Obama,
le Monde et l’Afrique
Le Quotidien :
http://www.lequotidien.sn - 07-11-2008 [la
presse africaine]
Les oracles d’Afrique l’avaient
prédit, Martin Luther King l’avait rêvé, Otis Redding l’avait chanté, le monde
l’espérait, Obama l’a réalisé. Le changement s’est produit. Le 44e président de
l’Etat le plus puissant du monde est bel et bien un Noir, un descendant
d’Afrique dont les racines remontent aux confins de la vallée de l’Omo, berceau
de l’humanité
Investi par le parti
démocrate après une rude compétition interne, Barack Obama réussit à déjouer
tous les stratagèmes de son rival républicain par sa posture consensuelle, sa
vision unificatrice et sa stratégie de campagne millimétrée qui tient d’une
véritable alchimie, portée par un charisme exceptionnel.
Cette victoire
acquise de main de maître, à la faveur de circonstances exceptionnelles, marque
un tournant historique dans la reconnaissance de l’identité noire et laisse
entrevoir des possibilités d’évolutions majeures aussi bien dans la politique
intérieure américaine que dans la gestion des affaires du monde et de l’Afrique
en particulier.
Il ne fait aucun doute
que la consécration d’Obama fait remonter à la surface de nos consciences, le
souvenir toujours vivace des héros des combats pour la dignité de l’homme noir,
qui ont permis, par leurs luttes successives, de rendre possible l’option
aujourd’hui établie, qu’un Noir puisse accéder à la magistrature suprême de
l’Amérique impériale. Cette réalisation marque incontestablement une rupture
face à l’obstacle épistémologique érigé par cinq siècles de préjugés tenaces, de
falsifications historiques constantes, qui ont fini par imprégner les
consciences et délimiter les frontières des compétences en fonction de la
«race» : aux uns ? les vertus primaires de la force physique, et
toutes les connotations que cela comporte, et aux autres la finesse de
l’intellect. C’est sans doute cette rupture qu’entrapercevait Dan Rather,
journaliste vedette de
Mais si Obama a réussi
ce qui était jusque là impensable, c’est aussi parce qu’il a bénéficié des
acquis stratifiés des luttes et des engagements des pionniers pour la
restauration de la conscience historique du Noir, menés par les Martin Luther
King, Malcom X, Rosa Park, Marcus Garvey, Edward Wilmot Blyden, Steve Biko,
Nelson Mandela, Amilcar Cabral, Kwamé Nkrumah, Robert Um Nyobe, Cheikh Anta
Diop, les Nègres marrons anonymes des champs de cannes, les victimes de la lutte
pour les droits civiques à Montgomery, à Birmingham et partout ailleurs en
Amérique, les millions de victimes de l’Apartheid, etc.
Cette transformation,
à certains égards révolutionnaire, a été rendue aussi possible grâce au
dynamisme d’une société américaine capable d’introspection sur ses propres
réalités sociétales. Certes le rejet de la politique de Bush, la dégradation de
l’économie américaine et la crise financière récente ont été favorables au
candidat démocrate. Mais ce contexte favorable, quoique exceptionnel, n’aurait
pas suffi à faire gagner Obama si la majorité des Américains n’était pas prête à
élire un Noir.
Malgré le racisme
encore vivace en Amérique, ce pays vient d’administrer au reste du monde
occidental, héritiers comme elle d’un passé esclavagiste et colonialiste, une
leçon de politique d’intégration, aux antipodes du raidissement épidermique et
du repli identitaire observés ici et là. En France par exemple, alors que le
candidat Obama estampillé «noir» par l’ensemble des médias est adulé et
plébiscité par une écrasante majorité de la population, tous les secteurs et
institutions de l’Etat brillent par l’absence des minorités dites visibles. Ce
paradoxe atteint son paroxysme lorsque, dans un unanimisme assez surprenant, cet
engouement est justifié par les origines «raciales» du candidat, qui font de lui
un emblème historique dans le contexte américain pourtant plus tendu
qu’ailleurs. L’élite politique éprouve vraisemblablement des difficultés à faire
son aggiornamento et à s’ouvrir réellement aux citoyens d’origine
étrangère.
Outre la question
raciale, l’élection d’Obama suscite beaucoup d’espérance en Amérique et dans le
monde. Au plan interne, la crise des subprimes, non seulement a précipité une
frange considérable de la classe moyenne dans la précarité, mais aussi a
déséquilibré le système financier mondial aujourd’hui en pleine récession. La
politique fiscale ultralibérale de Bush consistant à faire baisser les impôts a
eu pour corollaire immédiat la baisse des recettes de l’Etat et le
rétrécissement de sa capacité d’intervention dans les programmes sociaux. Une
capacité encore plus érodée avec l’effort budgétaire consenti pour les guerres
en Afghanistan et en Irak, dont le montant s’élève déjà à plus de 3000 milliards
de dollars selon l’économiste et prix Nobel Joseph Stiglitz. L’industrie de
l’automobile et celle de la métallurgie, jadis moteurs de l’économie américaine,
subissent de plein fouet les choix de politiques économiques de ces dernières
années. La hausse tendancielle du chômage, jamais observée depuis les années 30,
illustre le marasme économique du pays, dont la dette publique dépasse 70% du
PIB. Cette situation économique drastique a probablement joué en faveur du
candidat Obama, qui aura, sans doute, comme priorité numéro un la question
économique.
