L’air
de son temps, Coronavirus. Une coincidence, relire : « Avancer par
peur »
Par
Jacques Attali, publié
le 06/05/2009 à 10:23 – L’Express
Une pandémie
majeure ferait surgir la prise de conscience de la nécessité d'un altruisme, au
moins intéressé.
L'Histoire nous apprend que l'humanité
n'évolue significativement que lorsqu'elle a vraiment peur : elle met alors
d'abord en place des mécanismes de défense ; parfois intolérables (des boucs
émissaires et des totalitarismes) ; parfois futiles (de la distraction) ;
parfois efficaces (des thérapeutiques, écartant si nécessaire tous les principes
moraux antérieurs). Puis, une fois la crise passée, elle transforme ces
mécanismes pour les rendre compatibles avec la liberté individuelle et les
inscrire dans une politique de santé démocratique.
La pandémie qui commence pourrait
déclencher une de ces peurs structurantes.
Si elle n'est pas plus grave que les
deux précédentes frayeurs de ces quinze dernières années liées à un risque de
pandémie (la crise de la vache folle en Grande-Bretagne et celle de la grippe
aviaire en Chine), elle aura d'abord des conséquences économiques significatives
(chute de l'activité des transports aériens, baisse du tourisme et du prix du
pétrole) ; elle coûtera environ 2 millions de dollars par personne contaminée et
fera baisser les marchés boursiers d'environ 15 % ; son impact sera très bref
(lors de l'épisode de la grippe aviaire, le taux de croissance chinois n'a
baissé que pendant le deuxième trimestre de 2003, pour exploser à la hausse au
troisième) ; elle aura aussi des conséquences en matière d'organisation
(toujours en 2003, des mesures policières très rigoureuses ont été prises dans
toute l'Asie ; l'Organisation mondiale de la santé a mis en place des procédures
d'alerte à l'échelle planétaire ; et certains pays, en particulier la France et
le Japon, ont constitué des réserves considérables de médicaments et de
masques).
Si l'épidémie est un peu plus grave,
ce qui est possible, puisqu'elle est transmissible par l'homme, elle aura des
conséquences véritablement planétaires : économiques (les modèles laissent à
penser que cela pourrait entraîner une perte de 3 trillions de dollars, soit une
baisse de 5 % du PIB mondial) et politiques (en raison des risques de contagion,
les pays du Nord auront intérêt à ce que ceux du Sud ne soient pas malades, et
ils devront faire en sorte que les plus pauvres aient accès aux médicaments
aujourd'hui stockés pour les seuls plus riches) ; une pandémie majeure fera
alors surgir, mieux qu'aucun discours humanitaire ou écologique, la prise de
conscience de la nécessité d'un altruisme, au moins intéressé.
Et, même si, comme il faut évidemment
l'espérer, cette crise n'est pas très grave, il ne faudra pas oublier, comme
pour la crise économique, d'en tirer les leçons, afin qu'avant la prochaine -
inévitable - on mette en place des mécanismes de prévention et de contrôle,
ainsi que des processus logistiques de distribution équitable des médicaments et
de vaccins. On devra, pour cela, mettre en place une police mondiale, un
stockage mondial et donc une fiscalité mondiale. On en viendra alors, beaucoup
plus vite que ne l'aurait permis la seule raison économique, à mettre en place
les bases d'un véritable gouvernement mondial. C'est d'ailleurs par l'hôpital
qu'a commencé en France, au xviie siècle, la mise en place d'un véritable Etat.
En attendant, on pourrait au moins
espérer la mise en oeuvre d'une véritable politique européenne sur le sujet.
Mais, là encore, comme sur tant d'autres sujets, Bruxelles est muet.
A suivre sur
L’Express :
https://www.lexpress.fr/actualite/societe/sante/avancer-par-peur_758721.html