Adama Barrow devient président de la Gambie après 22 ans d’exercice sans partage par Yayah Jammeh
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Présidentielle
gambienne : victoire surprise d'Adama Barrow face à Yayah
Jammeh
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Marco Longari, AFP | Adama Barrow, vainqueur de la présidentielle
gambienne
France 24 avec
AFP -
02/12/2016
Défiant
tous les pronostics, l'opposant, Adama Barrow, a battu le chef de l'État sortant
Yahya Jammeh jeudi, lors de la présidentielle en Gambie. Face à l'homme qui
règne sur le pays depuis 22 ans, Adama Barrow a obtenu plus de 45 % des
voix.
La
présidentielle du 1er décembre s'annonçait sans suspense. La plupart des
observateurs avaient pronostiqué la victoire de Yahya Jammeh, l'homme qui règne
d'une main de fer depuis 22 ans sur la Gambie.
Mais vendredi 2 décembre, coup de théâtre : c'est finalement l'homme
d'affaires et candidat d'une coalition d'opposition, Adama Barrow, qui a
remporté le scrutin. L'annonce des résultats a fait l'effet d'un tsunami dans ce
petit pays d'Afrique de l'Ouest, d'autant que l'écart entre les deux candidats
est large : Adama Barrow a obtenu 45,5 % des voix contre 36,6 % pour Yahya
Jammeh, selon la Commission électorale.
Le
président sortant a admis sa défaite et doit s'adresser à la Nation dans une
déclaration télévisée vendredi soir.
"Il
est vraiment exceptionnel que quelqu'un qui a dirigé le pays aussi longtemps ait
accepté sa défaite", a déclaré à des journalistes le président de la Commission,
Alieu Momar Njieaux, peu avant l'horaire prévu pour l'annonce officielle des
résultats à la mi-journée.
Quelque
890 000 électeurs, sur près de 2 millions d'habitants, étaient appelés aux urnes
jeudi, pour départager les trois candidats.
Yahya
Jammeh a longtemps pu compter sur la peur pour garder la majorité des Gambiens
dans le rang: peur des pouvoirs mystiques dont il se dit doté, peur de la
répression – parfois sanglante – de toute contestation, peur de sa mainmise sur
les forces armées dont il est issu ...
Fin
de règne d'un dictateur-guérisseur
Lieutenant
de 29 ans lors de sa prise du pouvoir, cet amateur de lutte au physique
imposant, marié et père de deux enfants, a troqué l'uniforme contre de luxueux
boubous.
Outre
ce changement vestimentaire, il a ajouté à son nom de naissance une série de
titres honorifiques. Il se fait appeler "Son Excellence Cheikh Professeur El
Hadj Docteur", ainsi que, depuis quelques années, "Babili Mansa", ayant le
double sens de "bâtisseur de ponts" et "roi défiant les fleuves" en mandingue,
une des langues parlées en Afrique de l'Ouest.
Après
des études secondaires à Banjul, il s'engage en 1984 dans la gendarmerie.
Jusqu'en 1992, il commande la police militaire à deux
reprises.
En
1996, il prend sa retraite de l'armée avec le grade de colonel, crée son parti
et se présente à sa première présidentielle, qu'il remporte. Il a été
constamment réélu depuis.
Outre
ses prétendus pouvoirs mystiques, sa biographie officielle lui prête "une vaste
connaissance dans la médecine traditionnelle, surtout dans le traitement de
l'asthme et de l'épilepsie".
Il
assure pouvoir "guérir" la stérilité et le sida avec des plantes et des
incantations mystiques donnant lieu à des séances collectives filmées et
diffusées par les médias publics, au grand dam des acteurs de la lutte contre le
VIH.
Il
cultive aussi l'image d'un musulman pieux, apparaissant régulièrement Coran et
chapelet en main.
En
décembre 2015, à la surprise générale, il proclame la Gambie république
islamique, sans conséquence immédiate sur la vie quotidienne des quelque 2
millions d'habitants, dont environ 90 % de musulmans et près de 8 % de
chrétiens.
