Pourquoi le 11
septembre ?
Cette date nous rappelle cruellement notre place sur cette planète, et beaucoup
plus correctement ce qui nous y sert de place. On ne cessera jamais de remuer la
question dans la tête, tant les évènements à quoi on assiste depuis lors sont
d’une gravité sans précédent, et d’une aura à récurrence exceptionnelle :
pourquoi le 11 septembre ?
D’abord les faits. Ce jour, le 11 septembre 2001, à 8h48 heure locale, quatre
avions de compagnies privées américaines sont détournés et utilisés
successivement comme des bombes volantes contre les cibles qu’on connaît. Ce fut
la plus grande attaque terroriste de l’histoire pour sa minutieuse préparation,
son exécution suffisamment bien coordonnée, et surtout, le nombre de morts
dépassant les trois milliers.
Bien sûr qu’on a déploré et on déplore encore les innocentes victimes de cette
barbarie d’un autre age. Quand on en revoit les images, on empêche difficilement
notre cœur d’éprouver une profonde meurtrissure en pensant aux milliers de
personnes prises au piège dans ces décombres apocalyptiques, et certains
sont à jamais ensevelis par l’histoire. Même, les malheureux sauveteurs –
pompiers ou flics - ont partagé le triste sort de ceux qu’ils étaient
censés secourir, ces gens qui ont juste commis le péché de vaquer tout
simplement à leurs quotidiennes occupations, ce jour. En l’espace de
quelques secondes, Manhattan, le prestigieux quartier de New York, a vu un vide
se créer dans ses entrailles.
Les réactions provoquées par ce désastre ne surprennent guère car en l’espèce,
le roi lion - les Etats Unis d’Amérique - a été l’objet d’une terrible agression
au fond de sa tanière. Dès les minutes subséquentes, un conseil de guerre fut
mis en place, piloté par son excellence G. W. Bush lui-même, entouré des plus
grands généraux de la planète. Il fallait très vite mettre un nom et un visage
sur cette agression : Al Qaïdda et Ben Laden sont déclarés ennemis publics n°1.
Mais, la liste est loin de se limiter à ces deux noms car, de proche en proche,
est placé dans la ligne de mire - le fameux « axe du mal » - tout complice ayant
de près ou de loin apporté son concours - de quelque nature que ce soit - aux
funestes projets ayant réussi entre autre à enrayer de la sur face de la terre
les deux tours jumelles, symbole de la puissance et de la fierté des américains,
et qui continuent de promettre des moments encore plus douloureux aux habitants
des Etats-Unis par vidéo interposée.
La puissante machine actionnée par G. W. Bush dès le jour de l’agression
continue de faire des victimes, outre le fait d’avoir ravivé chez l’américain un
nationalisme longtemps enfoui, -permettant du coup à leur président - mal élu au
départ - de s’asseoir plus confortablement, au point de se faire réélire en 2004
pour un deuxième mandat de quatre ans. Sans une forme de procès, les Talibans
ont été balayés de l’Afghanistan, Ben Laden contraint à devenir fantôme, et
Saddam Hussein sévèrement humilié. Les Coréens, le Soudanais ainsi que d’autres,
vivent depuis dans la psychose d’une éventuelle action américaine dans leur
pays. On pourrait penser à cette date, que le guêpier aura du mal à se refermer
en Irak et ailleurs où les victimes des attentats-suicide s’accumulent
quotidiennement, cependant il est certain qu’il finira tôt ou tard par se
refermer, car quand ce colosse de pays veut, il peut.
Comment comprendre tout cet enchaînement d’évènements qui nous a pratiquement
réveillé de notre chronique sommeil pathologique ?
Notre avis est que le choc entre les puissances fait toujours des victimes parmi
les pauvres pris en otage, comme le dit l’adage « quand le lion et l’éléphant se
battent, ce sont les herbes qui en souffrent ». On a assisté à la
reconfiguration progressive des hinterlands au plan politico économique depuis
la fin de la bipolarisation. Cette guerre pacifique ayant opposé les
supers puissances de l’époque, en l’occurrence l’URSS et les USA, a de manière
formidable favorisé le décuplement des capacités de recherche, de réflexion et
d’investigation, ainsi que l’explosion des moyens d’apprivoisement et
d’exploration du monde par ces mêmes pôles et leurs alliés d’antan. Cependant,
les appétits des ressources ont également connus une croissance exponentielle.
