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DAKAR, le 19 mai 2005 (IRIN)
- Plus de six millions de personnes sont en situation d'insécurité alimentaire
dans les pays du Sahel du fait de la grave crise acridienne et de la sécheresse
qui ont ravagé les cultures l'année dernière, préviennent les experts.
La situation est tellement grave que les éleveurs vendent leurs bêtes à vil prix
et les agriculteurs n'ont d'autre choix que de consommer les stocks de semences
qui auraient dû être mis en terre à partir du mois de juin, pour la saison des
pluies.
«L'effet combiné de la sécheresse et de l'invasion acridienne, dans les parties
nord des pays du Sahel, ont causé des dégâts très importants. Les habitants de
ces régions ont besoin d'aide alimentaire et d'aide à la relance de la
production, sous forme notamment d'intrants et d'engrais agricoles pour la
saison à venir», a déclaré Edouard Tapsoba, le Représentant de l'Organisation
des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO).
Au Burkina Faso, au Mali, en Mauritanie, au Niger, au Sénégal et au Tchad, le
prix des céréales flambe.
Au Mali par exemple, le sac de 100 kg de mil est passé de 12 000 francs CFA (24
dollars) à 20 000 francs CFA (40 dollars).
Dans le même temps, le prix de vente du bétail a fortement chuté et des éleveurs
appauvris bradent leurs bêtes amaigries pour pouvoir acheter des céréales et
nourrir leur famille.
«L'accès aux principales denrées vivrières de base est de plus en plus difficile
pour les ménages vulnérables et les éleveurs», a déclaré la FAO dans un
communiqué publié ce mois.
«La grave malnutrition infantile se propage rapidement», a ajouté la FAO dans le
communiqué de mardi.
Au Niger, au Mali, en Mauritanie, les organisations non gouvernementales
Médecins sans frontières et Action contre la faim ont signalé des taux de
malnutrition alarmants chez les enfants de moins de cinq ans.
D'après MSF, un enfant sur cinq dans les districts de Tahoua et Maradi au Niger
risquent d'être sous-alimentés.
Suite au passage l'année dernière dans les pays du Sahel, de nuées de criquets
pèlerins, suivis par un arrêt précoce des pluies, les pays du Sahel ont
enregistré de très forts déficits céréaliers.
«Les populations n'ont plus de quoi semer car elles ont consommé leurs stocks de
semences, et l'impact négatif sur la prochaine campagne pourrait d'être
important en terme de superficies semées», a déclaré à IRIN Caroline Bah, la
directrice de l'organisation non gouvernementale Afrique verte.
La situation est encore plus grave pour les éleveurs. Criquets pèlerins et
sécheresse ont affecté les pâturages dans des zones où l'élevage est important.
«Ce problème ne se résoudra pas rapidement, il faut des années pour reconstituer
un cheptel», a ajouté Bah.
Au Niger, les autorités ont indiqué que près de 40 pour cent des 10 000 villages
que compte le pays, ont enregistré des pertes de production pouvant aller
jusqu'à 100 pour cent.
Selon elles, environ 3,9 millions de personnes, soit le tiers de la population
nigérienne, connaissent des difficultés alimentaires.
N'ayant plus rien à manger, les populations en sont réduites à consommer des
arbustes sauvages.
«La population a adopté un comportement caractéristique de famine», a déclaré à
IRIN Daddy Dan Bakoye, le chef du service statistiques agricoles au ministère de
l'agriculture nigérien.
«Par exemple, elle consomme des produits de cueillette comme l'anza, une petite
plante sauvage aux fruits très amers, qu'elle consomme uniquement en période de
disette», a-t-il ajouté.
En Mauritanie également, la situation est préoccupante.
«La situation est très difficile; les besoins sont très importants sur le
terrain. Il y a eu des crises alimentaires successives, des sécheresses en 2001,
2002 et 2003 puis les criquets en 2004. L'impact cumulé sur la sécurité
alimentaire des ménages a été très important et leur équilibre a été totalement
perturbé», a confié à IRIN Jean-Martin Bauer, du Programme Alimentaire Mondial,
depuis Nouakchott.
