Afrique centrale : la
Cemac malade de la Centrafrique
17/03/2014 à 08:25 Par
François Soudan, jeuneafrique.com
Alors qu'elle fête son
vingtième anniversaire, la Communauté économique et monétaire de l'Afrique
centrale (Cemac), relocalisée de Bangui à Libreville, au Gabon, subit de plein
fouet la crise centrafricaine. Son avenir semble plus que jamais
incertain...
Vingt ans après sa
création, la zone Cemac (Communauté économique et monétaire de l'Afrique
centrale) n'en finit plus de stationner sur la piste de décollage. C'est à
N'Djamena, le 16 mars 1998, que ce projet d'intégration de six pays ayant en
commun le franc CFA et un espace géopolitique artificiel hérité de la
colonisation, a vu le jour. Dans la ville même où, le 10 janvier
Régularisé quelques
jours plus tard par un acte additionnel, ce transfèrement présenté comme
provisoire et qui rappelle celui de la Banque africaine de développement (BAD)
d'Abidjan à Tunis pour cause d'insécurité, il y a onze ans, a dilué un processus
décisionnel déjà atone. Et ce, malgré les efforts du président de la commission,
le Congolais Pierre Moussa, pour en rationaliser le fonctionnement. Éparpillés
entre Libreville, Douala et Bangui, les cadres de la Cemac sont désormais
préoccupés par leurs propres soucis domestiques. À la traîne de tous les autres
regroupements de ce type sur le continent, l'intégration régionale en Afrique
centrale attend, elle, le coup de baguette magique qui la délivrera de son
profond sommeil.
Épuration religieuse
et ethnique
La Cemac, il est vrai,
n'a guère été servie, ni par les événements ni par la gouvernance de ses
institutions. Guerre civile à Brazzaville, prurits xénophobes à Malabo et à
Libreville sur fond d'extrême inégalité dans la répartition des richesses (le
PIB par tête va de 439 dollars en Centrafrique à 32 500 dollars en Guinée
équatoriale !), scandale à la Banque des États de l'Afrique centrale, gabegie à
la présidence de la commission : ces deux décennies n'auront pas été un long
fleuve tranquille. Mais rien n'aura été plus déstabilisateur pour l'esprit
communautaire que la crise centrafricaine et son cortège d'épuration religieuse
mais aussi, quoi qu'on en dise, ethnique, puisque l'une et l'autre de ces deux
caractéristiques se recoupent presque exactement.
Alors même que l'on
n'ignorait rien des exactions des rebelles, leur chef, Michel Djotodia, a pu
s'installer au pouvoir, y être adoubé par ses "pairs" et régner pendant plus de
neuf mois.
Comment les chefs
d'État de la Cemac ont-ils réagi face à cette crise majeure ? Quel bilan peut-on
tirer de leur action ? A priori, le constat n'est guère positif. Si leur rôle
était de défendre l'un des leurs - en l'occurrence François Bozizé - face à une
rébellion, c'est un échec, puisque les contingents de la Fomac (Force
multinationale de l'Afrique centrale) présents en Centrafrique au début de
l'année 2013 ont laissé entrer la Séléka dans Bangui sans s'y opposer. S'il
s'agissait d'imposer une solution politique de remplacement, ce n'est également
pas une réussite : alors même que l'on n'ignorait rien des exactions commises
par les rebelles au fur et à mesure de leur avancée, leur chef, Michel Djotodia,
a pu s'installer au pouvoir, y être adoubé par ses "pairs" et régner de façon
totalement erratique pendant plus de neuf mois.
Lorsqu'à N'Djamena il
y a deux mois, lors du même sommet qui a vu la délocalisation du siège de la
Cemac, et sur forte incitation française, les chefs d'État décident d'éloigner
Djotodia au Bénin, c'est le président congolais, Denis Sassou Nguesso, qui
apparaît comme le principal maître du jeu. Non seulement il a assuré seul la
paie des fonctionnaires centrafricains jusqu'en octobre 2013 et maintient un
contingent sur place ainsi qu'un représentant spécial, mais c'est l'un de ses
généraux, Jean-Marie Michel Mokoko, qui, depuis la fin de l'année 2013, dirige
la Misca, successeur en version Union africaine de la
Fomac.
