Décommercialiser l’or bleu
[Bolivie]
Louis Jean, Jean-Philippe Catellier –
2 mars 2007 [http://www.alternatives.ca/article2816.html]
À
qui appartient l’eau ? Alors que la question se pose un peu partout à travers le
monde,
En Bolivie, l’eau a toujours fait l’objet d’âpres disputes. Mais l’épisode déterminant est survenu en février 2000 lorsque que des centaines de milliers de manifestants ont pris d’assaut la ville de Cochabamba, située en plein cœur du pays. À l’époque, la compagnie d’eau potable nationale était passée aux mains d’un consortium privé, mené par le géant californien Bechtel. On avait concédé à ce dernier les droits d’exploitation de chaque goutte d’eau de la région.
Durant
cet événement, que l’on a surnommé « la guerre de l’eau », deux modèles de
gestion irréconciliables s’opposaient. D’un côté, le gouvernement, en accord
avec les recommandations de
De l’autre côté, les manifestants, majoritairement indigènes, exigeaient la rupture du contrat de Bechtel. Ils réclamaient aussi la reconnaissance du modèle traditionnel basé sur la propriété et la distribution communautaires de l’eau. Selon ce modèle, hérité des traditions indigènes, l’eau des lacs et des rivières est distribuée par les chefs de village aux familles, en fonction de leurs besoins.
La
confrontation de février
La tradition l’emporte
Verre d’eau à la main, le principal auteur de l’étude, Juan Carlos Alluralde, résume les deux propositions étudiées : « Par exemple, si je donne ce verre à un fermier pour qu’il produise une tomate qui vaut 10 cents, mon verre génère 10 cents. Par contre, si je le donne à une mine et qu’il extrait un gramme d’or, mon verre génère 15 dollars. La proposition [néolibérale] est donc la suivante : pourquoi utiliser l’eau pour une tomate quand je peux la donner au secteur minier pour qu’il produise plus d’argent, faisant ainsi rouler l’économie du pays. » Selon lui, cette façon de voir les choses se révèle particulièrement néfaste dans le contexte bolivien, où la pauvreté et la pénurie d’eau apparaissent souvent indissociables.
Après
avoir analysé un grand nombre de données, l’étude gouvernementale a conclu que
le modèle de gestion traditionnelle permettait à une plus grande partie de la
population d’avoir accès à l’eau. Le constat a ensuite servi de base à
Durant des années, Pedro Soto, le responsable des systèmes d’eau de la région, a été confronté à un problème majeur. En Bolivie, personne n’était vraiment propriétaire de l’eau. Au point où chaque ministère avait ses propres lois, plus ou moins contradictoires. Dans ce contexte, la distribution équitable devenait difficile et les conflits avec les industriels apparaissaient inévitables. « Selon le code minier, une compagnie pouvait dévier une rivière sans demander la permission à qui que ce soit et sans payer un seul peso. Vous vous rendez compte du danger que cela représentait ? », dénonce-t-il.
Une nouvelle autorité sur l’eau
La création d’un comité indépendant qui détient l’autorité sur l’eau, le Servicio nacional de Riego, devrait assurer une gestion plus impartiale. Et le ministre de l’Eau, Abel Mamani, se fait l’ambassadeur d’un accès plus large à l’eau potable, à travers le monde. Au Forum mondial de l’eau de Mexico, en mars dernier, il a mené une coalition de pays qui tentait de faire reconnaître l’eau comme un droit fondamental, et de l’exclure des traités de libre-échange.
En juin dernier, M. Mamani a récidivé à l’assemblée de l’Organisation des États américains (OEA). Cette fois, l’opposition est venue des États-Unis, du Canada, du Mexique et de l’Argentine qui craignaient qu’une éventuelle reconnaissance ne remette en cause la législation de certains États où l’eau relève déjà du domaine privé. Les pays de l’OEA ont néanmoins accepté d’étudier la proposition et de la reconsidérer à la prochaine assemblée, l’an prochain.
Au fond, il n’est pas si étonnant qu’une loi touchant l’utilisation de l’eau prenne autant d’importance en Bolivie. Selon l’UNESCO, pas moins du tiers de la population bolivienne n’aurait pas accès à l’eau potable. Et le manque d’eau finit par avoir des conséquences directes sur la santé humaine. En Bolivie, les maladies gastro-intestinales causées par l’insalubrité de l’eau représentent la première cause de maladie infantile. En 2005, l’Unicef estimait que 6,2 % des enfants boliviens qui meurent avant d’atteindre l’âge de cinq ans.
Soyons
optimistes. Dans un contexte où les sécheresses se multiplient, il n’est pas
impossible que les arguments strictement économiques défendus par plusieurs
organismes internationaux deviennent bientôt irrecevables.
Cet article a été réalisé avec le soutien financier de
l’ACDI.