Enseignement de l'Afrique à l'école, un oubli coupable

beration.fr, 9 octobre 2015 à 15:29

Dans le nord du Kenya. Photo Siegfried Modola. Reuters
Dans le nord du Kenya. Photo Siegfried Modola. Reuters

L'apprentissage des civilisations de l’Afrique en classe de 5e a été discrètement retirée des programmes. Oubli ou nouveau repli vers le «roman national»?

Enseignement de l'Afrique à l'école, un oubli coupable

En 2010, une question consacrée aux anciennes civilisations de l’Afrique du VIIIe au XVIe siècle avait été introduite dans les programmes de la classe de 5e. Elle reflétait un souci d’ouverture de l’enseignement de l’histoire à l’ensemble du monde. Les enseignants et les chercheurs concernés s’étaient mobilisés pour intégrer et éclairer cette question sur le plan pédagogique. Et nous apprenons qu’aujourd’hui, dans les projets de programme élaborés en avril, puis en septembre 2015, que cette question a été éliminée en catimini.

Son introduction avait suscité à l’époque une polémique grotesque, selon laquelle Louis XIV, Napoléon et Vercingétorix seraient (nous citons) les victimes des «empires du Songhaï et du Monomotapa». Quelques personnes, parfaitement ignorantes de l’histoire de l’Afrique, et dont la connaissance de l’histoire de France avait aussi ses limites, avaient médiatisé leur mauvaise foi sur des réseaux sociaux, mais aussi dans la presse et les médias publics, au nom de la défense d’un prétendu respect du «roman national». Ils oubliaient que Marc Bloch, cité approximativement sur «la fête de la Fédération» et «le sacre de Reims», ironisant sur la grande histoire politique, avait aussi écrit dans l’Etrange défaite qu’il ne croyait «nullement plus difficile d’intéresser un enfant aux vicissitudes d’une technique, voire aux apparentes étrangetés d’une civilisation ancienne ou lointaine qu’à un changement de ministère».

Une exigence intellectuelle

Aujourd’hui ce même obscurantisme est donc de retour. Il ne s’agit pas de remettre en cause la priorité de l’enseignement de l’histoire de notre pays dans les collèges, mais, à une époque où, plus que jamais, la connexion avec les autres parties du monde est essentielle dans la compréhension de cette histoire, il s’agit d’ouvrir les esprits à cette réalité. Un impératif moral, diront certains, mais d’abord une exigence intellectuelle. L’Afrique en particulier est à nos portes, les Africains sont dans notre histoire. Comment comprendre la rupture dramatique causée par la traite des esclaves, comment comprendre le sens des interventions coloniales, si l’on ignore tout de l’histoire qui les a précédées !

Ce ne sont pas seulement les enfants d’origine africaine, nombreux dans nos classes, qui méritent de connaître les aspects les plus brillants du passé de leurs ancêtres, mais tous les élèves si on veut leur éviter l’étroitesse de vues, les préjugés et les retombées d’un racisme hélas toujours vivace. Ce sont donc les valeurs si souvent avancées de «la République» qui sont en cause. Mais surtout c’est le respect de la discipline historique faite d’héritages et de ruptures, mais aussi, à chaque époque, de connexions, proches ou lointaines, qui est en jeu.

Le retrait de la question d’histoire africaine en classe de 5e résonne comme un signal de repliement, d’ignorance et de mépris. Les responsables de la rédaction de ces programmes doivent reprendre leurs esprits, ne pas se laisser intimider par des préjugés d’un autre âge et rectifier cet étrange «oubli».

Par Jean-Pierre Chrétien, Historien et Pierre Boilley , Professeur d’histoire de l’Afrique contemporaine à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, Institut des mondes africains.