De la volonté politique pour réduire la pauvreté en Afrique

 

ROME, 25 février 2008 (IRIN) - Le manque de volonté politique en matière d'investissements dans le secteur de l'agriculture a compromis les chances qu'avait l'Afrique de réduire de moitié, d'ici à l'an 2015, la pauvreté et la faim qui accablent ses populations, selon un haut responsable des Nations Unies.

 

« Les investissements dans l'agriculture, plus que dans tout autre secteur, génèrent des retours quatre fois plus élevés », a expliqué Kanayo Nwanze, vice-président du Fonds international pour le développement agricole, une agence des Nations Unies qui tente de mettre fin à la pauvreté des populations rurales.

 

« Quelques pays, comme le Ghana, et l'Ouganda, aussi, ont fait de formidables progrès au cours des sept dernières années ; on aurait pu parler du Kenya, également [avant la crise politique actuelle], parmi les pays susceptibles d'atteindre l'OMD 1 [Objectif du millénaire pour le développement qui concerne la réduction de moitié de la pauvreté et de la faim d'ici à 2015] ».

 

Dans les pays en voie de développement, trois personnes pauvres sur quatre - 883 millions - vivaient dans des régions rurales en 2002, selon le Rapport 2008 sur le développement dans le monde : l'Agriculture pour le développement, le rapport phare publié par la Banque mondiale sur l'agriculture en 2007.

 

« La plupart des habitants de ces régions dépendent de l'agriculture comme moyen de subsistance, direct ou indirect. Un secteur agricole plus dynamique et inclusif pourrait donc réduire considérablement la pauvreté des populations rurales, et contribuer ainsi à atteindre l'Objectif du millénaire pour le développement sur la pauvreté et la faim », pouvait-on lire dans le rapport, première analyse de la Banque mondiale sur l'agriculture depuis 1982, qui mentionnait plusieurs réussites pour illustrer son propos, selon lequel les investissements en production alimentaire permettent de réduire la pauvreté.

 

L'Afrique a connu quelques succès, particulièrement au Ghana, où l'agriculture a permis de réduire le taux de pauvreté de 51,7 pour cent en 1991-92 à 39,5 pour cent en 1998-99, puis à 28,5 pour cent. Entre 2001 et 2005, l'agriculture ghanéenne enregistrait une croissance annuelle de 5,7 pour cent, plus rapide que celle du produit intérieur brut global du pays, de 5,2 pour cent.

 

Depuis 2001, la production de cacao par des petits producteurs représente environ 30 pour cent de la croissance agricole, et « le Ghana a également bénéficié de la solide croissance de son secteur horticole (qui représentait près de neuf pour cent de ses exportations totales en 2006), essentiellement grâce à sa production d'ananas », pouvait-on lire dans le rapport de la Banque mondiale. De même, l'Ouganda a adopté des politiques économiques qui ont débouché sur l'essor de sa production caféière.

 

L'Asie présente également bien d'autres exemples de décisions politiques efficaces, prises par les gouvernements pour stimuler la croissance agricole : le Vietnam a mis en place une réforme foncière, ainsi qu'une libéralisation du commerce et des prix ; au Bangladesh, de nouvelles technologies ont engendré une croissance des revenus agricoles et non-agricoles ruraux, et une diminution des prix du riz, l'aliment de base.

 

« L'agriculture a également été au cour d'une réduction massive et sans précédent de la pauvreté rurale en Chine, et de la diminution à long terme, plus lente quoique substantielle [du nombre des populations rurales pauvres] en Inde », soulignait-on dans le rapport de la Banque mondiale.

 

L'Asie récolte actuellement les fruits de la révolution verte des années 1970, une dynamique dont les leaders africains n'ont pas su profiter, selon M. Nwanze. « Regardez l'Inde - dans les années 1960, elle faisait partie des cas désespérés, tandis qu'à la même période, aucun pays africain ne figurait dans la catégorie "insécurité alimentaire". Trente ans plus tard, l'Inde exporte sa production agroalimentaire ; et regardez l'Afrique ».