En effet, les nouveaux modes de vie typés faisant un usage accru des nouvelles
technologies de d’information et de communication sont fortement consommateurs
d’énergie, de matières premières et de capitaux. En face de la concurrence
grandissante des économies émergentes, on tente de plus en plus dans les pays
dits modernes, de sortir des caveaux les dépouilles des stratégies commerciales
telles que le mercantilisme consistant à fermer hermétiquement ses frontières,
dans un seul sens, celui des entrées des produits autres que les matières
premières énergétiques grâce à un subtil protectionnisme, et à laisser s’épandre
librement les autres formes d’échanges, car assurés de ses avantages
comparatifs. Bien qu’on s’irrite de l’évidence de ses « désavantages comparatifs
» par exemple en matière de main d’œuvre vis-à-vis des pays en développement, on
se bouscule pour envahir ces mêmes pays arriérés à la recherche de pétrole, de
bois, d’ivoire, d’uranium, de phosphate, de fer, de diamant, de café, bref des
matières premières vitales. Les Etats plus avisés se dissimulent derrière les
frimes multinationales pour implémenter ces transactions appauvrissantes pour
les autres, tout en s’arrogeant le droit de faire opportunément le gendarme en
temps et lieu voulus, dans le but soi-disant, d’assainir la planète des armes de
destruction massive. Or, le fait qu’ils soient les plus grands fabricants
d’armes, donc potentiellement plus dangereux, est un secret de polichinelle.
Pendant toute la guerre froide, par exemple, il y’avait comme une sorte de
psychose de voir s’effacer toute la planète terre du système cosmique sous
l’effet des armes atomiques, et l’Agence de monsieur El Baraday, à l’instar de
l’ONU, ne sera pas en mesure d’imposer la discipline au cas où quelqu’un pète
les plombs, et Dieu sait qu’ils sont nombreux ceux qui peuvent péter les plombs
à tout moment. Et d’ailleurs en matière de destruction massive, d’après les
chiffres des organismes humanitaires, il n’y a pas plus efficace que la
pauvreté, le Sida, le paludisme, le famine, etc. donc stoppez la diversion.
Notre déception a été, par exemple, à la hauteur de notre admiration pour la
prise de position courageuse de Chirac contre la guerre en Irak, quand on a
assisté à toutes les agitations rocambolesques des Français pour s’approprier
des parts de marchés de reconstruction du même pays. De là comprendre pourquoi
deux Français ont été pris en otage pendant plus de quatre mois en Irak, il n’y
a qu’un pas. Et encore, pendant l’embargo, une décennie environ, l’ingénieux
programme « Pétrole contre nourriture », concocté par des experts confirmés,
devant amoindrir la misère du peuple irakien sur la période de 1996 à 2003, a
finalement plus profité aux fonctionnaires des organisations internationales en
charge de le mettre en œuvre, qu’aux premiers destinataires. Ces décevants
constats sont légion et illustrent parfaitement la nouvelle dynamique des enjeux
stratégiques internationaux où malheureusement, l’Afrique n’a plus droit de cité
depuis la chute du mur de Berlin. Le génocide de 1994 au Rwanda, au cœur de ce
continent africain, aurait très bien pu être évité s’il y avait une réelle
volonté internationale dans ce sens.
Au même titre que ces faits éloquents, le trop plein d’arrogance, l’insatiable
conquête des firmes multinationales et la forte propension de la communauté
internationale aux sanctions et aux embargos contre les « sans défense » ont
favorisé l’éclosion d’une forme primaire de haine enseignée dans les méandres
des courants idéologiques restés à l’abri de l’occidentalisation, ayant
minutieusement préparé le terrain sous d’autres cieux. Ce qui contraste
nettement avec nos réalités. En effet, dans nos espaces, sous les prescriptions
de la religion chrétienne, fruits d’un travail bien mené et bien pensé
d’anthropologues de terrain - religieux ou non -, et conséquemment à la
balkanisation sauvage de notre monde, on a perdu toute arme et tout argument de
revendication de nos droits, en nous laissant divertir par d’incessants conflits
fratricides provoqués, et en nous laissant entraîner dans une démarche
totalement inappropriée et sans lendemain de démocratisation.
