La République centrafricaine manque-t-elle des élites pour son développement ?
Regard et point de vue Centrafrique, sangonet, 04 mai 2005 - Au moment où certains pays africains font des avancées remarquables en matière de développement, notre pays ne fait que s’enfoncer de jour en jour dans la précarité et la misère. Ces quinze dernières années sont marquées par des luttes inter ethniques, la destruction des entreprises d’Etat, la corruption abusive dans l’administration, l’amateurisme politique de certains leaders, la mauvaise régulation étatique…
Tous ces maux sont à mon avis, les signes avant coureurs de l’état actuel de la République centrafricaine. Aucun centrafricain ne peut pas dire qu’il a les mains propres face au problème du sous développement de la RCA. J’impute la responsabilité à tous : les hommes politiques, les gouvernements, les intellectuels …
Le développement d’un pays résulte d’une bonne coordination de toutes les forces vives de la nation. Les centrafricains de tout bord doivent savoir que la contribution à l’essor de son pays n’est pas forcément le fait d’être dans un gouvernement ou de créer un parti politique sans un credo et de programmes politiques cohérents, mais la contribution peut aussi se faire en créant des entreprises, des ONG, Associations humanitaires etc. Le constat du retard est très amer et cela nécessite des réflexions profondes.
Où sont donc les intellectuels centrafricains ?
L’intelligentsia centrafricaine doit être le rouleau compresseur du développement, paradoxalement on constate que ce sont ces intellectuels, par leurs théories un peu décalées ou inadaptées aux réalités centrafricaines qui freinent le processus du développement. Ce sont eux qui doivent innover, concevoir et orienter les activités du pays dont l’objectif est la maximisation du bien être de la population. Cette intelligentsia se laisse dominer par les politiques, l’intérêt égoïste, le tribalisme, la corruption… Nous devons prendre conscience pour sortir notre pays du gouffre.
Je me polariserai beaucoup plus sur le rôle des intellectuels de la diaspora centrafricaine et en particulier celle de la France dans ma réflexion. Qu’est ce qu’on constate ? On voit que ces centrafricains vivant à l’étranger ne contribuent pas assez ou pratiquement pas au processus du développement centrafricain et certains détracteurs de cette école du pessimisme absolu tiennent des discours qui honorent pas la fierté nationale (France ayeke kodro ti mbi ce qui signifie la France est mon pays ou encore Mbi ouara kodro ti mbi awè qui veut dire j’ai trouvé mon pays).
Je ne suis pas dans la lignée de ceux qui tiennent ce genre de rhétorique simpliste car si aujourd’hui la France (ou les pays occidentaux) est ce qu’elle est, c’est justement parce que les français ont pris le temps de construire leur pays, et qu’il ne faut pas oublier à l’esprit qu’on est toujours mieux chez soi. La plupart des centrafricains diplômés (Maîtrise, DEA, DESS, Doctorat…) qui vivent en France ne travaillent pas dans leurs profiles de formation. Qu’est ce qu’ils font ? La manutention, la plonge, agent de sécurité etc. sachant qu’avec ces diplômes, ils peuvent travailler en Centrafrique à des postes de responsabilité. Ce qui est plus absurde, certains de ces diplômés manutentionnaires, plongeurs, agents de sécurité … disent qu’ils peuvent rentrer au pays s’ils sont nommés ministre, directeur général, chargé de missions, conseiller.... Or ils oublient qu’il faut des expériences professionnelles pour prétendre à des hautes fonctions de l’Etat. Disant que ce n’est pas de leur faute car ce phénomène d’imitation de l’ancienne génération est à la mode chez les intellectuels centrafricains. Jusqu’où ira-t-on avec ces pratiques mes chers compatriotes ? Qui viendra construire notre pays ? Quand je dis " contribuer ", c’est de mener des actions concrètes pour son pays. Je serai un des fervents défenseurs d’une Emigration centrafricaine positive et j’entends par l’émigration centrafricaine positive, l’action d’œuvrer par des actes concrets et utiles pour le pays. J’illustre mon propos en prenant le cas des étudiants centrafricains qui sont en France. En principe, dès la fin de leurs études, la meilleure des choses c’est de rentrer au bercail pour y travailler ou créer des activités pouvant générer des revenus. Toutes fois, ceux qui ne veulent pas rentrer pour une raison quelconque et qui travaillent dans les pays où ils vivent, ces derniers doivent investir en Centrafrique en créant des PME ou PMI afin d’embaucher les chômeurs centrafricains, ce qui améliorait d’une part la situation sociale des couches de population qui n’ont pas d’emploi et d’autre part d’accroître les entrées fiscales de l’Etat. A mon sens, les maliens et les sénégalais sont d’un certain point de vue un bon exemple de l’émigration positive.