Yahya
Jammeh s'illustre régulièrement par des déclarations fracassantes, notamment
contre l'homosexualité, les puissances occidentales, la Cour pénale
internationale (CPI) dont il a retiré la Gambie en octobre, bien que la
procureure soit son ancienne ministre de la Justice.
Il
lui arrive fréquemment de menacer de mort tous ceux qu'il considère comme des
fauteurs de troubles, pour adopter en d'autres circonstances un ton parfaitement
posé.
Son
régime est accusé par des organisations non gouvernementales et certaines
chancelleries de violations systématiques des droits de l'Homme, critiques qu'il
balaye systématiquement.
"Peu
importe ce que les gens disent de moi, je n'en suis pas touché", avait-il dit en
déposant sa candidature en novembre. "C'est entre moi et Dieu".
Avec
AFP
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En
Gambie, défaite historique du président autocrate Yahya
Jammeh
Après
une nuit très tendue de décompte des résultats, la Commission électorale annonce
que M. Jammeh est battu et va reconnaître sa
défaite.
Le
président Yahya Jammeh à la sortie des urnes pour la présidentielle gambienne,
le 1er décembre 2016 à Banjul. Crédits : MARCO
LONGARI/AFP
Lire
aussi : Comment faire l’éloge d’un
autocrate ? Réponse dans un meeting du Gambien Yahya Jammeh
Il
faudra à M. Njai une heure de plus pour annoncer les résultats : sur les
577 683 « bulletins » comptés sous forme de billes versées par
les électeurs dans des bidons de couleur correspondant à chaque candidat,
M. Barrow l’emporterait avec 45,6 % des voix, devant M. Jammeh à
36,7 % et Mama Kandeh, ancien député du parti au pouvoir et candidat d’une
nouvelle formation, à 17,6 %.
Quelque
890 000 électeurs, sur près de 2 millions d’habitants de ce pays
d’Afrique de l’Ouest enclavé dans le territoire sénégalais étaient appelés aux
urnes jeudi pour départager les trois candidats. Porté au pouvoir par un coup
d’Etat en 1994, Yahya Jammeh, élu pour la première fois en 1996 puis
réélu tous les cinq ans depuis, briguait un cinquième mandat à la tête de la
Gambie.
La
nuit a été longue, à Banjul, avant ce dénouement historique. A l’issue d’une
journée de vote calme sous un cagnard qui a fait s’évanouir plus d’un votant,
les premiers résultats devaient être publiés à 19 heures. A la Commission
électorale, les observateurs étaient tendus. «
M. Barrow a déclaré qu’il n’accepterait pas la défaite, et on connaît
Jammeh… Ça va être une nuit dangereuse pour la Gambie »,
explique l’un des 18 observateurs étrangers qui ont réussi à joindre la Gambie,
alors que ni l’Union européenne, ni la Communauté économique des Etats d’Afrique
de l’Ouest (Cédéao) n’ont reçu le feu vert de la présidence pour envoyer des
observateurs. L’Union africaine, elle, a pu envoyer six experts électoraux, mais
aucun observateur.
