72ème Assemblée Générale des Nations Unies :

L’Afrique marginalisée dans un climat international pourri.

 

Des bribes d'informations distillées ici ou là, sans rapport les uns avec les autres, illustrent l'état actuellement très instable du monde et la marginalisation de l’Afrique, acculée à la privatisation.

 

1 – Attention ! Danger immédiat.

 

Ainsi, le quotidien Le Parisien du 5 septembre 2017 publie un article sur « Les secrets du trésor des Bongo », censé retracer la fortune de l'ancien président gabonais, décédé au Maroc en 2009, et accusé de détourner les revenus pétroliers de son pays ; un autre aspect du procès des « biens mal acquis » qui vise aussi le président congolais Denis Sassou Nguesso, beau-père du premier. Dans son édition du 12 septembre 2017, le journal Le Monde remet le couvert du côté du président congolais.

Ce n'est pas la première fois que le défunt chef d’État du Gabon est vampirisé par la presse française. Dans les années 70 déjà, un hebdomadaire français l'accusait de « distiller » le sida dans Paris (1).

 

Ainsi, le quotidien Le Monde du 6 septembre 2017 accuse l'actuel premier ministre cambodgien Hun Sen, au pouvoir depuis 32 ans, de glisser vers la dictature, estimant que « cet ancien commandant du groupe totalitaire et génocidaire des Khmers rouges, aujourd'hui à la tête du parti du peuple cambodgien (PPC) qui monopolise le pouvoir, n'a jamais été un parangon de démocratie ».

 

Ainsi, la Corée du Nord est qualifiée « d’État voyou » par l'ambassadrice américaine auprès des Nations Unies, Nikki Haley, laquelle a sans doute oublié les crimes des États-Unis en Irak où « le pays a été détruit, Saddam Hussein pendu », au prétexte de détenir des armes de destruction massive jamais découvertes. Mais cela autorise une prétendue spécialiste de l'Asie à proposer que, « face à la Corée du Nord dont la dimension délirante d'un régime qui ne vit plus que par et pour l'acquisition de la puissance nucléaire », « l'option militaire est la moins risquée » !

 

Ainsi, le Venezuela du président Nicolas Maduro, accusé de dictature par ses opposants de droite soutenus par les États-Unis de Donald Trump et la France d'Emmanuel Macron, comme au bon jour du Chili de Salvador Allende.

 

On pourrait allonger la liste de ces États assimilés à la dictature et leurs présidents traités en paria par la communauté internationale, c'est-à-dire l'occident, comme la Syrie, le Mexique, l’Azerbaïdjan, le Zimbabwe, la Russie.

 

Pendant ce temps, le Qatar et son émir, accusés de financer les islamistes radicaux et le djihad, peuvent acquérir des hôtel de luxe en plein Paris, financer le club de foot de la capitale française et racheter des joueurs à coups de millions d'euros, sans soulever un quelconque reproche.

 

Pendant ce temps, le  premier ministre birman et Prix Nobel de la Paix hier adulée,  Mme Aung San Suu Kyi, découvre la realpolitik et peut doctement parler de désinformation pour qualifier la fuite des Rohingyas qui prennent les chemins de l'exil, sans déclencher une quelconque protestation.

 

Et l'Afrique noire dans tout cela ? Elle débat, doctement, des avantages et inconvénients du franc CFA, au moins en ce qui concerne les pays francophones. Dans la zone australe, on s’écharpe sur l’inconséquence de madame Mugabe. En attendant, la communauté internationale réfléchit pour elle, sans elle, l’Afrique.

 

2 – La nouvelle guerre de Troie n'aura pas lieu.

 

Ici, on brûle en public un billet de 500 francs de la monnaie maudite, en imitant le défunt artiste français Serge Gainsbourg par mimétisme imbécile.

Là, on bat le pavé en Place de la République à Paris, pour protester contre la rencontre Macron-Ouattara, lequel président ivoirien est accusé de soutenir le maintien du franc CFA dans l’orbite du Trésor public français.

 

Ces incongruités me remettent en mémoire des pans entiers de mon enfance lorsque, les jours de pleine lune, le cigarettier Bastos (Bastos, toujours jeune ! disait la publicité) tenait cinéma en plein air dans les quartiers sud de Bangui, la capitale centrafricaine. Il envoyait sa camionnette promotionnaire sur la place déserte du marché, projeter des films sur un drap de lit blanc, tendu entre deux piquets. Assis à même le sol, sur un banc en tiges de bambou ou une bûche de bois voire sur une grosse pierre, nous étions une centaine d'enfants et d'adultes à tordre le cou vers l'écran improvisé. C'était toujours un western : « Bill Cody, le cavalier éclair » !

