Climat: la France joue son va-tout diplomatique

Richard Werly  - jeudi 10 septembre 2015  - letemps.ch

 

Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères, très impliqué dans ce marathon diplomatique. (AFP)

Le lancement officiel ce jeudi à l’Elysée des préparatifs pour la conférence sur le climat COP 21 reflète la volonté de Paris d’arracher enfin en décembre un accord multilatéral contre le réchauffement de la planète

Ils n’osent même pas l’évoquer. Au Quai d’Orsay – le siège du ministère français des Affaires étrangères – l’échec de la conférence sur le climat de Copenhague en 2009 est un tabou absolu. Pas question, pour la sherpa climatique française Laurence Tubiana, d’envisager une deuxième impasse diplomatico-politique lors de la réunion à Paris de la COP 21, du 30 novembre au 11 décembre.

Le président François Hollande, qui a lancé ce jeudi à Paris les préparatifs concrets de ce sommet qui réunira plus d’une centaine de chefs d’Etat ou de gouvernements, et les délégations des 196 pays représentés aux Nations unies, en a fait le point d’orgue de sa stature internationale. Tout doit être fait, ne cesse-t-il de répéter, pour l’obtention d’un accord contraignant assorti d’un plan de financement capable d’atteindre, en 2020, les 100 milliards de dollars prévus pour permettre aux pays les plus touchés de faire face au défi de la montée des eaux et de la déforestation.

Pour y parvenir, la diplomatie française mise sur une stratégie duale: multiplier les rencontres préparatoires au niveau ministériel, comme celle organisée dimanche et lundi dernier et à laquelle participait Doris Leuthard. Mais aussi mettre un maximum de pression sur les négociateurs officiels onusiens – sous la coprésidence de l’Américain Daniel Reifsnyder et de l’Algérien Ahmed Djoghlaf – basés à Bonn, qui doivent accoucher, durant la première quinzaine d’octobre d’un texte court d’une vingtaine de pages, au lieu d’une centaine actuellement.

Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères, très impliqué dans ce marathon diplomatique, a pris l’habitude de répéter que le processus onusien est très compliqué, en y opposant sans le dire les progrès politiques accomplis selon lui avec l’aide du Pérou, actuel président de la COP 20. Le mandat du Pérou s’achèvera avec la conférence de Paris tandis que celui de la France démarrera alors pour un an.

Soucieuse de ne pas répéter l’erreur de Copenhague, où les chefs d’Etat ou de gouvernement arrivés sur place en milieu de conférence compliquèrent la tâche aux négociateurs et finirent par «tuer» l’accord multilatéral, la France s’efforce de dissocier au maximum la visibilité politique indispensable du travail diplomatique. «L’idée est d’avoir les grands dirigeants à Paris en début de sommet, pour donner l’impulsion, puis de les réinviter au cas où pour la signature explique un diplomate. L’objectif est de faire en sorte qu’ils ne s’impliquent pas dans la «cuisine» climatique».

Pour que cette «cuisine» débouche sur un accord, les autorités françaises prévoient en outre d’impliquer le secteur privé, dont la participation est cruciale pour le financement. Une grande importance est accordée par Paris au prochain rapport que l’OCDE, basée dans la capitale française, doit rendre sur les aspects financiers lors des Assemblées générales du FMI et de la banque mondiale le 9 octobre à Lima (Pérou).

Ce week-end, le banquier Genevois Patrick Odier est ainsi venu plancher, devant une cinquantaine de ministres, sur les «obligations vertes» et les placements écologiques. 60 pays ont pour l’heure présenté leur «contribution» officielle à la COP 21, dans la foulée de la Suisse qui avait été la première à le faire le 27 février 2015. C’est encore trop peu. Une «pré-COP» sera organisée à Paris début novembre pour accélérer le mouvement au maximum. Entre-temps, cette offensive donnera à coup sûr de nouvelles occasions de concurrence, relayées par les médias, entre Laurent Fabius et la ministre de l’environnement Ségolène Royal, ex-compagne de François Hollande et bien désireuse d’apparaître au premier plan.

Côté logistique, la France accueillera la COP 21 au Bourget, au nord du Paris, où se tient chaque année le plus grand salon aéronautique au monde. Le pavillon principal de la conférence, construit pour l’occasion entièrement en bois «100% filière française» sera, chose rare, contigu aux pavillons de la presse et aux autres installations ouvertes aux entreprises et à la société civile. 40 000 visiteurs sont attendus pendant les dix jours, qui pourraient être prolongés, dont 17 000 délégués et 3000 journalistes.

Le budget annoncé est de 170 millions d’euros. La conduite de la Conférence sera en revanche aux mains de l’ONU, qui a négocié une immunité diplomatique pour tous les participants. Les trajets entre Paris et Le Bourget se feront par les liaisons ferroviaires habituelles de desserte de la banlieue, ce qui ne devrait pas manquer de piquant dans un nord parisien où les trains sont d’ordinaire surchargés aux heures de pointe.