Souleymane Jules Diop : "L'Europe ne peut pas faire
payer aux Africains les conséquences du chaos libyen !"
22/04/2015
à 12:34 Par
Mathieu Olivier
Le secrétaire d'État aux
Sénégalais de l'extérieur, Souleymane Jules Diop. ©
DR
Depuis
le début de l'année 2015, plus de 1 750 migrants ont trouvé la mort en
Méditerranée, dont de nombreux ressortissants du Sénégal. Une tragédie dans
laquelle l'Europe doit assumer sa responsabilité, selon le secrétaire d'État aux
Sénégalais de l'extérieur, Souleymane Jules Diop.
Interview.
Depuis
le début de l'année 2015, 1 187 migrants d'origine sénégalaise ont atteint les
côtes italiennes, selon les autorités transalpines. D'autres, dont on ne
connaîtra jamais le nombre, n'ont pas eu cette chance, victimes d'un des
nombreux naufrages qui ont endeuillé la mer Méditerranée.
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Lire aussi : "Chaos
libyen, crises, euros et météo : pourquoi l'immigration en Méditerranée est
devenue un drame global"
Victimes,
surtout, pour Souleymane Jules Diop, ministre des Sénégalais de l'extérieur,
d'une responsabilité partagée entre les pays d'origine, les familles des
candidats à l'immigration et les pays européens, qui ont fait de la Libye une
poudrière.
Jeune
Afrique : Plus de 800 migrants, parmi lesquels probablement des Sénégalais, ont
péri dans la nuit du 18 au 19 avril en Méditerranée. Quelle est votre réaction
?
Souleymane
Jules Diop : C'est
un drame. L'Italie est effectivement une des destinations principales des
Sénégalais. Les familles sont partagées entre la consternation et l'expectative.
Elles attendent les résultats des autopsies et l'identification des corps. Mais
cela reste très difficile car les migrants n'ont pas de papiers en général. On
ne peut pas donner de bilan précis pour le moment. Nous nous attendons au
pire.
L'année
2015 est particulièrement meurtrière. Qui est responsable ?
Il y a
une responsabilité partagée par les pays d'accueil et par ceux d'origine. Mais
les familles, qui veulent coûte que coûte envoyer leurs enfants dans des
conditions inhumaines, ont également leur part. C'est le message que nous
voulons lancer dans les zones de départ : les dangers sont énormes dans les
zones de transit pour l'Europe et réussir à passer est un miracle. D'autant que
cela n'assure ni les papiers, ni une bonne situation. Beaucoup de personnes, qui
passent notamment par le Niger ou le Tchad, paient des passeurs véreux et des
narcotrafiquants pour finir par se retrouver perdu en mer et y perdre la
vie.
Les
familles qui envoient leurs enfants dans des conditions inhumaines, ont
également leur part de responsabilité.
Pourquoi
autant de Sénégalais cherchent-ils à gagner l'Europe ?
Il
faut d'abord savoir que beaucoup de migrants, notamment maliens ou ivoiriens, se
font passer pour des Sénégalais. Mais il est vrai que beaucoup de jeunes, du
Sénégal oriental notamment, quittent le pays. Ils sont des milliers à rejoindre
l'Espagne ou le Maroc, à tel point que ces pays sont en train de surclasser la
France en termes de nombre de Sénégalais présents sur leur sol. Il y a
aujourd'hui entre 83 000 et plus de 100 000 compatriotes en Espagne et notre
diaspora représente trois millions de personnes, soit un quart de la population
nationale ! Ils ont l'espoir d'une vie meilleure, quelle que soit celle qu'ils
ont au pays, même s'ils n'ont pas toujours conscience du
danger.
L'État
sénégalais fait-il suffisamment pour lutter contre cet exode, qui peut s'avérer
très meurtrier ?
Nous
nous battons. Nous avons investi et mis en place des domaines agricoles
communautaires pour retenir les candidats à l'immigration. Il fallait également
un meilleur contrôle de nos frontières car, depuis 2000, il y avait une mauvaise
gestion du phénomène des pirogues. Des milliers de personnes partaient vers
l'Europe et une véritable économie mafieuse s'était bâtie. Nous avons fait
beaucoup d'efforts, en collaboration avec d'autres pays, comme l'Espagne,
l'Italie ou la France. Mais l'État a aussi des priorités au pays, auxquelles il
doit faire face.
Que
fait l'État pour les migrants qui ont quitté le pays ?
Nous
avons engagé un processus d'identification des Sénégalais en Libye en octobre
dernier. C'est extrêmement difficile car ils sont pour la plupart dépouillés de
leurs papiers d'état civil. Mais nous avons réussi, avec l'aide l'Organisation
internationale pour les migrations (OIM), à organiser trois vols de rapatriement
pour plus de 400 compatriotes qui étaient notamment dans la zone de Misrata.
Nous avons également rapatrié des Sénégalais depuis la Centrafrique, ce qui a
coûté un milliard de francs CFA, et nous cherchons à faire de même pour le
Maroc. Ce sont des vies sauvées mais tout ceci est coûteux et nous n'en avons
pas vraiment les capacités logistiques et financières. Il faut que l'Europe
prenne également sa part de responsabilité. Mais, malheureusement, elle regarde
faire pour le moment.
Quand
la Libye était stable, elle était pourvoyeuse de trois millions d'emplois pour
les Subsahariens.
N'est-ce
pas à l'Union africaine ou à la Cedeao, en ce qui concerne le Sénégal ou le
Mali, d'être plus actives ?
Non,
les migrants ne sont pas uniquement des ressortissants de la Cedeao ou, plus
largement, des Subsahariens. Ce sont également des Irakiens, des Syriens, des
Libyens... De toute façon, la Cedeao n'en a pas les moyens. L'Europe a eu les
capacités logistiques et militaires et a utilisé des milliards pour bombarder la
Libye et, une fois le désordre installé dans le pays, a laissé les populations
livrées à elles-mêmes. C'est tout à fait indigne et inacceptable. Quand la Libye
était stable, elle était pourvoyeuse de trois millions d'emplois pour les
Subsahariens. L'Europe ne peut pas faire payer aux Africains les conséquences du
chaos libyen !
Les
chefs d'État ne semblent pas très enclins à porter ce message ces derniers
jours. Ils sont même plutôt silencieux...
Mais
ce sont des discussions qui reviennent régulièrement dans le cadre diplomatique
! En matière d'immigration et de coopération, il y a d'ailleurs eu énormément
d'accords qui ont été signés. Malheureusement, l'Europe ne les respecte jamais,
y compris en termes de participations budgétaires au développement des pays
d'Afrique subsaharienne. En réalité, il n'y a jamais eu de mise en œuvre réelle
des accords signés sur la coopération, l'immigration de travailleurs ou
d'étudiants. Il est vrai que, aujourd'hui, les pays européens sont plongés dans
une crise économique profonde. Mais il y a un minimum qui n'a pas été
fait.
http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20150421192434/immigration-souleymane-jules-diop-crise-en-libye-immigration-souleymane-jules-diop-l-europe-ne-peut-pas-faire-payer-aux-africains-les-cons-quences-du-chaos-libyen.html