Quel avenir pour ces femmes et hommes centrafricains victimes de viols pendant la guerre civile ?
BANGUI, le 22 août 2005
Nations Unies (IRIN)-SG - Près de cinq ans après la guerre
civile en République Centrafricaine (RCA), conflit au cours
duquel les rebelles
congolais ont fait du viol une arme psychologique contre la
population, les victimes et la nation toute entière traînent
encore les séquelles de ces actes barbares.
Malgré leur souffrance, les victimes et les témoins de viol
parlent ouvertement de leur traumatisme. Bernadette Sayo,
professeur dans un établissement secondaire, est lune de
ces victimes. En 2002, les rebelles du Mouvement de libération
du Congo (MLC) ont tué son mari sous ses yeux et lont
ensuite violée.
Pour renforcer son gouvernement et faire face aux menaces de
déstabilisation du pouvoir par André Kolingba, instigateur de
la tentative avortée du coup dEtat sanglant du 28 mai
2001, le président Ange-Félix Patassé avait fait appel au MLC
de Jean-Pierre Bemba. Les miliciens de Jean-Pierre Bemba, pris
dune crise de folie meurtrière, avaient tué des hommes et
violé des femmes à Ouango, un quartier est de la capitale où
vivaient M. Kolingba et des membres de son ethnie yakoma.
La situation sétait aggravée en octobre 2002, lorsque des
rebelles, menés par François Bozizé, le chef d'état-major de
l'armée à lépoque et lactuel président de la
République centrafricaine, avaient défait les soldats de la
garde présidentielles et pris le pouvoir quelques mois plus
tard.
Jean-Pierre Bemba avait de nouveau prêté main forte à
Ange-Félix Patassé et les miliciens du MLC, profitant de la
situation chaotique qui régnait dans le pays, avaient fait subir
des violences sexuelles aux femmes et aux hommes des quartiers
nord de Bangui, un bastion de M. Bozizé. Et ces actes barbares,
Mme Sayo nest pas prête doublier.
« Ce n'est pas facile en tant que femme d'oublier un tel choc.
Je garde toujours en mémoire des souvenirs de ces actes
barbares. Malgré les efforts que je ne cesse de faire pour en
parler afin de me libérer, il y a quelque chose en moi qui me
gêne », a-t-elle confié.
Des jeunes enfants âgés de six à quinze ans, des femmes
mariées, des femmes de 60 ans et plus, personne na été
épargné par ces atrocités. De nombreuses femmes mariées sont
désormais contraintes de divorcer, certaines ayant contracté le
virus HIV/SIDA et dautres étant tombées enceintes.
LONG fondée et présidée par Mme Sayo, lOCODEFAD
(Organisation pour la Compassion et le Développement des
Familles en Détresse) a enregistré 800 cas de viols et seize
naissances résultant de ces viols.
Selon Mme Sayo, lOCODEFAD est la seule organisation du pays
à soccuper des victimes du putsch dAndré Kolingba.
LONG a pour but dengager des poursuites judiciaires
contre les violeurs et leurs complices, de créer des activités
lucratives en faveur des victimes et de défendre la dignité des
femmes.
LOCODEFAD a également recensé 140 cas dhommes
sodomisés ou contraints davoir des relations sexuelles
avec les rebelles femmes du MLC, des actes dont le but était
dhumilier, davilir et de stigmatiser les victimes.
« Nous étions plusieurs hommes à être sodomisés lors des
évènements d'octobre 2002, mais certains ont préféré se
taire ; ce n'est pas facile de parler d'un truc pareil au public,
voyez-vous », a confié Jacques Sanzé.
Jacque Sanzé, violé par les rebelles du MLC. |
UNE HUMILIATION SANS FIN
La plupart des victimes de viol ont encore honte et sont
rejetées par leurs communautés. Afin déviter cette
humiliation, un grand nombre de victimes préfèrent rester
cloîtrées chez elles. Beaucoup de filles ne vont plus à
lécole car, au lieu de les soutenir, leurs camarades se
moquaient delles. Quant aux victimes plus âgées, elles se
sentent rejetées par leurs maris, leurs familles et leurs
voisins.
