MAURITANIE-SENEGAL: Espoir et
inquiétude pour les réfugiés mauritaniens
NDIOUM, 24 juillet 2007
(IRIN) - Avec ses
cases recouvertes de chaume, ses femmes qui cuisinent autour d'un feu de bois,
ses enfants qui jouent et ses hommes qui boivent du thé sucré, assis à l'ombre
des arbres, ce village ressemble à un village typique du nord du Sénégal.
Pourtant, parmi les Mauritaniens qui vivent ici, rares sont ceuxqui s'y sentent
chez eux.
Il s'agit en fait d'un camp de
réfugiés, et au mieux, d'une réalité artificielle - de la volonté déterminée
d'un peuple, chassé de chez lui il y a près de 20 ans, de reconstruire sa vie en
terre inconnue.
Bien qu'ils ne soient pas attachés
au Sénégal, les réfugiés ne considèrent pas la Mauritanie comme leur patrie non
plus. « Nous sommes des étrangers aussi bien ici que dans notre propre pays », a
résumé l'un d'eux.
En 1989, les Maures de Mauritanie
ont chassé pas moins de 70 000 Noirs mauritaniens de leur pays. Aujourd'hui, le
gouvernement mauritanien nouvellement élu, dirigé par Mohamed Ould Cheikh
Abdallahi, affirme qu'il fera tout ce qui est en son pouvoir pour aider les 20
000 réfugiés restants à rentrer chez eux.
En juillet, M. Abdallahi a envoyé
une délégation de haut niveau rencontrer les représentants des Mauritaniens
encore éparpillés dans plus de 200 camps de réfugiés de la vallée du fleuve
Sénégal, qui jouxte la Mauritanie.
« Ces souffrances que vous avez
endurées pendant ces longues années doivent prendre fin », a déclaré Yahya Ould
Ahmed El Waghef, chef de la délégation et ministre secrétaire général de la
Présidence de la République de Mauritanie, à l'attention des réfugiés, selon
l'AFP. « [Le rapatriement] permettra à chacun d'entre vous de retrouver ses
droits de citoyen mauritanien, de recouvrer ses biens en Mauritanie et de vivre
dignement dans son pays ».
A en croire les réfugiés, ce serait
plus facile à dire qu'à faire. « J'ai été privé de mon identité et suis usé en
tant qu'être humain », a confié à IRIN Babacar Mbodj, un réfugié. « Je ne suis
ni sénégalais, ni mauritanien ».
« Je ne m'étais jamais vraiment
rendu compte de son importance jusqu'à ce que je perde ce droit », a déclaré M.
Mbodj au sujet de la nationalité, un droit qui devrait échoir à chaque être
humain. M. Mbodj a reconnu qu'il était encore théoriquement mauritanien, mais
comme la plupart des membres de sa communauté, il se sent apatride.
« Ce petit document, dans votre
poche, qui indique votre nationalité, a une grande influence sur l'idée que vous
vous faites de vous-même en tant que personne ».
Il est facile de ne pas remarquer ce
type de souffrances subtil sur un continent où les privations sont monnaie
courante. Dans la réalité, le niveau de vie des réfugiés est à peine moins bon
que celui du villageois sénégalais moyen. En fait, cette population est
essentiellement aux prises avec des souffrances psychologiques - un passé
anéanti, et un avenir qu'elle a du mal à imaginer.
« Apatride ? »
Même leur qualification d'apatrides
n'est pas claire. La Convention de 1954 relative au statut des apatrides définit
l'apatridie comme l'absence de lien juridique de nationalité avec tout pays.
Il y a dix-huit ans, les
responsables du gouvernement mauritanien auraient récupéré et détruit les pièces
d'identité des Noirs mauritaniens avant de les abandonner en masse à la
frontière sénégalaise. La plupart ont quitté le pays en laissant tous leurs
biens derrière eux ; certains sont même partis sans chaussures.