La prééminence de
Sassou
La prééminence de
Sassou Nguesso sur le dossier centrafricain n'est pourtant pas qu'une question
de "qui paie commande". Elle résulte surtout du relatif retrait de son homologue
tchadien Idriss Déby Itno, qui, tout en demeurant à terme un élément
incontournable de toute solution, apparaît comme une partie du problème et pâtit
du détestable tour confessionnel et communautaire pris par la crise
centrafricaine. Le fossé de haine creusé entre la Séléka et les anti-balaka a en
effet jeté sur les routes d'un exil meurtrier vers le nord des ethnies et des
nationalités ayant en commun l'islam. Tchadiens réfugiés depuis le sac de
N'Djamena en 1979, commerçants, colporteurs et diamantaires haoussas venus du
Nigeria et du Cameroun à l'époque coloniale, éleveurs peuls mbororos installés
sur les plateaux de Bouar et de Bambari puis dans tout le Grand-Ouest il y a
plus d'un demi-siècle, Roungas et Goulas des espaces désertés du Nord-Est,
islamisés depuis les années 1960... La plupart d'entre eux sont des citoyens
centrafricains, mais la fracture est telle que les autres communautés ne les
considèrent plus ainsi.
S'il n'existe pas à
proprement parler de rivalité personnelle entre Denis Sassou Nguesso et Idriss
Déby Itno quant au parrainage de la Centrafrique - les deux hommes, qui se
connaissent depuis un quart de siècle se sont réciproquement aidés à chaque coup
dur -, leur sensibilité est différente : le Congolais s'est très vite alarmé des
violences commises par la Séléka à l'encontre des chrétiens alors que le
Tchadien a été frappé de plein fouet par le retour tragique de milliers de
réfugiés musulmans sur son territoire. Résultat : leurs candidats à la
présidence de la transition pour succéder à Michel Djotodia n'étaient pas les
mêmes et se sont en quelque sorte neutralisés au profit de Catherine
Samba-Panza, que ni l'un ni l'autre ne connaissait. Reste que, au sein d'une
Cemac malade de la Centrafrique, Sassou et Déby sont les seuls à s'investir
réellement dans la recherche d'une hypothétique solution à la crise, les trois
autres chefs d'État de la région privilégiant le repli sur leurs intérêts
nationaux.
Il y a urgence, car un
danger supplémentaire guette, si l'on n'y prend garde, le maillon faible de la
communauté : celui de la partition.
Il y a pourtant
urgence, car un danger supplémentaire guette, si l'on n'y prend garde, le
maillon faible de la communauté : celui de la partition. Si François Hollande
s'en est publiquement ému lors de son passage à Bangui le 28 février et si Ban
Ki-moon réclame 12 000 hommes pour espérer le conjurer, c'est que l'heure est
grave. Alors que toute l'attention se porte sur les anti-balaka et leur mentor
supposé, l'ex-président Bozizé - que Samba-Panza considère désormais comme le
plus dangereux de ses adversaires -, les ex-Séléka, eux, s'installent. Certains
de leurs chefs n'hésitent plus à évoquer les contours d'une "République de
l'Oubangui du Nord", réplique de celle du Soudan du Sud voisin, qui engloberait
le pétrole du lac Mamoun, le diamant de Bria et l'uranium de Bakouma. Bref, la
partie "utile" du pays, orientée vers l'est et ses débouchés kényans. "Nous
sommes le Katanga de la Centrafrique", expliquait il y a peu, le plus
sérieusement du monde, un proche de Michel Djotodia, lui-même natif de la région
pétrolifère de la Vakaga, dans le prolongement de la fosse de Doba, là où les
Chinois ont mis au jour en 2012 d'importants gisements. Pour l'instant, ni la
force Sangaris, ni la Misca n'ont l'intention et les moyens d'aller réoccuper la
zone des trois frontières, où l'autorité de la présidente centrafricaine n'est
pas reconnue.
Remplir les caisses
vides du Trésor
Catherine Samba-Panza,
qui a manifestement tendance à oublier qu'elle n'a été élue que par... 75 voix
(sur un collège de 135 votants à la représentativité sujette à caution), voit
déjà sa gouvernance de plus en plus critiquée à Bangui : trop régionaliste dans
ses nominations avec une surreprésentation de sa propre communauté gbanzirie,
trop dispendieuse (31 ministres !) et sans perspective politique claire, puisque
la présidente par intérim n'a toujours pas confirmé clairement qu'elle comptait
se conformer à son statut d'intérimaire.
En attendant, les
fonctionnaires centrafricains, qui ne sont plus payés depuis près de six mois,
attendent désespérément le déblocage de l'aide budgétaire d'urgence promise par
les pays de la région. Problème : qui va payer ? Sassou Nguesso a déjà donné et
ne veut plus continuer seul, les autres hésitent à mettre la main à la poche.
Début mars, Samba-Panza est donc allée tendre sa sébile chez les riches, à
Luanda et à Malabo, pour remplir les caisses vides du Trésor et tenter de
conjurer le risque d'explosion sociale. Le fait que l'Angola n'appartienne pas à
la zone Cemac mais à la zone Ceeac est un signe : comme si le processus
d'absorption de la première par la seconde, que l'on dit programmé, était déjà
en marche.
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