Avec quels moyens alphabétiser les pygmées (au Gabon) ?

 

LIBREVILLE, 9 juin 2005 (IPS) - Le Gabon a décidé d'éduquer les pygmées et a entrepris un inventaire des moyens financiers nécessaires pour initier un programme didactique adapté qui permettrait de sortir cette communauté de l'analphabétisme.

 

 Le travail d'inventaire se fait avec l'aide de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la scienceet la culture (UNESCO).

 

 Selon le ministère de la Culture et de l'Education populaire, le programme pour l'éducation des pygmées bénéficiera non seulement de l'appui financier et matériel de l'État gabonais et d'autres bailleurs de fonds comme le Canada, mais également du concours des sociétés forestières mises en cause dans les déforestations abusives.

 

 ''Les pygmées sont des êtres humains de petite taille qui vivent dans la forêt équatoriale africaine où ils excellent dans la chasse. Selon des statistiques officielles, il reste encore environ 120.000 pygmées vivant dans la forêt équatoriale, en Afrique centrale'', indique à IPS, Firmin Mboula, un sociologue résidant à Libreville, la capitale gabonaise.

 

 Selon Théodore Kilo, le coordonnateur général de Promotion et valorisation des cultures en voie de disparition (PROCED), une organisation non gouvernementale (ONG) basée à Libreville, ''les pygmées du Gabon, dont la population totale se situerait entre 15.000 et 20.000 âmes, sont d'abord des peuples primitifs''.

 

 Mais les pygmées ''ont commencé, depuis quelques années, à échanger avec les populations locales des produits de la forêt (gibier, tubercules, légumes, plantes médicinales) contre certains produits comme le sel, les allumettes, les vêtements dont ils ont besoin'', ajoute Kilo à IPS.

 

 ''A l'origine, les pygmées ont été, de gré ou de force, sédentarisés sans mesures d'accompagnement conséquentes. D'où la situation socio-économique, culturelle et démographique alarmante qui les caractérise'', note une étude menée par PROCED, en collaboration avec l'UNESCO, en 2002.

 

 L'étude souligne que ''93,09 pour cent en moyenne de pygmées n'ont pas de déclaration d'acte de naissance, 99 pour cent sont analphabètes, 62 pour cent environ sont essentiellement jeunes et constituent la tranche d'âge la plus vulnérable.''

 

 Toujours selon la même étude, ''90,59 pour cent en moyenne d'enfants (pygmées) scolarisables ne vont pas à l'école, et ont leurs premiers rapports sexuels très tôt (entre 10 et 12 ans). Le

taux de fécondité oscille entre huit et dix enfants''

 

 La fécondité est élevée, mais le taux de mortalité infantile l'est encore plus, indique l'étude, sans préciser de chiffre. L'un des volets du programme est de permettre aux pygmées d'accéder aux dispensaires et hôpitaux pour leurs soins et problèmes de reproduction, selon le gouvernement.

 

 L'initiative d'éduquer les pygmées, bien que tardive, est conforme aux engagements pris, au Forum mondial sur l'éducation organisé en 2000, à Dakar, et qui recommande de réduire de moitié, d'ici à 2015, le taux d'analphabétisme des adultes dans le monde.

 

 Longtemps oubliés, les pygmées pourraient enfin bénéficier, si le programme se réalisait, d'une formation pédagogique adaptée après l'acceptation, par le gouvernement, de construire plusieurs salles de classe et aires de jeux, et d'offrir des manuels pédagogiques.

 

 Le coût financier du programme d'éducation et d'intégration des pygmées est estimé à environ 1,600 million de dollars, selon le ministère des Travaux publics.

 

 ''Les pygmées sont marginalisés à cause d'une absence de volonté des autorités gabonaises de les insérer dans le monde moderne...'', a reconnu le ministre gabonais de la Culture et de l'Education populaire, Pierre Amoughé Mba, à l'occasion d'un séminaire atelier organisé à Libreville le 20 mai, par son ministère et consacré à l'éducation des pygmées.

 

 ''Pour inscrire plus d'enfants pygmées à l'école, l'UNESCO et d'autres partenaires comptent soutenir financièrement et techniquement les actions et programmes d'alphabétisation menés en faveur des pygmées'', a affirmé Mba.

 

 Edouard Nguema, inspecteur pédagogique, a indiqué à IPS que ''l'une des premières préoccupations du gouvernement sera de former des enseignants pour asseoir son projet d'éducation des pygmées''.