Aux yeux du Haut commissariat des
Nations Unies pour les réfugiés (HCR), la définition du mot apatride ne
s'applique pas à ces personnes. « Pour le HCR, la nationalité des réfugiés
mauritaniens n'est pas remise en question », a révélé à IRIN Mahoua Bamba
Parums, conseiller juridique régional du HCR.
« Ils ont tous été reconnus à
première vue comme des réfugiés par le gouvernement sénégalais en 1989. Il est
donc faux de dire qu'ils sont apatrides », a-t-il dit.
L'organisation non-gouvernementale
Refugees International les a plusieurs fois qualifiés d'apatrides. « En gros, la
définition de l'apatridie [implique] qu'aucun gouvernement ne protège réellement
ces personnes », a expliqué Maureen Lynch, Directrice exécutive de Refugees
International.
« Ces réfugiés vivent dans des
conditions semblables à l'apatridie », a-t-elle ajouté, tout en veillant à ne
pas contredire le HCR. « En tant qu'organisation humanitaire, nous nous en
remettons à la définition du HCR ».
Des réfugiés livrés à
eux-mêmes
Le HCR a cessé d'apporter son aide
aux réfugiés en 1998, lorsque les fonds sont venus à manquer. « Avec une crise
de longue durée comme celle-ci, il est difficile de maintenir l'attention des
bailleurs », a expliqué M. Parums à IRIN.
« C'est bien beau de nous appeler
réfugiés, mais les réfugiés reçoivent de l'aide », a déclaré Mariame Sira
Coumba, réfugiée et mère de trois enfants, qui vit dans un camp.
Sans la garantie d'une aide, rares
sont ceux qui ont pris la peine de faire renouveler leur carte de réfugié ;
cette procédure annuelle, qui doit être effectuée à Dakar, les oblige en effet à
parcourir les 500 kilomètres qui les séparent de la capitale sénégalaise, un
voyage très onéreux pour ces réfugiés.
« A quoi nous servent ces cartes de
réfugié ? », a demandé M. Mbodj. « Ces cartes impliquent qu'on s'occupe de vous
parce que vous n'avez pas d'autre moyen. Mais personne ne s'occupe de nous.
Pendant toutes ces années, nous n'avons eu ni protection, ni droits, sous
quelque gouvernement que ce soit ».
Même avec leurs cartes de réfugié,
les Mauritaniens se voient refuser des emplois dans le secteur officiel et ne
peuvent bénéficier des services sociaux fournis aux citoyens sénégalais, a-t-il
dit.
« Nos vies ne sont pas en danger
immédiat, comme c'est le cas de bien d'autres réfugiés, nous le savons.
Toutefois, le fait d'avoir été abandonnés ici depuis si longtemps d'abord par
notre gouvernement, puis par le HCR n'a fait qu'aggraver notre sentiment de
désespoir. Nous avons passé des années à attendre en vain que la situation
évolue », a expliqué Ly Ousmane Mombo, un réfugié qui vit à Ndioum. « Ce n'est
pas une vie ».
Etude de cas : une famille
dans le flou
Babacar Mbodj était garde forestier
en Mauritanie avant d'être expulsé, il y a 18 ans. Depuis, il vit dans le camp
de réfugiés de Dagana en compagnie de son épouse, de son enfant unique et de sa
sour, et vend des légumes qu'il fait pousser dans un petit potager situé près de
sa maison.
« Nous nous débattons pour créer un
semblant de vie, ici », a-t-il expliqué.
Quant à Fatou, l'épouse de M. Mbodj,
elle a raconté à IRIN la douleur qu'elle ressentait en voyant que les villages
sénégalais des alentours recevaient de l'aide de la part du gouvernement, et le
mal qu'elle avait eu à expliquer à Abdou, son fils de 13 ans, de quel pays il
était ressortissant.
« La semaine dernière, il m'a dit
qu'il ne savait pas trop s'il voulait être mauritanien », a-t-elle rapporté.
Cela fait six ans qu'Abdou va à
l'école par intermittence dans le camp, mais les écoles pour enfants réfugiés
manquent de l'essentiel.
