Mercredi, 6 Mai, 2015 -
humanite.fr
Essayiste d'origine Burundaise, président du Paris
Global Forum, David Gakunzi revient sur les raisons du soulèvement, au Burundi,
contre la candidature du président Pierre Nkurunziza à un troisième
mandat.
Depuis bientôt trois semaines, Pierre Nkurunziza
répond par une répression sanglante aux manifestants qui contestent sa
candidature à un troisième mandat en vue de l'élection présidentielle du 26 juin
prochain. Quelle est la nature de ce régime?
David Gakunzi. C'est un régime issu des urnes mais paradoxalement
caractérisé par le recours à la violence comme mode de gouvernance : opposants
pourchassés et enlevés, journalistes menacés de mort, militants des droits de
l’homme brutalisés et jetés aux cachots. La vie politique demeure profondément
marquée par l'arbitraire. La vérité est qu'une dictature féroce, broyeuse
de vies et de destins est en train de s'installer progressivement au Burundi.
Par la volonté d’un homme, d'un seul homme, le président sortant, se rêvant en
monarque absolu raturant à sa convenance la constitution. Ce personnage enfermé
dans un univers mental clos, puéril, est célèbre pour son esprit tourné vers le
ciel. Est-ce donc du ciel que lui serait venu ce trouble du jugement lui
enjoignant de rempiler à tout prix pour un troisième mandat, violant du
coup l'accord de paix d'Arusha et la constitution qui limitent à deux le nombre
des mandats présidentiels ? Son programme est cependant loin d'être mystique. Il
est même très prosaïque : rester au pouvoir ! Demeurer au pouvoir, coûte que
coûte ! Et qu'importe que la terre du Burundi perde sa verdure et devienne
rouge-sang !
Des opposants accusent le régime d'avoir armé des
milices. Est-ce le cas ?
David Gakunzi. Des armes circulent au Burundi à travers des
circuits illégaux depuis déjà quelques années. Combien de stocks d'armes
débarqués sans être immatriculés comme l'exige la loi ont disparu dans la
nature? Quant aux Imbonerakure, ils sont manifestement armés
et certains ne s'en cachent d'ailleurs pas. Cette réalité est assez inquiétante
: qu'on se souvienne des milices Interahamwe et de leurs méfaits au Rwanda
voisin.
Les accusations de corruption du clan au pouvoir
attisent la colère. Est-il vrai que la corruption a pris des proportions
massives et systématiques ?
David Gakunzi. L'Olucome, un groupe de lutte contre la
corruption, a dénombré ces dernières années de nombreux actes de corruption et
de détournement de fonds publics. L'un des dirigeants de cette organisation,
Ernest Manirumva, a d'ailleurs été assassiné parce que ses enquêtes dérangeaient
des gens haut placés. Cette corruption se traduit par l'émergence de fortunes
insolentes et ostentatoires côtoyant une misère violente. Chaque jour des
immeubles clinquants sortent de terre à Bujumbura alors que la majorité des
Burundais n'a pas accès à deux repas par jour.
La crise actuelle est-elle de nature à faire
vaciller la fragile paix née des accords d'Arusha ?
David Gakunzi. La décision du président Nkurunziza de se
représenter pour un troisième mandat est une violation sans appel des accords
d'Arusha. Je dirais même que cet acte constitue une insulte à la mémoire de
Nelson Mandela et de Julius Nyerere, deux personnalités hautement respectées en
Afrique et dans le monde, maîtres d'œuvres de ces accords de paix. Cette
décision de Nkurunziza sape les fondements de la paix et ouvre une période
d'incertitude. Que reste-t-il de la démocratie quand les textes fondateurs sont
ainsi piétinés? Que reste-t-il de la démocratie quand elle triche avec ses
propres principes? Que reste-t-il de la démocratie quand elle est détournée,
caricaturée, méprisée ? Peu de chose en vérité : il n’en reste plus que
l’apparat et l’apparence.
L'afflux de réfugiés burundais vers le Rwanda ou
vers le Sud-Kivu peut-il avoir un effet destabilisateur dans une région des
Grands Lacs déjà déchirée par les violences ?
David Gakunzi. Au regard de l'histoire récente, on peut affirmer
que l'insécurité au Burundi a toujours eu des répercussions au Rwanda et
dans les Kivu, et vice-versa. Nous sommes devant une situation potentiellement
explosive aux conséquences imprévisibles.
Depuis la chute de Blaise Compaoré, des mouvements
de contestation se développent partout sur le continent, lorsque des chefs
d'Etats tentent de se maintenir au pouvoir en trafiquant les constitutions.
Est-ce une lame de fond, traduisant des aspirations démocratiques propres à
bousculer les régimes autoritaires ?
David Gakunzi. Le vent parti de Dakar, avec le mouvement « Y'en a
marre », ensuite relayé par le « Balai citoyen » au Burkina Faso ne s'arrêtera
pas à Bujumbura. C’est que ni à Dakar, ni à Ouagadougou hier, ni à Bujumbura
aujourd'hui, ni demain ailleurs, il n’existe de peuple aspirant à la tyrannie.
La démocratie demeure cette irrésistible aspiration universelle. Irrésistible
car elle fait partie désormais de la culture populaire. Mais restons vigilants :
que l’élan démocratique citoyen actuel de Bujumbura soit brisé dans la violence,
en toute impunité, et tous les aspirants au pouvoir sans limites, tous les
tyrans d'un autre âge, se croiront tout autorisé : bastonner leurs peuples,
arrêter les opposants, faire taire les journalistes, tripatouiller les
constitutions... Resurgiront alors en grande pompe sur la scène de l'histoire
politique africaine tous les Bokassa, tous les Idi Amin, tous les Mobutu avec
leurs délires de grandeur sans bornes. Le combat des démocrates burundais nous
engage donc tous aujourd'hui.
Pour consulter le site -
http://www.humanite.fr/une-dictature-feroce-broyeuse-de-vies-et-de-destins-est-en-train-de-sinstaller-au-burundi-573455