Il a ajouté que la période de soudure avait été anticipée, plus longue que les
années précédentes, plus sévère et avait concerné davantage de personnes.
Les autorités mauritaniennes estiment que près du tiers de la population - soit
900 000 personnes – risque d’être en situation d'insécurité alimentaire.
«Les populations rurales développent des stratégies de survie comme le
surendettement des paysans, l'exode rural de familles entières, la vente
d'animaux femelles reproducteurs, et c'est un signe d'alerte précoce quand les
gens vendent leur capital», a déclaré à IRIN Mohameden Ould Zein, Directeur de
la sécurité alimentaire.
«On assiste aussi à une recrudescence des maladies liées à l'insécurité
alimentaire, kwashiorkor, marasme, infections respiratoires aiguës», a-t-il
ajouté.
Au Mali, les autorités ont annoncé que plus d'un million de personnes à travers
le pays avaient des difficultés pour se nourrir.
Dans un communiqué de presse paru le 29 avril, l'ONG française Action contre la
faim a indiqué qu'une enquête nutritionnelle effectuée dans la région de Kidal
au nord-est du pays a montré qu'un enfant de moins de 5 ans sur trois souffre de
malnutrition aiguë et a lancé un appel à la communauté internationale pour
qu'elle aide les populations du pays.
Au Burkina Faso, les autorités estiment que près de 500 000 personnes sont
vulnérables à l'insécurité alimentaire.
Au Sénégal, dont la production céréalière pour la campagne 2004/05 a accusé une
baisse de 27 % par rapport à la production exceptionnelle de 2003/04, les
ménages au nord du pays connaissent eux aussi des difficultés importantes.
Confrontés à l'insécurité alimentaire, les gouvernements des pays sahéliens ont
pris des mesures d'urgence : distributions de céréales aux communautés affectées
au Burkina Faso, vente de 15 000 tonnes de fourrages au Mali, vente de céréales
à prix subventionné au Niger, programme de vivres contre travail et
établissement de banques de céréales en Mauritanie.
En mars dernier au Niger, le gouvernement a lancé une opération de vente de
céréales à prix modérés en mettant sur les marchés 30 000 tonnes de mil, maïs et
sorgho vendus à 10 000 francs CFA (20 dollars) le sac de 100 kg, contre 20 000
francs CFA (40 dollars) chez les opérateurs économiques.
Mais ces mesures demeurent largement insuffisantes.
«Les besoins sont tellement immenses qu’ils ne seront pas tous satisfaits», a
déclaré Dan Bakoye.
La crise alimentaire au Niger n'a pourtant pas empêché le gouvernement
d'introduire une taxe sur les produits et services de base au mois de mars, ce
qui a provoqué une hausse généralisée des prix.
Après six semaines de crise sociale, les autorités nigériennes ont cédé à la
pression populaire et ont finalement annulé la taxe sur la farine et le lait.
En Mauritanie, le PAM a lancé un appel pour venir en aide à 400 000 personnes,
mais n'a pas encore obtenu tous les fonds nécessaires pour mener à bien cette
opération.
Les autorités mauritaniennes ont lancé un appel à la communauté internationale à
la fin novembre pour la fourniture de 110 000 tonnes de vivres, dont plus de 80
000 de céréales. Jusqu’à présent, moins de 50 pour cent de ces besoins sont
couverts, a déclaré Ould Zein.
Le 30 mars dernier, les Nations unies ont lancé un appel de fonds de 38 millions
de francs pour aider les pays victimes de la crise acridienne.
«Des fonds supplémentaires sont requis de toute urgence pour conjurer
l'aggravation de la situation», a déclaré la FAO dans son dernier rapport.
Outre une aide alimentaire d'urgence, les populations auront également besoin
d'une aide pour la relance de leur production agricole.
«De nombreuses familles agricoles auront besoin de semences et d’intrants
agricoles pour la prochaine campagne agricole qui démarrera fin mai/début juin»,
a ajouté l'organisation.
Actualité internationale et africaine de sangonet