« L'éducation est un droit ; elle
permet aux enfants d'acquérir l'assurance et les compétences dont ils ont besoin
pour survivre. Le potentiel de cette génération d'enfants mauritaniens a été
gaspillé dans ces camps », a déploré Fatou.
Abdou a expliqué à IRIN qu'il se
considérait comme mauritanien mais qu'il savait qu'il n'était pas comme les
enfants sénégalais avec lesquels il joue. « Je me sens différent d'eux, mais je
ne sais pas trop si j'ai ma place en Mauritanie. Je suis ici depuis toujours ».
M. Mbodj a dit craindre qu'Abdou ne
se sente aussi différent des enfants mauritaniens si, à terme, la famille est
rapatriée.
« Bien que les enfants de ces camps
s'entendent dire qu'ils sont mauritaniens, ils n'ont jamais vu leur pays. A
propos de la Mauritanie, ils entendent surtout parler de violence et de racisme
», a-t-il dit.
Frustration
Les représentants des réfugiés ont
déclaré que l'annonce du gouvernement mauritanien était une victoire pour leur
communauté ; ils ont demandé que le rapatriement soit dirigé par le HCR pour
assurer la sécurité des réfugiés et continuer à garantir leur bien-être, une
fois de retour en Mauritanie.
Si, de manière générale, les
réfugiés ont bien accueilli cette décision, leur frustration envers le
gouvernement mauritanien est palpable lorsqu'ils font le récit de leur vie.
« Sommes-nous censés célébrer cette
décision après 18 ans de cette vie étrange ? La Mauritanie a mis trop longtemps
à accepter de nous rendre nos droits », a expliqué M. Mbodj.
M. Mbodj a confié à IRIN qu'il
possédait une maison ainsi que d'autres biens en Mauritanie, qui ont été
réquisitionnés par les Maures de Mauritanie presque immédiatement après
l'expulsion massive de Noirs mauritaniens. La plupart des réfugiés ne savent pas
vraiment ce qu'il est advenu de leurs biens ni de leur emploi en Mauritanie,
particulièrement dans le secteur informel.
« Nous avons été contraints de
quitter le pays sans rien. C'est caractéristique du réfugié, mais aujourd'hui,
cela fait 18 ans que nous vivons sans avoir rien gardé des vies que nous avions
bâties en Mauritanie, à la sueur de nos fronts. J'étais fier de ma maison et de
ce que je pouvais offrir à ma famille, et tout ça s'est envolé en un instant »,
a-t-il déploré.
« Nos vies ont été violées - les
Arabes de Mauritanie ont emménagé dans nos maisons et nous ont pris nos emplois.
Je me sens impuissant en pensant à tout ce qui m'a été retiré ».
Tous les réfugiés interrogés ont
souligné la nécessité de mettre en place une commission Vérité et
réconciliation, pour identifier les victimes et les auteurs de violences du
conflit frontalier avec le Sénégal.
« Il faut que les [responsables]
répondent de ces 18 années d'apatridie. Les événements de 1989 n'ont pas
provoqué de génocide, comme ce fut le cas au Rwanda, mais ils ont tout de même
aliéné toute une génération de Noirs mauritaniens. Peut-être que notre
témoignage évitera à nos petits-enfants de connaître le même sort vain », a
déclaré M. Mbodj.
M. Mbodj, à qui l'on avait demandé
s'il craignait de retourner dans son pays, a secoué la tête. « Même si la vie
sera dure en Mauritanie, c'est quand même notre patrie ».
Vingt ans d'un statut flou et d'un
vague sentiment d'appartenance à une nation ont étrangement façonné cette
communauté. Mais dans ces camps, une chose met tout le monde d'accord : avoir la
vie dure en Mauritanie vaut toujours mieux que vivre dans l'incertitude de ces
deux dernières décennies.
« Retourner au pays nous permet de
nous axer sur quelque chose - un pays, une dignité et enfin, après tant
d'années, une identité », a sobrement résumé M. Mbodj.
Actualité internationale et africaine de sangonet