Co-Développement, un concept
fantôme
Parler du développement, du
développement économique en Afrique Noire, c’est à vrai dire parler d’un
concept-fantôme qui a hanté durablement ses habitants, et qui à force d’avoir
été agité, a perdu à leurs yeux, toute espèce de crédit ou de
légitimité.
Depuis bientôt deux
générations, que n’a t’on dit à son sujet ? Que n’a t’on promis à son
propos ?
D’abord qu’il était, telle
une terre promise, naturellement à la portée de tous, au service de ces jeunes
nations, de ces contrées en jachère qui s’éveillaient à la modernité et que par
un processus mécanique, elles vivraient, elles aussi, les étapes de la
croissance économique, conduisant à coup sûr leurs économies à l’ère de
l’industrialisation, conçue, alors, comme le stade
suprême.
Le fameux décollage, ce
« take-off » cher à ROSTOW, devait advenir et dans le ciel azuré du
progrès, surgirait, à l’horizon, le développement.
En prophète clairvoyant,
mais quelque peu rabat-joie, René DUMONT, nous ramena bien vite, sur terre,
l’Afrique pour un certain nombre de facteurs, de nos jours, évidents, était mal
partie.
Il y eut une panne au
décollage !
Pour autant, l’idée d’un
développement possible perdurait, comme un idéal, un horizon indépassable et
indiscutable, une sorte de salut.
Les écoles de pensée, par la
voix de leurs grands prêtres devenus dans nos sociétés contemporaines de
nouveaux Aristote, des émules de Socrate, certes divergeaient sur les principes
ou les méthodes applicables, sur les instruments ou les mécanismes, mais sans
désespérer le moins du monde, d’une foi unanime.
A cette fin, on enseigna à
ces pays, à peu près tout et son contraire !
On prôna, toujours dans le
dessein d’un développement à venir, la mise en place d’un puissant service
public que l’on constitua, à grands frais, grâce aux capitaux considérables
obtenus par l’exploitation intensive de leurs matières premières dont beaucoup
regorgeait.
Pétrole pour les uns,
uranium, cuivre ou cobalt pour les autres, forêts à déboiser, ici, cultures de
rente, café, coton ou cacao, ailleurs.
Un échange inégal s’instaura
entre les pays du Nord irradiés par un insolent développement de leurs
collectivités et ceux du Sud, africains notamment, vivant toujours à l’ère zéro
du phénomène, malgré l’enthousiasme qu’ils conservaient encore à son
égard.
On s’attela, alors, à brider
quelque peu ses effets, en mettant ces pays sous contrôle, sous tutelle
économique : F.M.I, Banque Mondiale entrèrent en lice, avec leurs fameux,
devrais-je dire, fumeux, PAS, plans d’ajustements structurels ; Puis on
critiqua tout dirigisme pour célébrer les vertus du libéralisme, en privatisant
à tout va tout ce qui pouvait l’être ; on détecta enfin un problème de
leadership, et on en fît des tonnes sur la « bonne gouvernance »
devenue un refrain à la mode dans les forums
internationaux.
Le développement ne venait
toujours pas !
Il s’éloignait même à mesure
que de nouvelles recettes étaient découvertes, rendant les populations
concernées de plus en plus incrédules et insensibles à ce qui s’apparentait pour
elles à une véritable chimère.
C’est alors que ce
concept-fantôme se mit à tarauder, à hanter à son tour de plus en plus les
cénacles occidentaux.
Le non-développement
impénitent du Sud pouvait à terme, sous la pression migratoire due à l’extrême
pauvreté, nuire à leur prospère pré-carré économique, dont le développement
était jusqu’à présent l’otage complaisant.
Comment perpétuer l’idée,
chez ces peuples, que le développement pouvait aussi élire domicile ailleurs
qu’en occident ; que le développement pouvait être autre chose qu’une sorte
d’opium ; qu’il se traduisait autrement que par des statistiques et des
probabilités, autrement que par des courbes conjoncturelles, ou des modèles
économétriques toujours laminés par le broyeur de leur réalité
sociale.
Or, cette réalité est dure
et implacable, et impose à un nombre grandissant de personnes, de gagner
l’étranger, quelles que fussent les risques, pour survivre et faire vivre ceux
restés au pays, souvent sans travail et sans ressources.
Cet exil sous la férule de
la faim et de la misère, s’assimile de fait à un sacrifice, à un don
désintéressé et fraternel des migrants, et la raison même de leur présence,
devenue gênante, sous d’autres latitudes.
Faut-il y voir autre chose,
y découvrir, comme par magie, avec malice et opportunisme, les vertus cachés
d’un nouveau développement, d’un développement inattendu, singulier, à tout dire
d’un co-développement ?
