation dans l’air ».
Lorsque je me dis que votre présence aux affaires a
tout son mérite, je le justifie par des faits concrets.
D’abord sur le plan assez personnel
Après vous avoir eu comme instructeur sous les
drapeaux, je garde de votre enseignement deux mots qui vous
revenaient très souvent à la bouche et qui m’avaient servi
jusqu’à ce jour de maxime « courage et
objectivité ».
Jeune fonctionnaire mais responsable d’un grand
service de votre département ministériel, à tout moment si je
ne recevais pas à mon bureau la visite de la gendarmerie pour
audition, c’était celle du Commissariat
« Port » pour le motif. Parce qu’à chaque
manif, j’abandonnais discrètement le Service pour me fondre
dans les jeunes étudiants soucieux de leur avenir que je
soutenais. Ajouté à cela, mon Centre Spécial pour la
Préparation des Examens (CSPE) qui faisait décrocher le bac
toutes séries et le BEPC à mes élèves dont certains sont
aujourd’hui de hauts cadres. Même pour un "b a"
le Secrétariat Général à l’Education Nationale fait
fermer le Centre parce qu’on me suspectait de récupération
politique. Mais jamais une seule fois vous ne me convoquiez pour
en parler, si ce ne sont de rares séances de travail à
l’occasion desquelles vous me serriez la main comme tout le
monde mais en esquissant pour moi juste un sourire expressif,
comme si « petit nous souffrons des mêmes maux mais nos
statuts sont différents ». Peu de temps après, ce fut
votre chemin de l’exil.
Déjà bien avant tout cela vous aviez fait preuve
de courage et de sang froid extraordinaire d’être au bord
du lynchage dans toute une foule d’étudiants en
effervescence sans le moindre geste de votre part en direction de
votre PA, ce risque rien que leur éviter l’affrontement
avec vos hommes prêts à tout mais tenus à distance. Ensuite
vous aviez pris le gros risque pour vous opposer à l’ordre
de l’ancien monarque d’embraser la bretelle Nord Est de
Bangui.
Aujourd’hui encore sans votre intervention à
très haut risque nous n’en serions pas aux choix
d’autres hommes. Ce que je ne comprends pas de mes
compatriotes, vous-même vous êtes déjà présenté
démocratiquement à l’élection présidentielle. Vous
l’auriez remportée ce jour là, je me demande bien en quoi
cela changerait au trait de caractère d’un militaire que
vous êtes sinon l’homme tout court ! Est-il concevable
qu’un homme de votre parcours mute aussi cruellement tel
qu’on voudrait vous le prêter ?
A propos et dans tous les débats publics voire le
collectif des centrafricains dont je suis l'un des animateurs,
j’ai toujours émis plutôt que de condamner le Président
Bozzé, c’est l’entourage ethno parental ou la mouvance
présidentielle qu’il faudrait vivement mettre en garde. Car
dans ce type de situation l’homogénéité parentale ou
ethnique s’enferme très souvent dans sa tête.
Excellence Monsieur le Président
Si vous me demandez aujourd’hui ma définition du cadre transitoire, je répondrais que déjà cette transition est une transition avortée. Non pas par votre faute avec l’équipe gouvernementale. Trois Premiers Ministres successifs pas les moindres, si ça n’a pas pris, il y a un problème. Je comprends que lorsqu’il y a rien à gérer, il est normal que les gens s’agitent. Moi j’attendais la régularité du versement de salaire, ne fusse une aide extérieure à titre de complément de nos maigres recettes nationales. Car le salaire reste d’entrée de jeu la seule alternative qui devrait créer un semblant de retour à la vie économique, ce qui pourrait évacuer une partie de la haine qui nous habite, qui nous divise.
La transition a été minée dès le départ. Tout
ce que vous avez reçu comme aide n’était que du
symbolique, une aide de principe, comme si toutes les puissantes
organisations internationales y compris de grands pays amis et
l’ONU avaient accordé leurs notes refusant l’ordre
moral et humanitaire devant un pays où des généraux français
étaient confrontés à nos jeunes soldats qui ne laissaient
aucun répit. Un pays où le salaire n’était plus payé. Un
pays où l’école n’ouvrait plus ses portes. Un pays
où le grand malade préfère s’éteindre dans les bras des
siens que d’aller expirer au mouroir appelé hôpital
dépourvu de soins. Un pays où la pucelle était confondue avec
la prostituée (que mes sœurs me pardonnent cet appelatif
non encore établi chez nous). L’opacification du noir qui a
enveloppé la RCA avait attiré tous les feux de projection pour
tenter de comprendre cette spécificité. Au lieu de regarder la
disparition de tout un peuple, on avait plutôt limité ce regard
aux rangers du militaire Bozizé, sachant bien que s’il
existe des généraux psychopathes, il y a aussi des généraux
lucides. Mais c’est la terre qui nourrit tout (les sages et
les fous).
