Bangui
victime des seigneurs de guerre
Tanguy Berthemet, lefigaro.fr –
actualité internationale, 25 septembre 2013
REPORTAGE - La
Centrafrique est à l'agenda de l'ONU, où François Hollande a lancé un « cri
d'alarme » pour sauver le pays.
Envoyé spécial à
Bangui
Baudoin Damaï est un
garçon du genre vindicatif. Devant une buvette, une cabane en planches
pompeusement appelée Le Royal, il raconte à grand renfort de gestes les malheurs
qui se sont abattus sur lui et les siens. La date du début des ennuis: le
24 mars, le jour de l'entrée dans Bangui
de la Séléka, une coalition de
rebelles venue pour renverser le pouvoir vermoulu du président François Bozizé
et installer son
successeur, Michel Djotodia.
«Depuis, on ne vit
plus. On a peur d'être tué ici», assure Baudoin. Ici, c'est Boy-Rabe, un
quartier de la capitale centrafricaine réputé favorable au pouvoir déchu. «Les
Séléka font des opérations hiboux. Ils viennent la nuit et ils enlèvent des
jeunes que l'on ne revoit plus.» Autour de lui, on acquiesce et on s'énerve en
agitant des verres vides par habitude. Nul n'a plus le premier franc CFA pour se
payer à boire, et de toute façon il n'y a pas grand-chose. «Tout a été pillé»,
se lamente Frank Wakian, le gérant.
Le pillage
orchestré par les nouveaux maîtres de la ville est généralisé.
Avec une préférence pour les voitures, les matelas et l'électroménager. «Ils
sont venus chez moi en juillet. Ils ont cassé la porte puis ont pris ma télé et
mon frigo. J'ai essayé de m'opposer, mais ils m'ont mis un coup de crosse sur la
tête», affirme Julice Diforo, qui porte haut un tee-shirt aux couleurs de
François Bozizé. Cette scène, tous ou presque en ont été les victimes ou les
témoins.
«Les Séléka font des
opérations hiboux. Ils viennent la nuit et ils enlèvent des jeunes que l'on ne
revoit plus.»
Assis sous un arbre
dans sa cour de terre, comme il sied à son rang, Camille Mandaba, le chef de
quartier, n'essaie même plus d'apaiser les choses. Lui aussi a été menacé «avec
un fusil sur la tempe» et tous ses biens ont été volés. L'incompréhension est
totale entre les habitants et ces miliciens de la Séléka, des hommes venus du
nord, souvent tchadiens ou soudanais, ne parlant ni français ni la langue
locale, le sango. L'archevêque de Bangui, Mgr Dieudonné Nzapalainga, parle
même d'«occupation».
«Ils volent tout le
monde sauf leurs frères musulmans à qui ils vendent ce qu'ils nous prennent»,
crache Lucas Youphenin. Ce chômeur, comme beaucoup de ses amis chrétiens, refuse
de faire la différence entre les soldats et la minorité musulmane de la ville.
«Ils sont ensemble. On ne peut pas faire confiance à un musulman.» «Il y a
maintenant un vrai risque d'affrontements religieux en Centrafrique», analyse un
diplomate.
D'autant que la
colère du quartier de Boy-Rabe s'est muée en haine depuis le 20 août. Ce
jour-là, les hommes de la Séléka ont organisé une vaste opération.
Officiellement, un «désarmement» du quartier. La mission a immédiatement tourné
à une immense razzia. «Ils sont entrés à 15 heures en tirant partout et ont
tout ratissé en volant, volant, volant…», se souvient Jésus Wale. Les habitants
se sont insurgés, lançant des pierres. Le lendemain, la Séléka s'abattait sur
Boeing, une autre zone de Bangui, avec les mêmes effets. La population exaspérée
s'est soulevée avant de fuir en masse vers l'aéroport de M'Poko sous le contrôle
de l'armée française. «Ces deux opérations ont été un véritable désastre»,
reconnaît Guy-Simplice Kodégué, le porte-parole du président autoproclamé
Djotodia. Elles auront au moins eu le mérite de permettre au nouveau pouvoir de
prendre conscience que l'insécurité ravageant le pays risquait de
l'emporter.
En réaction,
mi-septembre, le président a dissous par décret la Séléka. Puis, il a limogé
quelques dignitaires et nommé Josué Binoua à l'Intérieur, au terme d'un
retournement tout centrafricain. Volubile, charmeur, le nouveau ministre de la
Sécurité exerçait déjà la fonction sous Bozizé. «Les choses changent. Moi je
suis là pour servir mon pays et nous allons le désarmer», explique ce pasteur
dans un éclat de rire. Pour ce faire, il s'est associé à un autre ancien
proscrit, le général Moussa Asimeh.
Celui que tous
désignaient, il y a peu, comme un citoyen soudanais et grand ordonnateur des
exactions. «Je dis la vérité. Sur le Livre, je suis centrafricain et je ne veux
pas que mon pays saigne», jure en arabe cet homme au sourire et à la politesse
qui sentent les sables du Darfour. Il avoue d'ailleurs sans mal avoir été
colonel dans l'armée soudanaise.
L'étrange équipage a
eu quelques résultats. Dans les rues de Bangui, les policiers et les gendarmes
ont remplacé les miliciens désormais discrets, mettant un peu terme à
l'anarchie. Comment les barons de l'entourage pléthorique de Michel Djotodia
réagiront à cette reprise en main? Personne n'ose le
prévoir.
À quelques
kilomètres de Bangui, le pays est donc totalement hors de contrôle. Et dans les
quartiers de la capitale, les généraux autoproclamés et les colonels continuent
de régner. Ces seigneurs de guerre, qui se vouent souvent une haine mutuelle,
n'entendent pas rejoindre facilement les casernes ou lâcher «leurs» armes,
source de leur puissance. «On ne leur laissera pas le choix», dit le général
Moussa. La tâche sera complexe. «Le problème vient de ces généraux. C'est leurs
soldats qui sèment les troubles. Beaucoup à la Séléka ne sont pas venus pour
construire un État mais pour prendre un butin», analyse un bon connaisseur du
pays.
Pour remplir le vide
sécuritaire, le gouvernement compte sur les troupes de la Micopax, une mission
de sécurisation africaine. Quelque 2 400 soldats, congolais, gabonais,
camerounais et tchadiens sont déployés. Mais résoudre l'équation centrafricaine
n'est pas simple. Il faut des soutiens. Or les Africains n'ont pas les moyens de
se financer et la communauté internationale rechigne à apporter sa contribution.
Mardi, à la tribune de l'Onu, François Hollande a lancé un «cri d'alarme» et
réclamé un renforcement de la force panafricaine existante. Ce mercredi, en
marge de la conférence des Nations unies, la France organise une réunion sur ce
thème. Dans son bureau obscur, le premier ministre centrafricain, Nicolas
Tiangaye, semble épuisé par cette situation qu'il qualifie lui-même de
«catastrophique». Imposé par la communauté internationale pour tenter de
contrôler Michel Djotodia, il sait que rien ne pourra être fait sans un minimum
de sécurité. «Il faut que l'étranger nous aide, sinon on ne pourra rien
faire.»