Retrait
de l’Afrique de la CPI : un nouveau permis de tuer ?
Par
Hamidou Anne - Le Monde.fr - le 02.02.2016 à 13h31
Sous l’impulsion du
président kényan Uhuru Kenyatta, l’Union africaine (UA) a adopté, dimanche 31
janvier, à l’issue de son 26e sommet, une proposition ouvrant la voie à un
possible retrait en bloc des Etats africains de la Cour pénale internationale
(CPI). L’argument d’une cour qui s’en prend uniquement aux Africains a fait son
chemin pour arriver à cette annonce historique d’Addis-Abeba qui survient,
faut-il le noter, quelques jours après l’ouverture du procès de Laurent Gbagbo à
La Haye.
Certes,
la CPI est critiquable à bien des égards. Son attitude incohérente sur le cas
Kenyatta, son échec patent concernant Omar Al-Bachir en juin 2015 et son
incapacité à attraire des personnes coupables d’horreurs ailleurs dans le monde
constituent des marqueurs de ses limites.
Lire
aussi : Burundi,
terrorisme, CPI… que retenir du 26e sommet de l’Union
africaine ?
Mais
une imperfection juridique n’est-elle pas meilleure qu’un vide qui délivre un
permis de tuer à des monstres ? Cette cour est imparfaite, mais elle s’est posée
depuis 2002 comme une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de
criminels de guerre semant l’horreur. L’existence de la CPI est déjà un mérite
de notre époque.
Point
marketing
L’argument
du racisme de la CPI est un point marketing extrêmement lucratif en Afrique.
Mais est-il du niveau des vies humaines avec lesquelles on s’amuse au quotidien
sur le continent ?
De
surcroît, malgré le pouvoir de la démocratie représentative, les chefs d’Etat
africains ne doivent pas imposer leurs strictes vues sur leur peuple. Car c’est
lui d’abord la victime des crimes et des barbaries commises. Or, avec cette
décision, l’UA promeut délibérément l’impunité et rejette l’Etat de droit au
profit d’une coquetterie politique enrobée dans un discours aux allures
antiracistes.
En
effet, nos chefs d’Etat estiment que seule l’Afrique est la cible de la CPI
pendant que d’autres crimes atroces se déroulent ailleurs dans le monde en toute
impunité. Argument recevable.
Lire
aussi : Laurent
Gbagbo, un procès crucial pour la Cour pénale internationale
Mais
dire que des atrocités sont commises sur d’autres parties du globe est une
chose. Arriver à expurger l’Afrique de ses propres crimes en est une autre,
moralement supérieure. Il faut que nous arrivions sur le continent à nous
dénoncer.
Ne
pas détourner les yeux
Le
Burundi, l’est de la République démocratique du Congo (RDC), le Soudan parmi
d’autres exemples nous empêchent de faire fi d’une cruelle réalité. Elle est sur
nos écrans, terrible, massive et atroce. Regardons-la en face. Ne détournons pas
les yeux.
Mais
de l’exigence de justice et de réparation des torts des millions de femmes et
d’enfants victimes de guerres qu’ils n’ont ni provoquées, ni voulues, l’UA
semble se détourner pour répondre positivement à la dernière requête de son
syndicat de VIP et de nombreuses voix de la société civile afro-centriste. En
effet, cette décision n’aurait pu être adoptée sans un soutien d’une partie de
l’élite africaine plus soucieuse de « réparer » l’humiliation raciste de la CPI
que de préserver un mécanisme de justice supranationale efficace, bien que
perfectible.
Lire
aussi : Indispensable
justice internationale
Quitter
la CPI est devenu le nouvel horizon indépassable de cette alliance aux relents
chevaleresques, armée de la volonté de rendre à l’Afrique son honneur
perdu.
Les
sanglots des femmes violées dans le Kivu, la solitude de l’orphelin peuvent
attendre. L’urgence est de quitter la CPI. Ensuite, au hasard des sommets
d’Addis-Abeba, on trouvera bien un ersatz de justice internationale soucieuse
cette fois du respect de la peau noire. Pendant ce temps, il est permis de tuer,
dans la totale impunité.
Hamidou
Anne est membre du cercle de réflexion L’Afrique des idées. Chroniqueur, Le
Monde Afique, Dakar)
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UA : le président tchadien critique la politique de "deux poids
deux mesures " de la CPI
ADDIS
ABEBA- aps.dz
Lundi, 01 Février 2016 16:38
- Le président tchadien Idriss Déby Itno, désigné samedi nouveau président en
exercice de l'Union africaine (UA), a critiqué la politique de "deux poids deux
mesures" de la Cour pénale internationale (CPI) à l'égard de l'Afrique, alors
que le Kenya a soumis, à l'UA à Addis Abeba, une initiative visant à un retrait
des pays africains de cette instance.
"Le
constat que nous avons fait, (c'est que) la CPI s'acharne beaucoup plus sur
l'Afrique, sur les chefs d'Etat africains, y compris des chefs d'Etat en
exercice, alors qu'ailleurs dans le monde, beaucoup de choses se passent,
beaucoup de violations des droits de l'Homme flagrantes, mais personne n'est
inquiété", a déclaré dimanche le président tchadien Idriss
Déby.
"Il
y a là deux mesures, deux poids", a estimé M. Déby. "C'est pour cela que nous
avons décidé d'harmoniser notre position en attendant que la CPI prenne la
mesure de l'importance de la position africaine sur cette question", a-t-il
ajouté.
Aucune
décision légalement contraignante n'a été prise et il revient toujours à chaque
pays de décider individuellement de quitter ou non la CPI, première cour pénale
internationale permanente, dont le fonctionnement est régi par son traité
fondateur, le Statut de Rome, entré en vigueur le 1er juillet
2002.
Mais
le gouvernement kényan, depuis longtemps déjà très critique à l'égard de la CPI,
qu'il accuse de cibler injustement les dirigeants africains, a soumis une
"proposition (...) pour que l'UA développe une feuille de route pour le retrait
des pays africains (de la CPI)", qui a été adoptée au sommet de
l'UA.
La
CPI a ouvert la semaine passée le procès de l'ancien président ivoirien Laurent
Gbagbo, qui est devenu le premier ex-chef d'Etat poursuivi par la juridiction
internationale depuis sa création.
Créée
en 2002 pour juger en dernier ressort les génocidaires et criminels de guerre
qui n'ont jamais été poursuivis dans leur propre pays, la CPI a ouvert des
enquêtes sur huit pays au total, tous africains: Kenya, Côte d'Ivoire, Libye,
Soudan, République démocratique du Congo, Centrafrique, Ouganda et
Mali.
Le
Kenya est en pointe dans la critique de la CPI, qui a dû abandonner en décembre
2014 - faute de preuves - des poursuites à l'encontre du président kényan Uhuru
Kenyatta pour son rôle présumé dans les violences post-électorales de
2007-2008.