Fronde de képis au
Mali : des dégradations inappropriées
Les scènes des dégradations de la
propriété de Karim Keïta, député et fils du président démissionnaire, ternissent
une fois encore l'image du continent africain et la vision d'un moment qui
aurait pu être perçu comme une révolution populaire.
Ces actes de vandalisme et de rapine
trahissent surtout l'amateurisme des colonels qui ont pris le pouvoir dans la
capitale malienne. Ces derniers auraient dû prévoir ces débordements et mettre
en place les mesures et dispositifs pour protéger, surveiller et sauvegarder les
biens meubles et immeubles des personnalités arrêtées, quitte à engager ensuite
les procédures judiciaires indispensables pour juger et condamner celles qui
doivent l'être. Après condamnation, les biens jugés mal acquis peuvent ainsi
être saisis, remis au domaine public ou connaître une autre destination
officielle. C’est donc à la justice de faire le tri.
1 – Une pratique coutumière devenue
universelle.
Certes, on comprend la colère des
jeunes maliens et des habitants de Bamako. Ils ont sans doute visionné les
turpitudes dispendieuses de Karim Keïta sur les plages d'Espagne (1). Ils ne sont pas les
premiers à soulager ainsi leurs détresses et frustrations. Bien avant eux, les
mêmes scènes se sont déroulées à Gbadolité, en République démocratique du Congo,
à la mort du maréchal Mobutu. En Afrique, cette pratique est devenue coutumière.
Ainsi, en Guinée, il est courant de voir laisser à l'abandon des réalisations
commencées du temps de Sékou Touré, Lansana Conté ou Dadis Camara. Ici et là, la
nature reprend ses droits sur des immeubles éventrés ou des jardins tombés en
ruines.
Plus encore, le scénario de ces
débordements destructeurs est devenu universel, partout où un pouvoir est
contesté, qu'il soit légitime ou non : aux États-Unis après l'assassinat de
Georges Floyd, en France pendant la crise des Gilets jaunes,
etc.
Dans ces derniers cas, il s'agissait
de bâtiments publics ou de propriétés privées appartenant à des personnes
morales (banques, assurances, centre commercial), protégées par des contrats
d'assurance. Ces biens seront réhabilités ou leurs propriétaires indemnisés
(2).
2 – Des investisseurs à fonds
perdus.
Dans la situation malienne qui nous
préoccupe ici, il n'est pas sûr que l’État puisse se retourner contre les
anciens propriétaires et leurs assureurs respectifs, s'ils en ont, même s'ils
venaient à être condamnés.
En laissant détruire ces immeubles
et propriétés, les militaires putschistes se sont comportés en investisseurs à
fonds perdus. Ils ne pourront pas récupérer ces biens mal acquis, sauf à les
réhabilités au frais du trésor public malien, c'est-à-dire par les
impôts.
A négliger ces aspects pratiques
d'une révolution, les colonels maliens se condamnent à l'échec, en donnant de la
jeunesse de leur pays une fausse et détestable image, que la « mafia des
médias » et leurs adversaires pourront diffuser en boucle. Ces derniers
peuvent ainsi préparer les esprits à l'éventualité d'une intervention
internationale armée, au prétexte de mettre un terme au désordre ambiant,
d'éviter le chaos et d'assurer le retour à l'ordre constitutionnel (3). La
preuve ? Quatre jours après la démission du président malien Ibrahim
Boubacar Keïta, dit IBK, les chefs d’État de la CEDEAO continuent de qualifier
de « tentative de coup d’état » l'insurrection militaire des colonels
maliens !
Paris, le 23 août
2020
Prosper INDO
Economiste,
Consultant
international.
(1) – Le prénom Karim semble frappé de
malédiction tous ceux qui le portent, si on se souvient que le fils du président
sénégalais Abdoulaye Wade, Karim Wade, ministre des infrastructures et des
transports de son père, eût des démêlés avec la justice de son pays, à la fin du
mandat de ce dernier.
(2) – L’ordonnance du 11 juillet 1825
signée par le roi Charles X, qui reconnaît l’indépendance d’Haïti, première
république noire indépendante au monde, la condamne parallèlement à verser une
indemnité de 150 millions de franc-or à la France en dédommagement des planteurs
esclavagistes de canne à sucre et d’indigo ! L’histoire tumultueuse de ce
petit « bout d’Afrique » explique sans doute mieux les péripéties des
indépendances africaines et les besoins de « respiration » de ces
Etats et de leurs peuples. Ainsi, le franc CFA et ses conditionnalités n’ont pas
d’autre but que de solder les comptes des ponts et chemins de latérite laissés
par la colonisation.
(3) – L’impératif du « retour à
l’ordre constitutionnel » a dicté le coup d’état de la Saint Sylvestre 1965
du colonel Jean-Bedel Bokassa, qui a écarté le président élu David Dacko du
pouvoir, lequel a été remis en selle, treize années plus tard, le 22 septembre
1979, par l’armée française, dans le cadre de l’Opération Barracuda, qui a
destitué Bokassa 1er, empereur de
Centrafrique !