 

Où l'on voit Bill Cody ramper entre les hautes herbes pendant qu'une bande d'indiens, peinturlurés de rouge et vociférants, dansait autour d'un foyer de braise, pendant que leur prisonnier blanc, saucissonné à un tronc d'arbre, piquait du nez en attendant une mort certaine.

Où l'on voit Bill Cody enfourcher son cheval à la crinière blanche écume et galoper à brides abattues chercher du secours.

Où l'on voit Bill Cody sauter par-dessus un groupe de jeunes indiens jouant à la marelle, ayant délaissé leur rôle de sentinelles.

Où l'on voit Bill Cody ramener au triple galop une escouade de Tuniques Bleues fonçant sabres au clair sus aux sauvages indiens Séminoles.

On courait de quartier en quartier derrière le projectionniste et sa camionnette pour voir toujours le même film, jusqu'à épuisement.

 

Enfant, je me demandais souvent pourquoi les Indiens, qu'ils soient Apaches, Sioux ou Cheyennes, prenaient le chemin de la guerre en poussant des Hou ! Hou ! Ces cris les signalaient à des kilomètres à la ronde pendant que leurs ennemis les attendaient tapis derrière les rochers, silencieux et bien embusqués, et les tiraient en rafale, comme des lapins, lorsqu'ils étaient à portée de fusils ?

 

Je ne me doutais pas, à l'époque, que l'histoire est toujours écrite par les vainqueurs. Les vaincus n'étaient plus là pour témoigner ou bien avaient trop honte pour se souvenir.

 

Voilà pourquoi la bataille du franc CFA, cette nouvelle guerre de Troie, n'aura pas lieu. Et pour cause.

 

3 – La privatisation de l'Afrique noire.

 

Deux points d'ancrage historique pour commencer.

 

-        Lorsque le 2 octobre 1958, à l'initiative de Ahmed Sékou Touré, la Guinée vota contre le référendum instituant la communauté française proposée par le général Charles De Gaulle, la France se retira sans sommation du pays. Du jour au lendemain, la Guinée dû créer entre autres sa propre monnaie. Il faudra attendre 1979 et la fin de la parenthèse gaulliste pour que, à l'initiative du président Valéry Giscard d'Estaing, Paris renoua avec Conakry ; Sékou Touré ayant dans l'intervalle embrassé le libéralisme. Mais la Guinée n'a pas disparu, ni comme État, ni comme peuple, ni comme nation.

-        La France dirige le FMI depuis 1965, pardon, plus exactement, l'Europe est à la tête du fonds monétaire international depuis 1945 ! Or le franc CFA n'est plus arrimé au franc français mais à la monnaie européenne, l'euro. L'avenir du franc CFA n'est plus un problème « françafricain », mais un débat entre l'Afrique francophone et la Communauté européenne.

 

Le débat actuel sur l'avenir ou le devenir du franc CFA caricature le western de mon enfance. Au lieu de discuter dans le secret de leur conclave présidentiel sur ce dossier stratégique, les chefs d’états africains s'épanchent en public ou négocient chacun pour son propre compte.

 

Ainsi, cette image surprenante d'un Abdou Diouf, alors président du Sénégal, répliquant à un syndicaliste qui lui reprochait d'avoir accepté le plan d'ajustement structurel imposé par le FMI :

 

-        Je l'ai accepté car c'est la condition pour obtenir l'argent que j'attends pour vous payer à la fin du mois.

 

En une phrase, tout est dit sur l'Afrique dans le monde : marginalisée, mendiante assistée et martyrisée. Aujourd’hui, pendant que les Africains débattent du franc CFA, la France et l'Europe fourbissent leurs armes.

 

1°) - C'est d'abord la mise en place d'une alliance pour le Sahel avec l'Allemagne, destinée à coordonner les efforts dans le domaine économique. On renoue ainsi avec l'esprit des accords de Berlin. La France s'adosse à la puissance économique allemande pour se refaire une santé et préserver sa présence économique dans ses anciens territoires coloniaux.