Au plan international,
l’unilatéralisme de l’administration Bush, singulièrement illustré dans le
conflit irakien et dans les négociations sur le protocole de Kyoto visant la
réduction des gaz à effet de serre est fortement décrié même par les alliés les
plus inconditionnels de l’Amérique. Le préjugé favorable dont bénéficie Obama
sur la scène internationale pourra faciliter la restauration de l’image écornée
de l’Amérique. Sur l’autre versant du terrain diplomatique, la résolution du
conflit israélo-palestinien devra être une préoccupation centrale, car ce
conflit est l’épicentre de nombreux foyers d’affrontement dans le monde. Les
néo-conservateurs de l’équipe de Bush ont certes compris l’importance de ce
conflit, mais ont certainement failli en optant pour la guerre tout azimut,
guidée par une doctrine énigmatique, faite d’un mélange surréaliste
d’impérialisme aveugle et de croyances évangélistes surannées. Obama devrait
peser de tout son poids pour parvenir à une paix équilibrée, inéluctable par
ailleurs. Cette réussite renforcerait le leadership américain dans le monde tout
en contribuant à la pacification du Moyen Orient, un des foyers névralgiques du
monde. Le rapprochement de Colin Powell pourrait s’avérer déterminant dans la
compréhension des véritables enjeux et aussi servir de contrepoids face à
d’éventuels conseillers qui seraient tentés par les thèses néo conservatrices et
bellicistes.
Et
l’Afrique !
La conscience
historique, celle qui nous renvoie à notre responsabilité en tant qu’acteur de
notre propre destinée, est le préalable à tout développement. Car elle suppose
en amont un sens aigu de la responsabilité et s’accommode difficilement de la
politique de la main tendue. La confiance en soi et la foi en l’avenir en
constituent des piliers essentiels. L’avènement d’Obama à la présidence
américaine constitue à cet égard un bénéfice inestimable sur le plan
psychologique pour les générations actuelles et futures d’Africains et
d’Africain-américains. Sa magistrature pourrait aussi être une opportunité
réelle de développement à condition que la coopération qu’il initiera avec
l’Afrique s’inscrive dans une volonté réelle et authentique de partenariat,
bâtie sur une véritable doctrine «d’empowerment» et non sur des formes caduques
de coopération orientée et déséquilibrée, qui s’apparentent plus à des
mécanismes de domination.
Pour être efficace et
surmonter les insuffisances nationales, cette coopération doit se réaliser au
moins au niveau sous-régional sinon à l’échelle continentale africaine. Les
priorités doivent alors être établies non plus de manière bilatérale, comme
opère actuellement le Millenium challenge account (Mca) mis en place par
l’administration Bush, mais plutôt dans le cadre d’une vision intégrée
sous-régionale voire continentale, élaborée par une Organisation mise en place à
cet effet ou par des organisations existantes mais réformées et renforcée comme
l’Uemoa ou l’Union africaine. C’est la stratégie suivie avec le plan Marshall,
lorsqu’en 1948 fut créée l’Organisation européenne de coopération économique
(Oece), qui deviendra plus tard l’actuelle Ocde. Son mérite est d’avoir pu
fédérer les politiques économiques au niveau européen et faciliter le dialogue
intereuropéen qui déboucha quelques décennies plus tard sur la construction de
l’Union européenne.
Privilégier
l’intégration africaine sur les plans politique et économique participe
également de la résolution des conflits du continent et de la lutte contre la
corruption qui gangrène l’économie de nombreux pays, du fait du caractère
supranational des programmes sous-régionaux et continentaux. Obama aura d’autant
plus de marge de manœuvre pour intervenir en Afrique qu’il réussira à redresser
l’économie nationale américaine et à restaurer l’image suffisamment écornée de
l’Amérique.
En attendant la
réalisation de ces perspectives possibles, l’Afrique doit poursuivre son chemin,
sa destinée inéluctable de liberté et de prospérité, dont un nouveau jalon vient
d’être posé avec l’élection d’un Africain-américain à la magistrature suprême
des Etats-Unis. L’Afrique peut ! Afric-can !
Khadim
SYLLA
K_sylla@hotmail.com
Cet e-mail est protégé contre les
robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour
le voir
http://www.lequotidien.sn/index.php?option=com_content&task=view&id=2648&Itemid=22
Actualité internationale et africaine de sangonet !