On pourrait tout aussi bien
proclamer d’un « beau-développement », tant l’image est attrayante, de
simples immigrés au statut si précaire, souvent discriminés, déconsidérés,
parvenant, solitairement, munis de leur seule force de travail à développer
leurs communautés d’origine en détresse.
Quelle belle image, non pas
d’Epinal, mais de Bamako, Dakar, ou Lagos. Je parie qu’à trop la cultiver, nous
finirions par discourir à nouveau sur une énième impasse, non pas sur un co,
mais sur un faux-développement !
Après avoir vainement, mais
résolument attendu l’incarnation du développement économique, comme Vladimir et
Estragon, ces personnages troublants de BECKET, qui attendirent Godot, sans
jamais l’apercevoir, que peuvent espérer les Africains du co-développement,
dernier avatar d’un dieu, celui de l’économie, décidément sourd à leurs
prières.
En premier lieu qu’il
demeure ce qu’il est, non ce que l’on souhaiterait qu’il fut : un
régulateur tant de la pression migratoire que de l’accroissement de l’extrême
pauvreté, et dès lors un véritable paradoxe, ce qui ne pourrait que le
pervertir.
Qu’il demeure ce qu’il
est : un souffle, un esprit, une volonté foncière d’entraide et de
solidarité de ceux qui gagnant peu, donnent tout ou presque tout à ceux qui
n’ont rien et attendent si peu, soit le minimum, pourvoir se nourrir, se vêtir,
se soigner, s’éduquer et s’instruire, que l’on qualifie habituellement de vital.
Et redonner ainsi de la dignité à leurs parents, à leurs frères, méprisés et
diminués, qui sans leur sens du partage ne trouveraient aucune sollicitude,
aucun secours, si ce n’est ponctuellement, aléatoirement, le temps que
s’activent les signaux d’alarme internationaux, en rang serrés, dépenaillés dans
des camps forgés à la hâte par des organismes caritatifs et humanitaires devenus
irremplaçables.
Voilà leur ambition, le défi
permanent qui structure leur quotidien, non celui de combler la désertion,
l’incapacité ou la lassitude de ceux dont la mission, gouvernements locaux et
communauté internationale, est d’aboutir à créer les conditions d’un
développement possible et durable.
Du côté des migrants, le but
est inchangé, proportionné aux demandes urgentes et élémentaires qu’ils
reçoivent de leurs proches en ville ou au village, faire de leur sacrifice
commun, une vie meilleure, une vie enfin humaine à ceux qui sont
restés.
En réalisant cette chaîne,
il est vrai formidable, d’entraide et de solidarité dictée par leur sens innée
de la fraternité et de la générosité, les migrants ne doivent pas devenir une
solution de rechange au mal-développement, ni un marché d’échange entre les pays
du Nord et les pays du Sud, qui auraient ainsi bonne conscience, et se
dédouaneraient, par la même, de toute responsabilité.
On voit bien le danger, le
glissement, l’évolution perverse qui se dessinerait : du rôle accessoire,
supplétif, endossé par la force des choses et l’état de nécessité, les migrants
occuperaient un rôle principal, voire exclusif dans la genèse du développement
de leurs territoires d’origine.
L’injustice serait
flagrante, car ils deviendraient ainsi directement comptables de
l’appauvrissement soutenu de leurs nations, alors que se sont succédés sans
qu’on les consulte beaucoup, la période coloniale et les profonds déséquilibres
qu’elle provoque, l’euphorie des indépendances, et les gabegies de toutes sortes
qu’elle a entraînées, la corruption, et l’exploitation crapuleuse des ressources
naturelles, l’insouciance et la légèreté des politiques de tout
poil.
Le co-développement dont la
diaspora serait soudainement le vecteur central ferait un alibi bien facile à
tous les acteurs de la crise africaine, et occulterait à dessein une thématique
préalable et incontournable, celle de la co-responsabilité du non-développement
persistant de ce continent, qui impose, la mise en place conjointe, pays du Nord
et pays du Sud associés, de moyens et de paramètres parfaitement adaptés,
proportionnellement ajustés aux enjeux, sans tabou, ni opportunisme d’aucune
sorte.
Alain TAMEGNON
HAZOUME
Avocat au Barreau de
Paris
Membre du Club DIALLO
TELLI (pour l’Afrique :
Solidarité et progrès)
NB : ce texte a été
présenté par son rédacteur lors du dîner d’échéances organisé par le Club DIALLO
TELLI le 28 juin 2007 à Paris sur les perspectives économiques de l’Afrique en
2007.