Centrafrique
: à Khartoum, difficiles pourparlers entre groupes armés et
gouvernement
Un
difficile face-à-face doit s'ouvrir le 24 janvier 2018 à Khartoum (Soudan),
entre le pouvoir de Bangui et une quinzaine de groupes armés. Il est
organisé sous l'égide de l'Union africaine (UA). Certains observateurs
s'inquiètent du rôle ambigu du Soudan, allié de Moscou, qui aurait fourni des
armes à certaines unités rebelles.
Franceinfo
avec AFP - le
Dans ce pays
d'Afrique centrale de 4,5 millions d'habitants en
guerre depuis 2013, pas moins de sept accords de paix ont été signés
en cinq ans, sans qu'aucun n'aboutisse au retour de la stabilité. Le
dialogue à venir, préparé depuis juillet 2017 par l'UA, se veut plus ambitieux
que les précédents : les principaux chefs de groupes armés, ainsi qu'une
importante délégation gouvernementale se réuniront à la table de
négociations. "Ces
pourparlers pourraient se poursuivre deux à trois semaines. Il n'y a pas de date
de fin spécifique", a indiqué à l'AFP El-Dardiry Ahmed, ministre
soudanais des Affaires étrangères.
Le dialogue se
tiendra à Khartoum, capitale du Soudan voisin, en proie depuis plusieurs
semaines à une vague
inédite de contestations du pouvoiren place. Ce qui peut apparaître
comme paradoxal : le Soudan est l'"une
des principales plateformes d'approvisionnement en armes des groupes armés
centrafricains", note un observateur de la crise à Bangui qui
s'inquiète de la partialité de ce pays. Information confirmée par le site
spécialisé opex360.
Ce
dialogue "n'inspire
pas confiance", affirme à l'AFP un cadre du Front populaire pour la
renaissance de la Centrafrique (FPRC), l'un des principaux groupes rebelles. Son
leader, Noureddine Adam, sera néanmoins présent à Khartoum. "On
voulait que ce soit dans un pays neutre, à Addis-Abeba (Ethiopie) ou à Kigali
(Rwanda), mais les Russes ont poussé pour Khartoum", ajoute-t-il. Le
Soudan, allié de Moscou, a déjà abrité une tentative de médiation parallèle fin
août 2018, que les principaux partenaires de Bangui ont condamnée. Le
dialogue "doit
se faire sous l'égide de l'UA", et non de la Russie, a plusieurs
fois martelé la France. Depuis quelques mois, la
Russie est très présente dans la région. "Paris
et Moscou sont désormais en concurrence ouverte en République
centrafricaine", expliquait franceinfo
Afrique en décembre 2018.
La Centrafrique
regorge de ressources – uranium, or, diamants, bétail –situées
dans des zones sous influence de groupes armés. Lesquels se combattent entre eux
pour contrôler ces richesses, mais aussi contre les Casques bleus de la mission
de l'ONU (Minusca).
Principale
interrogation avant ce dialogue : la question de l'amnistie des chefs de
guerre, réclamée par tous les groupes armés, comme condition
préalable à un arrêt des hostilités, ce que Bangui a toujours refusé. Les
autorités "auront
du mal à arracher des concessions" à ce sujet, pense le cadre
du FPRC dont les principaux chefs sont fréquemment cités dans des rapports de
l'ONU pour violations des droits de l'Homme.
Une branche des
anti-balakas, milices autoproclamées d'autodéfense, se dit de son côté prête à
faire des concessions "si
c'est dans l'intérêt du pays", selon Igor Lamaka, représentant des
anti-balakas emmenés par Patrice-Edouard
Ngaissona, récemment transféré à la Cour pénale internationale
(CPI).
De son côté, Ali
Darassa, leader d'un autre groupe armé important, l'Unité pour la paix en
Centrafrique (UPC), sera absent. Il a estimé que les récents combats mi-janvier
2019 entre l'UPC et des soldats de l'ONU à Bambari ne "permettent
pas" sa présence au dialogue. Mais son groupe y sera malgré
tout représenté. Une interrogation subsiste autour de la mise en place annoncée
d'un comité de suivi, si un accord est trouvé. "Comment
le gouvernement pourra-t-il contraindre les groupes armés à respecter leurs
engagements ?", se demande un opposant
centrafricain.
"La
paix est nécessaire (...) maintenant", martèle Anicet
Nemeyimana, directeur pour la Centrafrique de l'ONG Catholic Relief
Services. "L'accès
humanitaire dans certaines régions est devenu complètement coupé",
constate-t-il. La population centrafricaine est "livrée
à la violence", rappelle l'ONG
Médecins sans Frontières. "La
Centrafrique (est) un
pays en plein chaos, livré aux violences des groupes armés",
résumait de son côté franceinfo
Afrique en octobre 2017.
La dernière
médiation en date remonte à 2017, sous l'égide de l'Eglise catholique : les
groupes armés avaient repris les armes moins de 24 heures après la signature
d'un accord, et une centaine de personnes avaient été tuées à Bria
(centre). "S’ils
affirment, la main sur le cœur, qu’ils sont prêts à négocier un accord de paix
avec le gouvernement centrafricain, ces mêmes groupes se gardent de mettre en
œuvre la 'moindre mesure concrète sur la voie du
désarmement'",
souligne le site opex 360 qui cite le dernier rapport du groupe d’experts des
Nations unies sur la Centrafrique.
Pour l'heure,
seules les médiations locales, notamment menées par l'Eglise catholique,
semblent aboutir. "Il
serait plus utile de renforcer les processus de dialogue et de médiation au
niveau local", corrobore le groupe d'analyse International Crisis
Group (ICG). L'ICG déplore le "peu
d'effet" des médiations internationales. Le groupe note
qu'elles ont néanmoins "l'avantage
de mobiliser l'attention internationale sur la crise
centrafricaine".
En attendant, les violences se poursuivent. Treize personnes ont été tuées le 19 janvier 2018 dans le village de Zaoro Sangou (ouest de la Centrafrique) par des Peuls armés présumés membres du groupe 3R (retour, réclamation, réconciliation), selon une source à l'ONU citée par l'AFP. Ce groupe armé dirigé par un certain Sidiki, qui prétend protéger les Peuls, est établi dans cette partie du pays depuis sa création fin 2015. Sidiki et des représentants du groupe 3R sont partis le 22 janvier de Bangui pour Khartoum afin d'assister à ces pourparlers.