Mon Général,
Vous êtes victime de votre popularité pour avoir
délivré votre peuple de la géhenne alors qu’en prenant
des risques vous n’aviez pas attendu cela pour ne pas dire
vouloir. Déjà d’humeur à parler peu et de surcroît
militaire, cela a suffit pour pénaliser le peuple centrafricain.
Ajouté à cela, la question d’engagement non tenu suspecté
depuis très longtemps a hypothéqué la transition..
S’agit-il d’un manque de
sincérité ? d’un manque de lucidité ou d’une
maladresse ? Je crois que lorsqu’on arrive à
destination en biaisant le pouvoir en place, procédé peu enclin
à l’unanimité surtout sous-régionale et au-delà avec la
pression accrue, on n’est pas loin de ce qui pourrait
apparaître comme de la maladresse dans ses premiers actes et
paroles. J’ajouterais que c’est votre traversée du
désert mesurée dans toutes ses dimensions, liée à votre fort
intérieur, que vous avez franchi le rubicon. Il fallait tout
simplement dresser à votre sortie du cadre transitoire une
opposition forte sans plus. A vous de jouer si vous gagnez mais
avant tout vous devez proclamer haut et fort que vous ne tomberez
pas dans le bourbier de redistribution des postes. Vous
n’avez pas demandé un soutien mais vous ne pouviez pas
refuser un support.
Que les parents, amis et autres sachent unechose. Le
pays appelle un processus de responsabilisation. Vous ne faites
pas dos aux parents mais le moment viendra de penser à eux…
Par contre voilà un monsieur que je ne connais pas,
le Maire de Bangui que tout le monde apprécie même des
étrangers. Si vous en aviez trois ou cinq comme ça à pied
d’œuvre ou autour de vous, le pari serait gagné. Je
lui dois du respect.
Loin d’un culte de personnalité, loin de la
propagande (la campagne étant terminée) le fond de ma lettre
vaut pour tout candidat pouvant remporter cette élection, je dis
ceci
Nous ne sommes pas sortis de l’auberge avec
tout ce qui se tracte ou se dit mon Général avec ou sans vous
demain. Déjà la formule de la séparation de pouvoir me paraît
peu rassurante, et pourtant j’y adhère. Mais telle
qu’elle est conçue c’est source de problème
avecl’issue de la majorité parlementaire. Même au niveau
de la légendaire stratégie unitaire qui a toujours volé en
éclat sur la ligne d’arrivée, la question de logique, la
question de compétence, la question de redevenir simple ministre
alors qu’on était premier ministre etc va diviser.
Pour cette nouvelle situation, je propose un groupe
d’hommes et de femmes déterminés, formant le noyau dur
avec deux ou trois objectifs à atteindre. Autour de ce noyau,
graviteront ceux qui sont capables de s’y adapter ou pas. Un
mini programme commun est suffisant. Par exemple, hormis la
santé et l’Education, un ou deux grands axes économiques
à bitumer (à l’intérieur du pays) sont nécessaires en
attendant de regarder sérieusement les différents secteurs.
Il y a des hommes à qui j’attribuerais le
grade de cadres hors hiérarchie, politiquement parlant bien
entendu.
L’homme de conviction KOYAMBOUNOU malgré sa fougue
Le diplomate professionnel WENEZOUI
L’analyste des études politiques comparées Charles MASSY
Notre ROCARD Maître POUZER Le premier ministre ZIGUELE
plein d’initiatives qui n’avait pas craqué sous son
encombrant patron et du grand gestionnaire reconnu pour sa
rigueur et son labeur. J.P. NGOUPAGE
Je n’oublie pas Madame MOKODOPO qui avait retenu mon
attention particulière (que je ne connais pas non plus).
Moi-même pas assez intelligent pour prétendre à
quoi que ce soit, je dirais tout simplement
« si tous les gars du Centrafrique décidaient un beau matin d’être copains pour partager ensemble leurs espoirs et leurs chagrins »
Je vous remercie
Monsieur le Président.
Nestor
Adoum Issa
Cahier politique
Centrafrique: Cahier événementiel n° 13, Mars 2005-03-09,
Paris.
(mise en ligne: 12 mars 2005)
Actualité Centrafrique de sangonet