Petits arrangements sur le sort des forêts africaines

 

11 septembre 2015, par  Ressources africaines

 

Carte WWF des "fronts de la déforestation" en Afrique (©Sébastien Hervieu)

Soyons honnête. En atterrissant dans la cité côtière sud-africaine, Durban, pour assister au Congrès forestier mondial qui s'est tenu cette semaine, l'espoir d'entendre des bonnes nouvelles sur la santé des forêts de la planète était mince.

La petite musique ambiante, jouée notamment par des ONG à la communication spectaculaire, était plutôt rythmée par des cris d'alerte pour stopper enfin le massacre de ce couvert végétal.

Verre à moitié plein

Et bien sûr, des faits. Comme les conclusions de cette étude récemment publiée par Global Forest Watch, révélant la disparition de 18 millions d'hectares de forêts dans la seule année 2014. Presque un tiers du territoire de la France métropolitaine.

Alors la lecture à Durban du rapport de la FAO, publié seulement tous les 5 ans, redonna presque du baume au cœur :

"L’Évaluation des ressources forestières mondiales 2015 (FRA) révèle une tendance très encourageante au chapitre du ralentissement du rythme de la déforestation et des émissions carbones provenant des forêts, et à l’augmentation des capacités en matière de gestion durable des forêts."

 

Conférence de presse au Congrès forestier mondial (©FAO)

L'organisation onusienne préfère voir le verre à moitié plein en se félicitant d'un "ralentissement du rythme de la déforestation" au lieu d'insister sur la poursuite du recul. Après tout, pourquoi pas, si les efforts fournis commencent à produire leurs effets.

Mais au sein d'une délégation d'experts français, cette lecture fait plutôt sourire. "La FAO annonce une déforestation brute annuelle moyenne sur la période 2010-2014 de 7,6 millions d'hectares, tandis que Global Forest Watch annonce une déforestation brute de 18 millions d'hectares en 2014. Cherchez l’erreur…"

Les "impératifs diplomatiques" de la FAO

"En général, un ou deux ans après le rapport FRA, la FAO poste discrètement sur son site un communiqué indiquant qu’avec la télédétection par satellite, une autre méthode que celle utilisée par FRA, obligé lui de s’appuyer sur les données fournies par les pays, ben, finalement, la déforestation mondiale a augmenté… et non pas diminué".

Ces spécialistes en veulent pour preuve le communiqué de 2011, un an après l'annonce d'une baisse de la déforestation dans le rapport FRA 2010. "C’est dur d’être une organisation internationale tenue par les impératifs diplomatiques qui vont avec… Bref, attendons le discret communiqué – en 2016 – de la FAO."

 

Sans que cela soit forcément contradictoire, un chercheur du CIRAD rappelait aussi à Durban que les gouvernements ont maintenant "parfois intérêt à exagérer les chiffres de la déforestation – ou à prévoir le pire – dans l’attente d’aides financières substantielles" dans le cadre du mécanisme international de financement REDD (Réduction de la déforestation et de la dégradation forestière).

Dans tous les cas de figure, les conclusions restent les mêmes pour les forêts africaines : elles continuent de rétrécir. Selon le FRA 2015, elles ont perdu 2,8 millions d'hectares par an de 2010 à 2015, principalement à cause de l'extension des surfaces agricoles.

"Sur le papier, tout va bien"

Si les efforts du Gabon sont salués (gain annuel de 200 000 hectares), les autorités du Nigeria, Zimbabwe, Tanzanie et de la République démocratique du Congo (RDC) sont pointées du doigt. Ces quatre pays sont placés dans le top 10 des pays qui ont le plus perdu de couvert forestier ces cinq dernières années.

Outre la déforestation, la dégradation forestière - moins médiatisée - inquiète aussi. "Il suffit de déboiser pour faire passer une route à travers une forêt pour déstabiliser l'équilibre général de celle-ci" précise un responsable de WWF.

A la tribune du Congrès forestier mondial (©FAO)

A la tribune, plusieurs intervenants ont salué l'augmentation du nombre de plans d'aménagement forestier et des surfaces protégées. Mais pour ce fin connaisseur des coulisses de la gestion des forêts d'Afrique centrale, "sur le papier, en effet, tout va bien. Mais dans la pratique, les gouvernements ont plutôt tendance à gonfler les chiffres, ils ne prennent pas trop de risques car il y a un manque de vérification indépendante."

Présent à Durban, il regrette aussi l'attitude des États du bassin du Congo vis-à-vis de l'exploitation illégale. "Fondamentalement, il n'y a pas vraiment de volonté politique de transparence car des individus au sein des administrations tirent un bénéfice financier de cette opacité". En clair, le profit de la corruption.

Bilan mitigé des ONG

Concernant les ONG de conservation de la forêt, il juge leur bilan mitigé : "celles qui travaillent sur la durée obtiennent des résultats, mais je leur reproche parfois leur manque d'objectivité, elles préfèrent souvent taper sur les sociétés privées exploitantes plutôt que les gouvernements avec qui elles risquent plus gros à cause de leurs moyens de pression (octroi de visas, etc.)".

S'il note une prise de conscience croissante des communautés affectées par la déforestation, l'homme qui vit à Kinshasa regrette des réponses "qui ne sont pas suffisamment coordonnées". Sur les estrades de Durban, les orateurs ont beaucoup invoqué les intérêts des populations locales. Mais on n'a guère pu entendre celles-ci de vive voix, faute de représentants présents sous les projecteurs.

 

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