 

2°) - C'est la création d'une cellule de coordination en matière de sécurité intérieure et extérieure, dans le cadre d'un G5 comprenant le Tchad, le Niger, le Mali, la Mauritanie et le Burkina-Faso. Il s'agit d'une force armée antiterroriste de quelques cinq mille hommes dont le financement serait pris en charge par la France et l'Allemagne. L'objectif de ce dispositif vise à établir un « cordon sanitaire » anti-islamiste destiné à protéger l'Afrique subsaharienne contre les percées djihadistes afin de garantir l'approvisionnement de l'Europe en ressources naturelles.

 

3°) - C'est l'établissement, au Niger et au Tchad, de deux « Hot Pots », points de contrôle de l'immigration africaine vers l'Europe ; le Maroc et la Libye qui jouaient ce rôle jusqu'alors étant en échec. Il s'agit désormais de mettre en place des filtres d'endiguement des populations noires vers l'Europe, au prétexte de différencier les demandeurs d'asiles des migrants économiques.

Certes, les deux pays concernés ont fait part de leurs réticences et plaidé pour une approche globale pour lutter contre la tragédie de l'immigration clandestine, mais le programme est acquis. Le Niger et le Tchad serviront de goulets d'étranglement, respectivement le premier pour les populations de l'Afrique de l'ouest et le second pour l'Afrique centrale.

La mise en œuvre de cette stratégie d’endiguement a déjà commencé par la nomination d’un ambassadeur, M. Pascal Teixeira da Silva, qui sera chargé de travailler bien en amont avec les pays d’origine et de transit des migrants. Il s’agit de déconseiller et de décourager les candidats à la migration (2).

De fait, on élargit ainsi l'espace frontière entre l'Europe et l'Afrique. Les clandestins pourront crever dans le désert du Sahara, mais plus en Méditerranée sous les yeux de l’occident.

 

4°) - Pour atteindre les objectifs ci-dessus, le président français a installé à ses côtés un Conseil présidentiel pour l'Afrique (CPA). Ils sont aujourd'hui onze, 6 jeunes femmes et 5 jeunes hommes de la diaspora africaine en France, à former ce nouveau cénacle. Ils se réuniront une fois par semaine mais rencontreront le président Macron tous les quatre mois. Ils constituent désormais la tête de pont de la pénétration française en Afrique ; c'est la stratégie du cheval de Troie initiée naguère par Ulysse dans l'Odyssée, telle que racontée par Homère.

Il s'agit d'amener les acteurs politiques africains à baisser la garde face à des interlocuteurs français qu'ils connaissent bien, car ils sont pour la plupart leurs enfants ou proches parents. En contrepartie, ces derniers bénéficieront de la force de frappe économique française (AFD, Caisse ses Dépôts, OIF, Alliance Française) pour promouvoir les petites et moyennes entreprises françaises en Afrique, leurs start-up.

 

C'est la privatisation programmée de l'Afrique noire, telle que racontée par Jean-Pierre Tuquoi dans son dernier livre, «Oubangui-Chari, le pays qui n'existait pas », en pointant du doigt « l’orgie de concessions » où « se voient confier une concession non pas ceux qui ont un projet solide, mais les intrigants les mieux introduits, les affairistes les plus retors » (3). En aura-t-on pour autant rompu avec les réseaux mafieux ou illégaux de la Françafrique ? Cela n’est pas certain.

Le livre de Jean-Pierre Tuquoi donne à lire et à réfléchir sur l'histoire d'une Afrique que beaucoup voudraient ignorer ou s'en distraire.

 

Paris, le 11 septembre 2017

 

Prosper INDO

Économiste.

 

(1)   – L’affaire des biens mal acquis ne semble concerner que les présidents des Etats de l’Afrique centrale et pas ceux de l’Afrique de l’ouest. Cependant, nul ne s’interroge sur la personnalité de l’avocat porteur de ce dossier dont il apparaît que c’est un ancien fonctionnaire des impôts, théoriquement soumis à l’obligation de réserve et du secret professionnel pour tout ce qui concerne son métier antérieur.

(2)   – Dans le même ordre d’idée, le président français a annoncé une refondation complète de la loi sur l’immigration et prôné « un cap de fermeté », en renforçant les régimes de la retenue et ceux de la rétention administrative qui seraient portés respectivement à 16 heures pour les premiers, et 45 jours pour les seconds.

(3)   – Jean-Pierre Tuquoi : Oubangui-Chari, le pays qui n’existait pas, Edition La Découverte, Paris, 2017. On pense ici instinctivement à un grand groupe français qui s’est vu attribuer la gestion des ports autonomes de plusieurs Etats africains, et la mise en chantier des lignes de chemin de fer en Afrique de l’Ouest.

CARTE AFRIQUE: TERRITOIRES