Des potagers
pour personnes handicapées prennent racine dans le désert du
Niger
|
Oumou a été
touchée par la polio à un jeune âge, et fait partie des quelque un million
de personnes handicapées au Niger, selon les estimations de
l'OMS |
BILFOUDA, 10 septembre 2008
(IRIN) - Oumou ressemble fort à tout autre
jardinier nigérien à la saison la plus fertile, dans ce pays désertique. Ce
petit bout de femme de 40 ans se lève à cinq heures du matin, prend son
petit-déjeuner et travaille pendant cinq heures dans son potager, où elle veille
sur son manioc, ses mandarines, ses poivrons et ses pommes de terre.
«
C’est l’arrosage de toutes ces plantes qui est le plus difficile. Je vais de
rangée en rangée et on dirait toujours qu’il en reste », a raconté la
jardinière.
Mais
lorsque le soleil sahélien du Niger apparaît à l’horizon, Oumou range son
arrosoir au bord du puits, tendant les mains pour se traîner en avant,
l’arrosoir presque vide sur la tête, ses genoux se balançant en demi-cercle pour
la propulser en avant.
Paralysée
par la polio à un jeune âge, Oumou a commencé à jardiner il y a deux ans, avec
l’aide du Projet de réadaptation des aveugles et autres personnes handicapées du
Niger (PRAHN), un organisme communautaire local à but non-lucratif.
L’organisation lui a donné du bois pour installer une clôture, des outils, des
engrais et des semences, et a fourni à elle et à ses frères et soeurs le
matériel nécessaire pour construire un puits.
Le
Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) tente actuellement d’intégrer ce
projet, et d’autres projets de potagers semblables, aux réformes du secteur
social engagées par le gouvernement.
Pour
participer, Oumou a dû prouver son handicap, son droit de propriété et sa
volonté de labourer cette terre craquelée. « Je ne pensais vraiment pas que je
pourrais le faire. Moi, jardinière ? Je ne pensais même pas que cela serait
possible ».
Mais
ce n’était pas sa paralysie qui la retenait : Oumou a en effet expliqué qu’elle
n’avait jamais imaginé pouvoir récolter 3 000 dollars pour construire son
potager, soit environ cinq fois le salaire annuel moyen au Niger, selon les
statistiques 2007 de
Mais ce n’était pas sa paralysie qui
la retenait : Oumou a en effet expliqué qu’elle n’avait jamais imaginé pouvoir
récolter 3 000 dollars pour construire son potager, soit environ cinq fois le
salaire annuel moyen au Niger, selon les statistiques 2007 de
« Les potagers de la survie »
Les
personnes handicapées s’occupent tout au long de l’année de 40 « potagers de la
survie » dans les bourgades poussiéreuses des régions de Tillaberi et Dosso
(ouest), chacune située à plus de
Zama
Soumana Pate, qui dirige le PRAHN, a expliqué à IRIN que ces potagers étaient
plus des moyens de survie que des projets de jardinage : « [Les personnes
handicapées] reçoivent bien plus que des outils de jardinage. Nous voulons leur
donner des outils pour la vie ».
Dans
le cadre du PRAHN, les jardiniers reçoivent des conseils sur la santé maternelle
et l’inscription des enfants à l’école, se voient délivrer des moustiquaires
imprégnées, bénéficient d’une aide pour l’installation de latrines, et s’ils
s’avèrent responsables et travailleurs, peuvent emprunter un petit mouton ou une
petite chèvre, qui leur permettra de générer davantage de revenus.
Les
jardiniers doivent rembourser près de 500 dollars sur les quelque 3 500 dollars
investis par le PRAHN.
Invisibles, vus comme une charge
financière
Selon
Claudio Rini, directeur du service Afrique de l’Ouest de Handicap International,
une organisation internationale spécialisée dans le domaine des handicaps,
généralement, les familles et les communautés d’Afrique de l’Ouest marginalisent
les handicapés, perçus comme peu productifs.
Selon
une étude publiée en 2001 par le gouvernement nigérien, il y avait à l’époque
plus de 100 000 handicapés, environ, au Niger –un pour cent de la population,
approximativement.
D’après
les estimations de l’Organisation mondiale de la santé, ce nombre est néanmoins
10 fois plus élevé ; l’organisation a en effet calculé qu’en moyenne, les
handicapés représentaient environ huit à 10 pour cent de la population d’un pays
–soit plus d’un million de personnes au Niger, par rapport aux statistiques
démographiques de 2006.
Mais
M. Rini estime qu’il est difficile de déterminer avec exactitude le nombre de
personnes handicapées qui vivent en Afrique de l’Ouest, pour plusieurs raisons :
parce qu’il existe différentes définitions du terme handicap, parce que les
recenseurs ont des difficultés à recueillir des informations précises sur les
questions de santé délicates, et parce que la plupart des personnes handicapées
sont tout simplement négligées.
«
En raison de leur handicap, les personnes handicapées sont oubliées parce qu’il
est plus difficile pour elles de gagner de l’argent [ce qui les rend
invisibles]. Elles ne sont pas vraiment exclues, mais elles sont sans aucun
doute marginalisées et victimes de discrimination ».
Selon
M. Rini, lorsqu’une communauté est touchée par des problèmes économiques, les
familles qui s’occupent d’une personne handicapée financièrement dépendante
connaissent davantage de difficultés.
«
La personne handicapée devient une charge financière plus lourde pour la
famille, ce qui provoque un ressentiment envers eux, né non pas d’un ensemble de
croyances, mais d’une situation économique défavorable », a-t-il dit.
Inverser la
tendance
Dans
un pays où selon les estimations du Programme alimentaire mondial (PAM), environ
40 pour cent de la population souffre de malnutrition chronique, Oumou a raconté
que sa famille consommait aujourd’hui toute une variété de fruits et légumes
qu’ils n’achetaient pas auparavant, car ils étaient plus chers que leur millet
quotidien, et notamment des courgettes, des carottes, des tomates et des choux.
«
Avant, ma famille me prêtait de l’argent pour que je puisse acheter de la paille
pour tisser des nattes. Mais aujourd’hui, c’est moi qui les nourris grâce à mon
potager », a-t-elle dit.
Sa
famille n’avait jamais vraiment fait attention à elle, raconte Oumou, mais
aujourd’hui, c’est sur elle qu’ils comptent pour payer les frais de scolarité et
d’habillement des cinq enfants de ses frères et sœurs. Ses voisins aussi mangent
les fruits et légumes de son potager.
On
vient chez elle de plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde pour chercher des
légumes à feuilles, qui serviront à préparer des sauces ou des remèdes aux
ulcères et à la jaunisse. « Avant, on aurait dit que je n’étais pas vraiment là,
mais maintenant, on me voit ».
Elle
dit gagner plus de 300 dollars chaque année, en vendant les fruits et légumes
qu’elle cultive.
«
Parfois, les gens viennent même de l’aéroport [à
Mais
Oumou et sa famille consomment la plupart des fruits et légumes de leur potager,
a-t-elle dit. « C’est vraiment délicieux. On préfère les garder pour nous et les
partager avec les voisins ».
pt/aj/nh/ail