Interview de M. Alioune Badiane, directeur régional, Onu Habitat : « Il n’y aura pas de développement durable sans une bonne gestion de l’urbanisation en Afrique »

 

« Pour prévenir la formation des bidonvilles, il faut améliorer la planification urbaine et la disponibilité de terrains équipés autour des pôles de développement ou des centres d’activités industrielles, artisanales ou agricoles dans les villes moyennes pour permettre une installation progressive des nouvelles populations qui arrivent dans les centres urbains, à la recherche d’opportunités d’emplois », préconise M. Alioune Badiane, directeur régional, UNHabitat. « Ces terrains urbains devront être mis à la disposition des populations avec des mécanismes d’assistance financière », poursuit-il dans cette interview accordée au journal électronique de la Bad, La banque qui bouge, en marge des assemblées annuelles de l’institution qui se déroulent à Maputo, au Mozambique, les 14 et 15 mai 2008.

 

Question : En tant que directeur régional de UNHabitat pour l’Afrique et les pays arabes, les activités de votre institution sont au cœur de la thématique des assemblées annuelles du Groupe de la BAD. Quels sont les efforts que vous avez déployés pour vous joindre à la démarche entreprise par le Groupe de la Banque ?

 

Réponse : Il y a quinze ans, en 1993, à la suite du constat que nous avions fait à propos de l’émergence de la question urbaine et du logement en Afrique, nous avons rencontré le président Babacar N’diaye, alors président de la BAD, pour lui faire part de ce besoin impérieux de la première institution financière africaine de s’engager auprès des Etats et des villes africaines pour contribuer à apporter des réponses à ce défi – celui de l’urbanisation et de l’habitat. Cette démarche conduite auprès du président N’diaye a été répétée, tant à son niveau qu’à celui de son successeur, M. Kabbaj. Mais ces présidents se sont heurtés, soit à une impréparation des gouverneurs de la BAD soit à celle des vice-présidents chargés des secteurs et des différents experts. Ceux-ci n’étaient vraiment pas prêts à aborder la question, en dépit de l’existence d’un projet de document de politique urbaine de la BAD – à ma connaissance, jamais approuvé par le conseil d’administration de la BAD. Cette incompréhension ne nous a jamais découragé pour continuer la croisade à l’occasion des opportunités qui nous étaient offertes pour approcher les présidents ainsi que les différents administrateurs. A cette époque, j’étais directeur du programme régional de gestion urbaine pour l’Afrique, basé à Accra, ensuite à Abidjan. En 1995, à la veille du sommet d’Istanbul, organisé par Onu Habitat, nous avons organisé avec la BAD à Abidjan, une conférence africaine sur les questions foncières et le développement des villes en Afrique, dans le but de continuer mon action de sensibilisation de nos partenaires, la BAD en premier. Pour prendre le raccourci de ces initiatives, il y a trois ans, nous avons été approchés par une équipe suédoise, mandatée par la BAD, pour réviser la politique urbaine de 1993. Nous avons, avec plaisir, facilité le travail de cette équipe, tant à Nairobi, en Afrique du Sud qu’au Sénégal, pour rencontrer les experts, les partenaires et les gouvernements, de même que les maires, pour prendre leur point de vue, mesurer leur intérêt à la révision de ce document de politique. L’an passé, à l’invitation de la BAD, nous nous sommes réunis à Tunis, pour apporter notre contribution à la finalisation de ces deux documents : la politique et le plan d’action.

 

Question : Que dit concrètement ce document de politique ?