 

 Pour relever son défi, le gouvernement dit qu'il compte mettre en route un programme qui vise à doter les pairs-éducateurs pygmées (formés au sein de la communauté) et toute leur communauté, d'un maximum de connaissances et d'informations dans les domaines aussi variés que l'alphabétisation, l'éducation civique, l'hygiène et la santé.

 

 Il existe depuis 1996 des méthodes d'apprentissage des langues gabonaises, intitulées ''Rapidolangues'' et qui sont éditées par la Fondation Raponda Walker. Ces méthodes bilingues, en français et langues nationales, s'adressent aux élèves des cycles primaires et secondaires. Ces méthodes pourraient être utilisées pour l'éducation des pygmées, selon PROCED.

 

 Déjà, un programme national de formation dans plusieurs domaines en faveur de la communauté pygmée, a été lancé en avril dans la province du Haut-Ogooué, dans le sud-est du Gabon, à l'initiative de PROCED.

 

 Une première formation, qui s'est déroulée en mai dans le

 village Doumaï à Boumango où vit une importante population pygmée (800 individus environ), a été animée par Ange-Claude Nkoghé, un expert-consultant international en éducation communautaire.

 

 Nkoghé a indiqué à IPS que ''la première formation a permis d'évaluer les contraintes sur le terrain, notamment la logistique'', ajoutant que ''d'autres formations se poursuivront au cours du second semestre de 2005''.

 

 Mbalé, une jeune femme pygmée de 24 ans vivant dans la capitale gabonaise, a déclaré à IPS qu'il ''est vital que les populations pygmées soient progressivement relogées et que la transition vers la société moderne se fasse sans heurts''. (En général, les pygmées n'ont pas de prénom).

 

 Le mode de vie des pygmées les a circonscrits à la forêt vierge dont ils détiennent les secrets. Ils s'habillent avec des feuilles d'arbres, et leurs traditions sont liées à leur environnement, a-t-elle souligné.

 

 ''La question primordiale est que les autorités ne se sont jamais penchées sur l'éducation de ce peuple qui porte un accoutrement rudimentaire avec la peau généralement recouverte d'argile'', explique à IPS, Richard Boudi, un spécialiste en langues bantu.

 

 Les langues issues de la civilisation bantu sont des langues parlées principalement en Angola,Centrafrique, Congo, Comores, Gabon, Guinée Equatoriale, Rwanda, Sao-Tomé et Principe, République démocratique du Congo.

 

 Les populations locales sollicitent souvent les pygmées pour le traitement de  certaines maladies car ils ont une connaissance vaste des plantes et d'autres pratiques traditionnelles utiles à l'homme moderne'', a révélé à IPS, Fabien Ondo Owono, un tradithérapeute gabonais.

 

 Owono a cité les herbes contre les morsures de serpent, les potions contre les empoisonnements et plusieurs autres herbes désinfectantes pour les plaies. De même que l'huile de boa (un gros serpent) utilisée comme baume et pour extraire de la peau des arêtes et épines de certaines plantes piquantes.

 

 Le Mouvement des minorités autochtones, indigènes et pygmées du Gabon (MINAPYGA), une ONG basée à Libreville, estime que l'un des moyens de sortir du sous-développement les populations pygmées est l'alphabétisation. Leur intégration vise à éviter leur marginalisation car cette minorité n'a pas pu intégrer le système classique d'éducation de base, selon cette ONG.

 

 Le MINAPYGA œuvre pour l'émancipation et le développement durable des peuples pygmées du Gabon. Elle a déploré le faible taux d'alphabétisation des pygmées dont une poignée seulement a atteint le niveau de l'enseignement secondaire.

 

 ''Un seul pygmée, habitant Minvoul, une région du nord du Gabon, a franchi le  cap de la classe de troisième de l'enseignement du premier cycle du second degré alors qu'à Mékambo, dans le nord-est du pays, un autre pygmée a 'forcé le destin' pour s'arrêter au premier cycle des études universitaires'', a commenté Odambo-Adone, président du MINAPYGA.

 

 Outre au Gabon, on trouve des pygmées au Congo-Brazzaville, en Centrafrique, en République démocratique du Congo, au Cameroun, au Rwanda, au Burundi et en Ouganda. . (FIN/2005)

 

Source : Antoine Lawson (ipsnews.net)

http://ipsnews.net/fr/_note.asp?idnews=2661  Inter Press Service News Agency