 

Les gouvernements asiatiques ont fait en sorte que les agriculteurs bénéficient d'une aide financière, et de subventions sur les prix et les intrants. « En Afrique subsaharienne, les gouvernements sont aussi beaucoup intervenus sur les marchés, mais l'agriculture y a été plus taxée que dans d'autres régions - et l'est encore », pouvait-on lire dans le rapport de la Banque mondiale.

 

Bien que le Kenya, le Malawi, la Zambie et le Zimbabwe aient révolutionné le secteur de la production de maïs en utilisant des semences hybrides et des engrais, ces programmes ont été difficiles à maintenir en raison des coûts de marketing élevés, de la ponction fiscale et des chocs climatiques fréquents.

 

Beaucoup à faire

 

Au-delà de la réduction de la pauvreté, l'Afrique doit investir dans l'agriculture car il est prévu que la demande en denrées alimentaires atteigne 100 milliards de dollars américains d'ici à l'an 2015, soit le double de ce qu'elle était en 2000.

 

Le rapport proposait notamment d'améliorer les mesures d'incitation par les prix, d'augmenter la qualité et la quantité des investissements publics ; d'assurer une plus grande efficacité des marchés de produits, un accès efficace à des services financiers et une réduction de la vulnérabilité aux risques non-assurés ; d'améliorer la rentabilité des organisations productrices ; et de promouvoir l'innovation par le biais de la science et de la technologie. L'agriculture doit également devenir plus durable et permettre de fournir des services environnementaux.

 

Dans le cadre de leur rapport conjoint, publié dernièrement, l'université américaine de l'Etat du Michigan et l'Agence américaine d'aide au développement international (USAID) ont tenté d'examiner de plus près les difficultés auxquelles sont confrontés les petits agriculteurs d'Afrique et les raisons pour lesquelles la « révolution verte africaine » ne s'est pas encore produite.

 

« Si de nombreuses exploitations agricoles d'Asie étaient elles aussi très petites au moment de leurs révolutions vertes, bon nombre d'entre elles étaient équipées de systèmes d'irrigation et tiraient meilleur parti de leurs engrais grâce au contrôle de l'eau ; de plus, en Asie, l'année ne compte pas qu'une seule saison des cultures », selon les auteurs du rapport, Thom Jayne, professeur en développement international à l'université du Michigan ; David Mather, qui travaillait auparavant à l'université du Michigan ; et Elliot Mghenyi, de la Banque mondiale.

 

« Ces facteurs ont considérablement amélioré la productivité agricole de l'Asie, et ont en partie compensé les lourdes restrictions foncières auxquelles sont confrontées les petites exploitations. En Afrique, au contraire, la grande majorité des exploitations dépendent de la pluie et il n'y a qu'une seule saison des cultures par an ».

 

« En Afrique, contrairement à ce qui se passe en Asie, le système agricole est très inégal ; il n'est pas homogène, comme en Asie », a également noté M. Nwanze. En effet, en se retirant, les colons ont laissé derrière eux de graves inégalités foncières entre les petits exploitants, les grandes exploitations et les exploitations publiques, sur une grande partie du continent africain, soulignant ainsi la nécessité d'une réforme foncière.

 

Selon le rapport de la Banque mondiale, il faut également développer les infrastructures, dont l'absence a abouti à une augmentation des coûts de transaction et des risques du marché, et investir dans les engrais et les systèmes d'irrigation.

 

En effet, environ 75 pour cent des terres agricoles d'Afrique sont affectées par la surexploitation des nutriments du sol, et en Afrique subsaharienne, seules quatre pour cent des terres agraires sont irriguées, une portion infime par rapport à l'Asie.

 

Autre obstacle : le peu d'investissements dans la recherche et le développement. En matière de céréales, la révolution verte d'Asie a touché le blé et le riz, deux cultures bien irriguées ; l'Afrique subsaharienne, quant à elle, utilise toute une gamme de systèmes agricoles, pour un grand nombre d'aliments de base. Il faudrait donc avoir recours à bon nombre de variétés de cultures améliorées pour pouvoir augmenter la productivité.

 

De plus, les technologies conçues dans d'autres régions du monde n'étant souvent pas directement transférables, il faudrait concevoir des technologies propres à l'Afrique pour améliorer la productivité agricole de la région.

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