Vers un trou noir en Afrique centrale ?
Par Didier
Niewiadowski – Jeune Afrique, 31
mai 2017 à 16h35
Photo aérienne prise
le 8 mai 2017 près de Zemio, dans l'est de la Centrafrique, une région où la LRA
de Joseph Kony est active. © Zack Baddorf/AP/SIPA
Les alarmes ne
cessent de sonner en ce qui concerne le Cameroun, la RD Congo et le Tchad.
Faute
d’une véritable prise en compte des ressorts de la crise centrafricaine,
l’ancien Oubangui-Chari est devenu un État-croupion, ce que craignait Barthélémy
Boganda, le père de la nation centrafricaine. Le Soudan du Sud, créé en
contrevenant au principe de l’intangibilité des frontières cher à l’Union
africaine, l’État fédéral est en mille morceaux et en guerre civile. La RDC ne
répond plus, depuis longtemps, à la définition classique d’un État :
« personnalité morale de droit public, contrôlant un territoire bien
identifié par des frontières, organisant un ordre social, juridique et politique
pour un groupement humain relativement homogène mais attaché à un vouloir-vivre
collectif et représenté par une autorité à qui a été confié le pouvoir de
contrainte ».
Une
zone de non droit en création
Cet ensemble
au cœur de l’Afrique, à la jonction du Sahel arabo-musulman et des espaces
animistes et chrétiens de la forêt équatoriale, représente 5 700 000 de km2 soit
neuf fois la superficie de la France et près de 143 millions d’habitants. Ces
six pays, dont cinq francophones, deviennent inexorablement une zone de non
droit avec des clans présidentiels se perpétuant au pouvoir, enjambant les
élections en toute quiétude, et laissant leur population aux bons soins des ONG
humanitaires et des religieux qui ne visent pas que l’au-delà. Ce désastre
annoncé peut-il encore être évité ? Sans un ressaisissement des institutions de
Brettons Wood, de l’ONU et des partenaires qui comptent, les bandes armées non
contrôlées se réclamant plus ou moins du djihadisme et les trafiquants
transnationaux s’installeront durablement dans cette
région.
Le
pire n’est jamais certain
La division
par deux du prix du baril de pétrole conjuguée à la chute des exportations
constitue un accélérateur de la crise économique, sociale et politique au Tchad,
désormais en cessation de paiements, au Congo, qui ne se relève pas de la énième
réélection de son président, au Soudan du sud, en guerre fratricide, et, dans
une moindre mesure, au Cameroun, qui voit la résurgence de la question anglophone et qui doit faire face aux
turbulences de l’Extrême-nord. Cette situation pourrait être mise à profit pour
réduire la dépendance vis-à-vis de cette rente liée à l’économie mondiale pour
donner la priorité au développement rural et notamment à l’agriculture. Le
profit pourrait se développer au détriment de la rente. Il en est de même pour
les États miniers que sont la Centrafrique et la RDC où « les diamants du
sang » alimentent la multitude de rébellions auxquelles on aurait
infiniment tort de donner une qualification religieuse. Il serait temps de
mettre fin aux trafics illicites qui aboutissent à Dubaï et à Anvers, ville
située à 150 km de Bruxelles, siège de l’Union européenne.
Les élections dans
cette zone sont souvent des mirages de démocratie
La
coexistence pacifique et harmonieuse entre le pouvoir et la liberté doit être
rétablie. Comment peut-on encore accepter les manipulations constitutionnelles
et les « hold up » électoraux ? Les élections dans cette zone sont
souvent des mirages de démocratie. Le casting des présidents, élus au suffrage
universel direct, est éloquent : Paul Biya ( 84 ans) est président du Cameroun
depuis 1982, Denis Sassou-Nguesso (75 ans) président du Congo depuis 1979 (avec
une interruption de 1992 à 1997), Idriss Deby Itno ( 65 ans) président du Tchad
depuis 1990, la Camarilla autour du président centrafricain, Faustin Archange
Touadera (60 ans), est à la « mangeoire » depuis une vingtaine d’années. Le clan
Kabila, en RDC, règne sans partage depuis le renversement de Mobutu
(1997).
La montée en
puissance d’une jeunesse mondialisée, avide du changement, ne sera-t-elle pas
trop tardive ? Dans quelles conditions ces chefs d’État vont-ils passer la main
? À part Joseph Kabila, ces présidents sont nés avant l’indépendance de
leur pays alors que plus de la moitié de la population a moins de 18 ans. Un
nouveau paradigme fondé sur une véritable décentralisation, un régime plus
parlementaire que présidentiel avec l’abandon de l’élection du président de la
République au suffrage universel direct, l’éloignement de la scène politique des
fossoyeurs de l’État de droit par l’indignité nationale, la création d’une
organisation pour l’harmonisation du droit pénal et de la procédure pénale sur
le modèle de l’OHADA pour les membres de l’OIF, pourraient utilement revitaliser
ces États. Sans la pression internationale et une plus forte conditionnalité de
l’aide ces réformes sont évidemment illusoires.
Didier Niewiadowski
est un Juriste français. Il a été en service durant 38 ans au ministère de la
Coopération et à celui des Affaires étrangères.
http://www.jeuneafrique.com/443884/politique/vers-trou-noir-afrique-centrale/