Nouvelles technologies: les limites de l’Afrique 2.0

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Dans un rapport sur les Dividendes numériques, publié le 13 janvier, la Banque mondiale brosse un tableau mitigé des progrès réalisés grâce aux nouvelles technologies. Elle rappelle que 60% de la population mondiale reste exclue d’une économie «numérique» en plein essor.

Plus de croissance, plus d’emplois, de meilleurs services publics : autant de promesses non tenues par la révolution numérique, qui a vu tripler ces dix dernières années la part de la population mondiale connectée, note le rapport de la Banque sur les Dividendes numériques.

Une large partie du monde reste exclue de ces avancées, qui contribuent à creuser les inégalités en rendant les personnes aisées et connectées plus productives – mais pas les autres, considérées comme « non qualifiées » dès lors qu’elles ne connaissent pas les nouvelles technologies. Au total, 4,3 milliards de personnes, en Asie du Sud et en Afrique, n’ont pas accès à internet, tandis que 800 millions sur la planète n’ont pas non plus de téléphone portable.

« Pour chaque personne connectée dans un pays en développement, trois autres ne le sont pas, voire vingt autres dans certains pays », souligne le document. Au Cameroun, au Ghana, au Kenya et en Ouganda, plus de trois usagers sur quatre doivent se rendre dans des cafés internet pour se connecter, à des tarifs élevés pour des connexions lentes.

Un tableau contrasté en Afrique

Communiquer, se divertir, être sur les réseaux sociaux, rechercher des informations… Tels sont les usages universels du web. Particularité africaine cependant soulignée par l’étude de la Banque mondiale : un usager sur quatre, au Sud du Sahara, déclare se servir d’internet pour obtenir des informations médicales ou pédagogiques.

L'Afrique est en pointe dans le mobile banking, avec le succès du système M-Pesa en Afrique de l'Est. Dans cette région, plus de 40% des adultes paient leurs factures par téléphone, contre 2% de moyenne mondiale. En Chine, 8 millions d’entrepreneurs vendent des biens à travers le monde via internet, un niveau que n’ont pas encore atteint les pays africains qui visent, eux aussi, l’émergence.
 
Sur des marchés de niche, les nouvelles technologies font certes une différence, comme la plate-forme Anou au Maroc, qui permet à des artisans des zones rurales d’exporter directement, sans intermédiaires. Au Kenya, la plate-forme iProcure connecte de manière non moins efficace à des acheteurs les fournisseurs de produits agricoles, dont la fiabilité est testée par le site.

Des sites de vente de produits de grande consommation comme Konga au Nigeria et Takealot en Afrique du Sud, redistribuent les cartes dans le secteur de la distribution de la même manière qu’aux Etats-Unis, où 25 % des ventes d’ordinateurs et d’électro-ménager se font en ligne.

Mais de manière générale, leur essor reste entravé par les obstacles bien connus du monde des affaires africain : l’absence de services postaux fiables pour délivrer des colis, le faible taux de bancarisation et des moyens de paiement en ligne adaptés au marché – moins de 10% de la population dans les pays en développement disposent d’une carte de crédit et seuls l’Afrique du Sud et le Maroc proposent plus de trois services différents de paiement en ligne de type PayPal.

Les limites de l’Afrique 2.0

Selon le rapport, les firmes africaines de plus de 5 employés qui se servent d’internet voient leurs salariés réaliser des ventes 4 fois supérieures à celles des entreprises sans internet. Une étude réalisée en 2014 auprès de 2 300 entreprises dans 6 pays (Ghana, Kenya, RDC, Tanzanie, Ouganda et Zambie) permet de mieux saisir l’impact du numérique sur l’économie. Dans les manufactures et les services, la part des entreprises connectées va de 22% en Tanzanie à 73% au Kenya. Sans surprise, 41% des sociétés kényanes opérant dans les services gèrent leur inventaire à l’aide d’internet, contre 12% en Ouganda et 8% en RDC.

Le rapport de la Banque mondiale relève qu’internet ne facilite guère l’accès à l’administration en Afrique subsaharienne. Il n’est pas non plus la principale source d’information (seulement pour 2% de la population, comme en Asie du Sud). Les médias traditionnels, radio-télévision et journaux imprimés, ont encore un bel avenir.

En revanche, internet joue un rôle important de mobilisation sociale via Twitter et Facebook, observé durant les Printemps arabes et dans plusieurs pays d’Afrique où des sites citoyens moins connus que Uhashidi au Kenya existent aussi, comme Huduma au Kenya, U-report en Ouganda et Sauti Wa Wananchi (« La voix des citoyens », en swahili) en Tanzanie.

Les recommandations de la Banque mondiale

La Banque mondiale préconise de rendre universel l’accès à internet, et d’augmenter les dépenses d’éducation pour alphabétiser les 20% de la population mondiale qui ne savent ni lire ni écrire. Sans surprise, l’institution financière internationale plaide par ailleurs pour la libéralisation du marché numérique. Elle rappelle que les seuls pays à avoir encore un monopole d’Etat sur les fournisseurs de services internet et de télécommunications mobiles, comme Djibouti, l’Erythrée et l’Ethiopie, ne font pas aussi bien que les autres en termes d’accès aux technologies.

Dans un chapitre détaillé consacré à la Somalie, le rapport montre que des pays en conflit trouvent des moyens de survie grâce à internet et le téléphone mobile, qui facilite notamment des transferts d’argent importants faits par la diaspora somalienne. Pas moins de 38% des Somalis salariés sont payés via le téléphone mobile, contre 25% des Kényans. Revers de la médaille : le groupe islamiste armé des Shebabs se sert aussi des nouvelles technologies pour recruter et répandre son idéologie.