Napoléon 1er ne disait-il pas à propos de la croyance « Il n'y a que la religion
qui puisse faire supporter aux hommes les inégalités de rang, parce qu'elle
console de tout » ? Et bien monsieur Napoléon, toutes les religions ne se
ressemblent guère. D’autres gens d’en bas plus nantis matériellement,
financièrement et intellectuellement en matière de représailles aux intentions
malveillantes, les manipulations et l’instrumentalisation, ont fait valoir leurs
droits et le 11 septembre vint porter sous le feu des projecteurs la
géopolitique planétaire, conséquence de la cupidité, de l’égoïsme et de
l’arrogance internationaux se traduisant tangiblement dans les écarts
titanesques des niveaux de vie.
De qui se moque-t-on ? Appartenons-nous à deux planètes différentes ?
Que s’est-il passé pour qu’en plein troisième millénaire, certains hommes
continuent de dormir dans des huttes couvertes de chaumes, s’éclairent et
se réchauffent avec le feu de bois et soient exposés journellement aux pires des
risques de la nature, alors d’autres vivent dans des palaces dans un luxe
insolent, pouvant se targuer d’avoir dans leur maison toute chose aussi baroque
soit-elle, fruit de leur fécond imaginaire ? Le contraste dans les niveaux de
vie, les cadres de vie, l’espérance de vie, les opportunités offertes aux
individus au plan social, etc. est tout simplement éloquent. On le justifie avec
grand peine en en occultant superbement la genèse, par l’importance des
investissements, donc de l’industrialisation et des instruments de recherche
développement. Certes leur hégémonie dans ce domaine est incontestable.
Mais, prenez un enfant né dans une famille ordinaire à Sibut en plein centre de
la RCA, et un autre né à Denver au centre des Etats-Unis, toujours dans une
famille ordinaire. Qu’ont-ils fais pour mériter ce que la société leur offrent
chacun de son coté ? Rien ! Vraiment rien. Ils sont tous les deux le fruit de la
rencontre d’un gamète sexuel mâle et d’un gamète sexuel femelle de valeurs
identiques, biologiquement parlant. Après un séjour de neuf mois dans le
respectable sein de leurs mamans respectives, ils débarquent au monde et
l’américain se voit tout de suite gratifié d’un revenu d’environ 30 000 dollars
par an, alors que le centrafricain ne devra se contenter que d’environ 300
dollars, c'est-à-dire cent fois moins, et comme si cela ne suffisait pas le plus
pauvre devra rembourser sans délais à son ami environ 200 dollars de dette. Cela
est tout simplement inacceptable.
Soyons sérieux ! Méritons-nous vraiment cela ? Que sommes nous réellement ?
Pourquoi, tout le monde consent annuler la dette de l’Irak qui est mille fois
plus riche que la RCA qui, elle aussi, ploie dans la misère, alors que des
associations de défense des intérêts des pays pauvres peinent à obtenir la
moindre attention du G8 sur cette question ?