Adama
Barrow, 51 ans, candidat de l’opposition unie, avant sa victoire surprise à la
présidentielle du 1er décembre en Gambie. Crédits : MARCO LONGARI /
AFP
« Il
faut qu’on occupe la rue dès les premiers résultats, avant que la majorité ne le
fasse, sinon c’est fini pour nous, quelle que soit l’issue du
scrutin »,
explique en début de soirée Boubakar Sanneh, l’un des trois députés de
l’opposition dans une Assemblée nationale aux 46 élus acquise au parti au
pouvoir, l’APRC. Il a appelé ses militants à prendre la rue dès 22 heures,
et à commencer le jubilé prévu pour fêter une victoire que le clan Barrow voit
inéluctable. « Regardez
la foule qui nous a suivis durant cette campagne, expliquait le
candidat de l’opposition dans la matinée en sortant de son bureau de
vote. Jammeh
ne va pas résister, car le pouvoir appartient au peuple, et aujourd’hui, nous
avons l’appui du peuple entier. »
Lire
aussi : La Gambie vote, privée d’Internet,
de téléphone et de suspense
Mais à 22 heures, les choses sont différentes. Les rues de la capitale et de sa banlieue se sont vidées de leurs habitants, calmes, alors que seuls battent le pavé les militaires à bérets rouges de l’armée gambienne, lourdement armés mais professionnels. Les résultats ont commencé à arriver, certes, mais au compte-gouttes : seulement une dizaine de régions sont pour l’instant tombées, les moins importantes du pays. « Je ne comprends pas comment ils peuvent publier les résultats de l’autre bout du pays alors que ceux d’ici ne sont pas encore là », se demande un journaliste gambien, alors que les régions de Serrekunda et Brikarama, épicentres démographiques du petit pays et banlieues de la capitale Banjul, n’ont pas encore donné leur vainqueur.
Il
faudra attendre sept heures du matin vendredi pour connaître ces importants
résultats, et midi pour l’annonce de la Commission électorale indépendante. La
raison ? « Jammeh
a refusé qu’on diffuse ces grosses villes dans lesquelles il a perdu, il ne
voulait pas partir, explique une source bien informée à la
présidence. Mais
ses proches sont venus lui parler, et il semble qu’il ait maintenant accepté sa
défaite. » Tout cela se passe en interne, mais la publication
desdits résultats, diffusés un à un dans la matinée par le président de la
Commission sur la télévision nationale, corrobore
l’hypothèse.
Dans
la banlieue de Banjul, Sheriff, 74 ans, vient acheter son pain du matin :
« C’est
fini, Brikarama est tombé, Barrow a gagné ! » L’oreille
penchée sur le poste radio qu’il a accroché à l’arrière de son vélo, il exulte.
« Qui
gagne Brikarama, la plus large ville du pays, gagne la Gambie, Jammeh a
perdu ! »
Enfin,
à 11 h 30, alors que le président de la Commission électorale
indépendante, Alieu Momarr Njai, devait annoncer les résultats au siège de
ladite Commission en présence de la presse internationale, un coup de fil vient
retarder l’annonce. Interrogations dans la salle. Que se passe-t-il ? Le
visage d’un confrère gambien devient grave, les Gambiens ont peur d’un énième
retournement de son président, réputé imprévisible. Après plusieurs minutes de
flottement, M. Njai prend la parole : « Conférence
de presse reportée, M. Jammeh va prendre la parole. C’est incroyable !
Jamais personne n’a jamais fait ça avant, accepter sa défaite avant même que la
Commission ne l’annonce ! » Cette prise de parole du
bientôt ex-président est finalement elle-même décalée à 17 heures, alors
que reprend l’allocution de M. Njai, qui va de pair avec le rétablissement des
télécommunications dans le pays.
Lire
aussi : Présidentielle en Gambie :
l’opposition a choisi son candidat
Dans
une Gambie coupée du monde – Internet, les communications internationales et les
SMS ayant été suspendus –, cette élection est un tournant pour le plus petit
pays d’Afrique continentale. Adama Barrow, ancien trésorier du Parti de l’unité
démocratique (UDP) et homme d’affaires, avait été nommé à la tête de la
coalition de l’opposition le 8 novembre, faisant alors ses premiers pas
dans la lumière pâle de la politique gambienne. Depuis son indépendance, les
Gambiens n’avaient connu que deux présidents, Daouda Jawara et Yahya Jammeh, le
second ayant renversé le premier d’un coup d’Etat
en 1994.
Les Gambiens réalisent soudain que le candidat de l’opposition Adama Barrow a réussi ce que personne n’avait réussi à faire depuis l’indépendance de la Gambie, en 1965 : une alternance démocratique.