 

Réponse : Ce document voulait d’abord prendre acte du défi de la croissance urbaine en Afrique, identifier les éléments porteurs de croissance pour appuyer le développement économique, voir le rôle des autorités locales pour une bonne gouvernance des villes, le rôle des Etats et des partenaires au développement, entre autres. Mais surtout, le document voulait savoir quel rôle la BAD devrait jouer dans ce processus, à l’instar de ses pairs, tels que la Banque asiatique de développement ou la Banque interaméricaine de développement, qui se sont engagées sur cette même voie, il y a environ un quart de siècle. Ce document de politique a permis de poser les nouveaux défis urbains qui se posent à l’Afrique et le rôle que la Banque devrait jouer en rapport avec les pays et les partenaires, tels qu’Onu Habitat, la Banque mondiale, l’Union européenne et les différents partenaires bilatéraux qui se sont engagés sur cette voie. Une mention spéciale est à porter à la Suède qui a soutenu cette initiative de révision de la politique urbaine de la Banque africaine de développement. Cette politique urbaine est appuyée par un plan d’action qui, une fois approuvé par le conseil d’administration de la BAD, devra mettre ce programme en œuvre dans les meilleurs délais.

 

Question : Si je comprends bien, c’est la BAD qui a accusé du retard par rapport à cette question urgente?

 

Réponse : Je dirai oui et non, en nuançant mon propos. Dans la mesure où la banque est l’instrument de politique financière et de développement des Etats africains, il appartenait au conseil des gouverneurs d’exprimer les préoccupations des Etats par rapport à cette question de l’urbanisation et de l’habitat. La BAD ayant senti l’importance de la question de l’habitat, elle avait déjà mis en place, depuis longtemps, Shelter Afrique, mécanisme intergouvernemental basé à Nairobi, au Kenya. Certes, la Banque aurait pu utiliser son sens de l’anticipation pour aider les Etats à percevoir le défi auquel ils étaient confrontés, en renforçant sa capacité d’analyse et en finançant des programmes intégrés de développement urbain, en guise de test, pour convaincre les Etats sur la nécessité d’une telle approche. Mais ayant suivi les réticences des uns et des autres, tant au niveau des Etats qu’au sein même de l’institution, une approche sectorielle a prévalu, en finançant, d’une part, l’eau, l’assainissement, les écoles, l’énergie, les routes, de façon sectorielle et non coordonnée. Toutes ces actions pouvaient se retrouver sur un même territoire, d’un pays ou d’une ville, en ayant leur logique séparée. Ceci ne permettait en rien de capitaliser les impacts de ces interventions ou d’atteindre les résultats qu’auraient permis des programmes financés dans un cadre urbain, à moyen et long terme. Il faut toutefois, rendre hommage à l’équipe dirigeante actuelle, à la tête de laquelle se trouve le président Donald Kaberuka, qui a eu le courage et la clairvoyance d’engager ce processus de réforme et de reprise de la politique urbaine de la Banque, tel que cela a été discuté lors de ces assises de Maputo. Nous avons espoir qu’il saura convaincre le conseil d’administration et celui des gouverneurs, pour engager la Banque avec l’aide des partenaires au développement, à fournir, à la fois, le soutien technique institutionnel et financier aux pays africains. Nous, à Onu Habitat, restons disposés à lui apporter toute notre collaboration et notre expertise.

 

Question : Y avait-il une coordination de la Banque dans ces programmes de développement ?

 

Réponse : Non. Dans la mesure où la logique des interventions n’était pas coordonnée, les différents experts dépendaient des départements différents et les financements n’étaient pas faits dans un sens logique. A titre d’exemple, une route se construisait, à la suite l’assainissement était réalisé en cassant la route et l’électricité était mise en place en cassant les tuyaux d’assainissement ! Tout ceci se passe sur un même territoire, d’une ville ou d’un pays. Quel gâchis ! Imaginez les pertes, tant sur le plan économique, financier qu’au niveau de la qualité des ouvrages sans compter l’impossibilité pour la Banque d’évaluer l’impact conjugué de ses différentes opérations sur un même territoire. Chaque projet était évalué séparément, dans la mesure où il était formulé séparément.

 

Question : Est-ce à dire que le Groupe de la Banque fonctionne ainsi depuis sa création en 1964 ?

 

Réponse : Oui. Dans le secteur urbain, la Banque a continué à fonctionner ainsi de façon sectorielle, sans intégrer les programmes de développement. Ce processus d’intégration aurait permis d’élaborer des projets et des programmes sur le moyen et le long terme, en ayant en vue l’amélioration des conditions de vie des populations, tant dans le domaine de l’habitat, de la santé, de l’eau et l’assainissement, de l’énergie, de l’éducation et du développement tout court.

