Une blouse
blanche dans le désert médical centrafricain Jean Chrysostome Gody, médecin, à
la tête de l’hôpital pour enfants de Bangui, est l’un des deux pédiatres du
pays.
la-croix.com 10/7/13
Inlassablement, le
docteur Jean Chrysostome Gody promène son doux regard entre les lits et les
dortoirs encombrés. Ici, il se penche avec tendresse sur un bébé malnutri. Là,
il interroge un interne sur l’état de santé d’une victime du paludisme. L’homme
en blouse blanche dirige l’hôpital pour enfants de Bangui. Il en est l’unique
pédiatre.
C’est un travail
sans repos, sept jours sur sept, ponctué de réveils aux aurores et de nuits sans
sommeil. Le texte de Gandhi « Au service des autres » est sa devise,
affichée à la porte de son bureau.
Jean Chrysostome
Gody peut mesurer la santé du pays à la lecture du cahier des admissions. Quand
la Centrafrique traverse une crise politique, la courbe des nouveaux patients
grimpe en flèche, les lits se remplissent, les couloirs sont occupés.
L’instabilité née du coup d’État du 24 mars a fragilisé les familles. Les
prix des denrées alimentaires explosent. La faim grandit. Les enfants aux
regards vides et aux joues creuses envahissent les matelas. Bientôt, des tentes
seront montées dans la cour pour accueillir le flot de
malnutris.
Où les enfants
pourraient-ils aller ? Il n’y a pas d’autres hôpitaux pédiatriques en
Centrafrique. Les centres de soins des quartiers excentrés ont été dévastés. Les
cliniques privées sont fermées. Le système de santé, qui était déjà l’un des
moins développés du continent avant la prise du pouvoir par la rébellion Séléka,
est à l’agonie. « Le paludisme a changé de visage, s’inquiète le
directeur. Depuis six mois, la prise en charge des cas simples ne se fait
plus dans les structures de santé à la périphérie de Bangui. C’est pourquoi nous
avons une recrudescence des cas graves. »
L’hôpital
pédiatrique ressemble à une oasis dans le désert médical. Son directeur l’a
sauvé des pillages, de façon non-violente, empreinte de la sagesse bouddhique
dont il se réclame. Même aux pires heures du coup d’État, l’homme n’a jamais
abandonné sa blouse blanche. Au lendemain du 24 mars, il a soigné le flot
de blessés. Seul le portier était à ses côtés. « Ici, on redonne la vie
à tous ceux qui sont blessés, les enfants ou les hommes », a-t-il
martelé à tous les rebelles de passage. Le message a été
entendu.
À 54 ans, Jean
Chrysostome Gody connaît les hommes en treillis et les crépitements des
mitrailleuses. Il ne compte plus les dictatures et les coups d’État qui ont
jalonné sa carrière, ou celle de son père, premier pédiatre centrafricain. Il
n’y en a pas eu beaucoup d’autres formés au cours des trente dernières années.
Le pays compte seulement 104 médecins, dont 32 spécialistes qui travaillent tous
dans la capitale. « Et nous ne sommes plus que deux pédiatres pour
4,5 millions d’habitants », résume le directeur de
l’hôpital.
Autant dire
qu’exercer la médecine en Centrafrique relève de la mission humanitaire.
« La compassion me pousse à rester là où les êtres humains
souffrent », précise Jean Chrysostome Gody. Entouré de sa femme et de
ses quatre enfants, il ne partira pas vivre à l’étranger. Peupler le désert
médical est son combat. Il couve de jeunes internes en espérant qu’ils n’iront
pas irriguer demain les hôpitaux du Sénégal ou de Côte d’Ivoire. Dans son
ordinateur sommeille aussi un plan national de développement sanitaire concocté
avec le soutien de partenaires étrangers.
Le coup d’État a
remisé les programmes de développement à des jours meilleurs. « Nous
étions partis sur des actions de renforcement des capacités »,
rappelle-t-il. L’élan a été stoppé brutalement. Les Européens, qui assurent
80 % des ressources, ont gelé leur soutien. La plupart conditionnent leur
aide à un retour hypothétique de la sécurité dans le pays. « Dites-leur
que nous avons repris nos activités, alerte le bon docteur. Levons-nous,
marchons, travaillons. »
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Ils sont rares, les
Africains se réclamant du bouddhisme. Le docteur Jean Chrysostome Gody est l’un
d’eux. À travers la rencontre avec la représentante de l’Organisation mondiale
de la santé en Centrafique, en 1993, ce pédiatre a découvert la pensée du
Japonais Daisaku Ikeda, récompensé par le prix de la paix des Nations unies en
1983. « Sa contribution à la paix mondiale, aux échanges culturels et à
l’éducation m’a toujours largement inspiré dans le contexte que traverse mon
pays », précise le pédiatre, qui s’inspire aussi beaucoup des actions
de Gandhi et de Nelson Mandela.
OLIVIER TALLÈS (à
Bangui, envoyé spécial)