Ce dont on aura toujours un vivant souvenir, c’est notre active contribution, au
premier rang, à tous les combats de l’émancipation de la civilisation
humaine : la mise en valeur du vaste continent américain comme esclaves et
manœuvres déportés depuis l’île de Gorée proche de Dakar, et l’industrialisation
de l’Europe comme pourvoyeurs de matières premières en période coloniale et même
bien des siècles avant. A ce propos, il n’y a plus révélateur que la phrase de
Pierre Samuel Dupont de Nemours, l’éminent physiocrate français, dans son
discours à l'assemblée constituante pour la défense de l'acte d'abolition de
l'esclavage lorsqu’il déclara avec véhémence :
« Périssent les colonies plutôt qu'un principe ». On a répondu également présent
lors des guerres mondiales en 1914 et en 1939, sous la bannière de Tirailleurs
sénégalais, dont l’apport à été déterminant pour la libération de la France et
pour l’annihilation du projet régressif et dévastateur de A. Hitler. Au travers
des mots de J. Chirac lors de la cérémonie commémorant le 40e anniversaire du
débarquement, le 15 août 2004, rappelant « la gratitude éternelle de la France »
envers les alliés des temps difficiles, on saisit toute la profondeur des
sacrifices consentis. Et ce n’est pas tout : en Indochine et en Algérie
également, on s’est battu gratuitement au nom des principes exclusivement
occidentaux. Et au jour d’aujourd’hui, encore, on offre une active participation
à la recherche scientifique dans différents domaines de connaissance.
Actuellement, la logique de l’exploitation court toujours et on continuera
encore pendant longtemps à servir de marchepieds pour nos frères du Nord,
adeptes désormais d’une politique internationale à géométrie variable, toujours
guidée par les intérêts. Le plus blessant dans l’histoire, c’est l’ingratitude
qu’on nous sert nuits et jours sur un plateau d’or, à travers le racisme, les
mises en demeure en rapport avec notre situation de débiteurs, de réserves de
maladies, de pauvreté, d’anti-pacifiques, de trublions, de sales, etc.
Réduits à la mendicité, voilà ce que nous sommes devenus, malgré les costumes
trois pièces que nous nous imposons en nous rendant dans l’enceinte des
institutions de Bretton Woods, faisant désormais figure d’interface, jadis
inutile quand notre concours était jugé nécessaire.
Certes, nous admettons le fait d’être malpropres, mais nous ne sommes pas pour
autant des moins que rien ! Je vous l’assure, en dépit des récurrents actes
incongrus et des visions politiques moyenâgeuses de certains de nos dirigeants,
pourtant issus des élections démocratiques, ainsi que des autres dans la
hiérarchie des responsabilités publiques, nous avons notre place quelque part
sous le soleil, et il nous revient de nous battre pour la décrocher.
Nous devons d’abord nous atteler à un travail de reconditionnement de nos
mentalités appelées à s’homogénéiser et à se rationaliser. Cela exige de se
faire violence, de provoquer un conflit ouvert avec soi-même, et de pratiquer
cette indispensable rupture d’avec les anciennes attitudes de confinement dans
de vieux schémas inféconds, sources de désordres et éminents producteurs
de sous développement tels que le tribalisme, le népotisme, l’égoïsme, le manque
de scrupules, la médiocratie et la démocratie à l’africaine . Ce sont là,
malheureusement les principaux arguments de nombre de régimes africains tels que
le défunt régime du technicien agronome A. F. Patassé en RCA, qui confondait
visiblement la gestion d’un pays à celle d’une exploitation agricole familiale.
Tout le monde, dans sa modeste situation, doit se sentir concernée par
l’instauration de la paix et du développement dans son propre pays, et se
positionner comme le garant de la paix, de la stabilité et de développement, à
petite échelle, là où il lui est donné d’écouler ses jours. Que les plus
instruits contaminent ceux qui le sont moins. Que l’on arbore fièrement le
costume de vecteur du développement. Produisons du développement dans nos pays.
On ne saurait mieux le dire que le Maréchal Foch, « accepter l’idée d’une
défaite, c’est être vaincu ». Nous autres, nous avons du ressort et notre
propulsion résultera de la mise en œuvre du nécessaire travail de fond sur la
coordination des objectifs personnels et individuels aux objectifs globaux
devant également se conjuguer harmonieusement aux objectifs régionaux.
N’ayons pas peur de nous inspirer des expériences des autres, les dragons
d’Asie, les pays d’Amérique latine, l’Afrique du sud, etc. qui sortent peu à peu
la tête de l’eau, et ne nous trompons surtout pas de combat : Nous devons certes
créer notre 11 septembre, mais notre ennemi c’est nous même !
Serge Matchinidé, Dakar, Sénégal (25 décembre 2004)
Points de vue -sangonet