France
24 avec
AFP - Par
Farouk
ATIG / Yoan
PROD'HOMME , envoyés spéciaux à Bangui - 11/12/2013
"Il faut que tous les Tchadiens
partent !", "On ne veut plus d’eux dans le pays !", "Dehors les
Tchadiens, traîtres, lâches, chiens !". Dans les rues de Bangui,
la capitale centrafricaine, les habitants ne cachent pas leur hostilité au
passage des soldats tchadiens de la force africaine. Ces soldats tchadiens sont
pourtant membres de la Misca, la Mission internationale de soutien à la
Centrafrique, qui, appuyée par l’armée
française déployée depuis le 7 décembre, a pour but de ramener
l’ordre dans le pays, où les tensions interreligieuses s’accroissent. Mais les
Tchadiens, qui viennent d'un pays majoritairement musulman, ne sont pas les
bienvenus en République centrafricaine.
Depuis la prise du pouvoir par la
Séléka
le 24 mars 2013, la population centrafricaine subit les exactions de
l’ex-rébellion, composée, en majorité, de musulmans originaires du nord et de
mercenaires tchadiens et soudanais. Parmi la population, des chrétiens ont à
leur tour pris les armes, d’abord contre les membres de la Séléka, puis contre
les civils musulmans, assimilés aux ex-rebelles, entrant ainsi dans le cercle
vicieux des massacres et des représailles.
Rôle
trouble du Tchad
Si les Centrafricains nourrissent
aujourd’hui tant de ressentiment à l’égard des Tchadiens, c’est que leur
puissant voisin a joué un rôle trouble dans l’histoire récente du pays.
Lorsqu’en 2003 François Bozizé chasse Ange-Felix Patassé du pouvoir
centrafricain par un coup d’État, il bénéficie de l’appui explicite du président
tchadien Idriss Deby Itno. François Bozizé avait d’ailleurs formé sa rébellion
au Tchad, avec la bénédiction des autorités en place.
Quand il prend le pouvoir, 500
soldats tchadiens sont même déployés dans Bangui pour assurer sa sécurité. Ils
deviendront les membres de la garde présidentielle. Pendant les années qui
suivent, le général-président François Bozizé peut compter sur le soutien de son
puissant voisin pour mater les divers soulèvements que connaît le
pays.
Mais petit à petit, les liens
entre les deux chefs d’État s’émoussent. Début 2013, face à l’avancée des
rebelles de la Séléka, Idriss Déby reste sourd aux appels au secours de son
homologue centrafricain. Pire, la force multinationale déjà présente sur place
(la Mission de consolidation de la paix en République centrafricaine, Micopax),
composée essentiellement de Tchadiens, ne tente que très mollement d’entraver
l’avancée des rebelles.
"Déby
a officieusement aidé la Séléka"
Au moment de la prise du pouvoir
par la Séléka, Roland Marchal, chercheur au CNRS spécialiste de la Centrafrique,
interrogé par FRANCE 24, ne s’était pas étonné du peu de combativité de l’armée
tchadienne face aux rebelles. "Depuis plusieurs années déjà, Idriss Déby est
profondément irrité par Bozizé à cause de son incapacité à restaurer la loi et
l’ordre dans le nord-est du pays, où le Tchad a des intérêts, et à instaurer des
relations commerciales avec les pays voisins", affirmait-il. Selon le chercheur,
Idriss Déby avait manifesté dès le mois de mars sa volonté de voir chuter le
régime de Bozizé lors d’une attaque rebelle sur une ville frontalière, un assaut
auquel N’Djamena n’avait pas réagi.
Roland Marchal va encore plus
loin : le Tchad ne se serait pas contenté de rester passif face à l’avancée
des rebelles, il serait allé jusqu’à leur prêter main forte. Dans "l’Humanité",
en date du 13 novembre, le chercheur affirme : "Déby a suscité la Séléka et
l’a sans doute aidée officieusement". Il nuance cependant : "Le départ de
Bozizé n’est pas simplement dû à Déby. Il est dû à un accord régional pour s’en
débarrasser".
Reste qu'en Centrafrique, le Tchad est perçu comme le faiseur de roi et le responsable direct des troubles que connaît aujourd’hui le pays. Et aujourd’hui à Bangui, il ne fait pas bon être tchadien : leurs maisons et commerces sont pillés. Quant à l’armée d’Idriss Déby, c’est sous les insultes de la population qu’elle évacue les 10 à 15 000 ressortissants tchadiens que compte la Centrafrique.