 

Question : Que doit faire la Banque pour rectifier le tir ?

 

Réponse : Il n’y a aucun doute qu’un nouveau chapitre s’est ouvert à Maputo. Car, en acceptant d’organiser le symposium sur le thème « Promouvoir une croissance partagée : urbanisation, inégalités et pauvreté en Afrique », et une table ronde ministérielle ainsi que des discussions de haut niveau, le Groupe de la BAD a enfin compris l’importance du défi de l’urbanisation et souhaite y apporter des réponses. Mais, ceci se fera avec les Etats africains, les maires des villes africaines, les partenaires au développement et les organisations internationales chargées du secteur, telles qu’Onu Habitat, la Banque mondiale et les autres. Nous espérons que dans les mois à venir, en dépit de la forte résistance que pourraient avoir encore certains experts non convaincus, ou certains Etats non préparés, la Banque poursuivra, avec détermination, cette approche en sachant qu’elle doit exercer un leadership dans la recherche des solutions les plus appropriées aux problèmes de développement qui se posent à l’Afrique. Et les problèmes d’habitat et d’urbanisation, de lutte contre la pauvreté, la recherche d’une croissance accélérée de l’économie africaine passeront naturellement par une meilleure gestion urbaine. Il n’y aura pas de développement durable sans une bonne gestion de l’urbanisation en Afrique. Celle-ci contribue à plus de deux tiers de la croissance du PIB, fournit des emplois à forte valeur ajoutée, libère les terres agricoles pour une meilleure productivité, en ouvrant des marchés aux produits agricoles.

 

Question : Un des ateliers organisés autour de la table ronde ministérielle a porté sur la prévention des bidonvilles. Selon vous, comment prévenir les bidonvilles en Afrique et comment améliorer l’existant ?

 

Réponse : Premièrement, il faut améliorer la planification urbaine et la disponibilité de terrains équipés, autour de pôles de développement ou de centres d’activités industrielles, artisanales ou agricoles dans les villes moyennes pour permettre une installation progressive des nouvelles populations qui arrivent dans les centres urbains, à la recherche d’opportunités d’emploi. Ces terrains urbains devront être mis à la disposition des populations avec des mécanismes d’assistance financière comme cela a été le cas en Tunisie dans les années 1970, qui a mis en place, dès son indépendance, un programme d’aménagement du territoire et de planification urbaine, qui aujourd’hui lui a permis d’être le pays africain dans lequel plus de 80% des familles sont propriétaires de leur maison. C’est une politique à émuler et à répliquer dans l’ensemble des pays africains, si nous voulons éviter les bidonvilles et améliorer la qualité de l’habitat et des conditions de vie des populations urbaines.

Pour ce qui est de l’existant, une approche comme celle de l’éradication est certainement à éviter, dans la mesure où les populations démunies de ces bidonvilles sont la plupart du temps sans ressources et vivent dans une précarité absolue. Ces populations paient les services urbains à des prix extrêmement élevés comparés aux couches de populations privilégiées. Elles n’ont pas de sécurité d’occupation, ni d’assainissement et paient l’eau à un coût quinze fois plus élevé qu’à la bonne source.

La politique d’amélioration des bidonvilles devra être une politique concertée avec les populations, organisée dans le temps, sous forme de recasement graduel et de récupération des terrains anciens pour une valorisation qui puisse bénéficier à l’ensemble de la population et l’économie urbaine en général. Il faudra, autant que faire se peut, donner aux populations démunies des bidonvilles la possibilité d’accéder à des sources de crédits et de sécurisation de leurs terrains, pour pouvoir se maintenir sur les sites ou choisir l’option de se déplacer.

 

Interview réalisée par Aristide Agoungnon Ahouassou, unité des relations extérieures et de la communication, a.ahouassou@afdb.org, Tél : +216 71 10 34 14

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