Quelles responsabilités pour les hommes politiques ?
En Centrafrique, une plus grande partie des hommes politiques font de l’amateurisme politique ou la politique du ventre c'est-à-dire qu’ils militent non pas pour l’intérêt national mais plutôt pour leurs propres intérêts égoïstes. Ils manquent de programmes politiques cohérents, de sérieux et de personnalité. L’objectif sous jacent de ces leaders est de faire partie d’un gouvernement ou d’avoir un poste de responsabilité pour s’enrichir. Certains sont des grands théoriciens et semeurs de discordes et ils seront les premiers à s’exiler pour perturber le régime politique qui est au pouvoir, la conséquence ce sont ces centrafricains qu’ils prétendent gouverner qui souffrent de leurs mauvaises actions politiques.
Les partis politiques poussent comme des champignons, à ce jour on compte une quarantaine or si ces leaders créaient des entreprises qui sont légalement reconnues comme ces partis, je pense que le pays n’aura pas assez de problèmes que nous connaissons aujourd’hui.
A cet égard, il faut une nouvelle loi de réglementation des partis politiques. Personnellement, je pense qu’on peut envisager deux pistes de réglementation des partis politiques. La première serait de créer deux grands courants politiques : un qui repose sur une politique libérale et l’autre sur une politique sociale. Les petits partis qui n’ont pas un poids politique mais contribuent au débat républicain vont s’aligner derrière les deux grands en fonction de leurs objectifs. Ce schéma a l’avantage d’éviter la multiplication des partis sans objectifs mais son désavantage est qu’il manque d’originalité parce que c’est un modèle purement occidental (clivage Gauche - Droite) La seconde piste serait de mettre en place une réglementation avec des dispositions restrictives à la création d’un parti politique et de mécanismes de contrôle stricte des partis déjà existants.
Quels rôles pour l’Etat centrafricain ?
A l’heure actuelle où tout est à construire, l’Etat centrafricain doit jouer un rôle central dans le processus du développement. La RCA n’est pas encore au stade d’un libéralisme économique fondamental où le laisser-faire doit conduire au mécanisme d’autorégulation du marché. La main invisible n’est pas encore centrafricain d’où il faut une régulation économique de type keynésien c'est-à-dire que l’Etat doit être au centre de grandes décisions socio politico-économiques. Il doit réguler la vie politique, publique et économique. Politique : Liberté d’opinions des partis politiques, prise en compte des propositions des partis d’opposition, respect des règles du jeu politiques…
Publique : Liberté de presse, garantir la sécurité des biens et des personnes, justice pour tous, respect de droit de l’homme…
Economique : Bonne gouvernance économique, la péréquation de ressources nationales, Bonne gestion des finances publiques …
Il doit aussi mettre en place des politiques incitatives afin d’éviter l’effet Brain Drain (fuite de cerveaux) car ces ressources humaines sont une force de développement.
Certains me poseront la question comment peut on créer une entreprise si on n’a pas le capital ? Comment investir dans un pays où il n’y a pas la sécurité ? Comment peut on créer une entreprise lorsqu’on sait qu’elle sera détruite après un évènement politique ?
Tous ces problèmes sont dus à un manque de volontarisme politique et de coordination des actions de l’Etat. Dès lors que l’Etat (ceux qui gouvernent) arrive à bien réguler la vie politique, publique et économique, tout le reste suivra par effet de boule de neige. Le gouvernement doit prendre aussi ses responsabilités, il y’a évidemment beaucoup d’étudiants centrafricains qui ont fini leurs études en Russie, Maroc, Tunisie, Sénégal, Gabon … qui veulent bien rentrer mais ils ne peuvent pas parce que l’Etat ne paie pas leurs titres de transport pour le retour au pays. En fin de compte le patriotisme s’évade comme une fumée dans l’air.
Je finirai mon analyse par cette phrase : " Le développement de l’Europe et des Etats-Unis n’est pas le fait d’une catallaxie mais c’est par le fruit du travail continu de leur peuple et les centrafricains doivent savoir que le destin de notre pays est entre nos mains. " Réveillons nous et travaillons au lieu de tenir des discours stériles qui enfoncent notre cher et beau pays.
Alexis MOYOUDOKANA
Regard et point de vue Centrafrique, sangonet, 04 mai 2005