« Je me sens rejetée par mon entourage », a confié Fane
Moussa, 26 ans.
« Je ne peux plus me remarier. Tout comme les autres, je suis
montrée du doigt au marché où je fais mon commerce, dans les
rues et un peu partout comme étant la femme des miliciens MLC,
les Banyamulenge, et les hommes me fuient. Au fait, j'ai honte
quand les gens me voient », a-t-elle ajouté.
Pour Fana Moussa, en tant que musulmane, son rejet est presque
total. Son mari la rejette et dautres musulmans affirment
quelle na pas respecté le Coran, même si elle a
été violée.
« Cette femme, tout comme bien d'autres dans le quartier ici, a
commis l'adultère qui est un acte interdit par le Coran ; elle
est impure et il n'est pas question d'épouser celle-ci ou avoir
des relations sexuelles avec elle. Pour un bon musulman, vivre
maritalement avec elle est un sacrilège », a affirmé Hassan,
un voisin de Fana Moussa et homme daffaires, qui na
pas voulu révéler son identité.
Devant de telles convictions, Moussa et dautres femmes
musulmanes nont eu dautre choix que de vivre recluses
dans le quartier nord de Bangui.
Un enfant né d'un viol. |
Outre le fait quelles sont rejetées par la société, les
victimes de viol ont aussi du mal à se procurer de la nourriture
car elles ont peu ou pas du tout dargent et, pour la
plupart, ne reçoivent plus daide de leur famille.
Certains enfants ne vont plus à lécole car leurs parents
ne peuvent plus payer les frais de scolarité. Leurs besoins sont
par conséquent importants.
« Nous voulons une prise en charge psychologique, médicale et
sociale pour nous victimes d'abord, une prise en charge scolaire
pour nos enfants et une protection de la part des autorités car
nous sommes des personnes très vulnérables et nous ne sommes
pas en sécurité », a ajouté Mme Sayo.
Néanmoins, selon Georges M'Baga, directeur de cabinet du
ministère des Affaires sociales et de la Famille, « le
ministère des Affaires sociales et de la Famille se bat pour la
réhabilitation sociale, financière, médicale et psychologique
des victimes des viols dans notre pays ».
PEU DAIDE POUR LES VICTIMES
Jusquà présent, aucune victime de viol na reçu une
aide concrète de la part du gouvernement qui doit 40 mois
darriérés de salaire à ses fonctionnaires. De son
côté, le gouvernement a annoncé quil allait demander au
Tribunal pénal international de la Haye dexaminer le cas
des victimes des viols.
Hormis laide versée en 2003 par le Programme des Nations
unies pour le développement, aucune organisation internationale
na prêté attention au sort des victimes. Par conséquent,
rapporte Mme Sayo, les personnes violées et devenues
séropositives meurent car elles nont pas les moyens
dacheter des médicaments antirétroviraux.
Alors que lon pensait que larrivée au pouvoir de
Bozizé, à la mi-mars 2003, mettrait fin aux viols, ces
pratiques ont continué. Mais cette fois-ci, les violeurs
étaient des Centrafricains. Bien que les victimes aient souvent
accusé les soldats, les sanctions judiciaires prises à
lencontre des auteurs de ces viols étaient mineures voire
inexistantes.
Plusieurs rapports de police confirment les dépositions des
victimes et prouvent que des soldats de larmée régulière
sont les auteurs de ces viols, a confié un officier supérieur
de la police, sous le couvert de lanonymat.
Ainsi, les violeurs ne semblent pas intimidés par les propos du
Président Bozizé qui exige que les coupables soient
sévèrement punis par la justice. En 2004, des soldats accusés
de viol ont été exclus de larmée et mis en prison.
Cependant, la plupart de ces hommes se sont échappés durant
leur garde à vue ou ont été libérés par dautres
soldats ou par des agents de la sécurité.
Ces hommes et ces femmes, violés par les reblles congolais en 2001 et 2002, se rencontrent chaque semaine à Bangui pour discuter de leurs problèmes. |
DES POURSUITES JUDICIAIRES
Malgré son manque de confiance en larmée, Elisabeth
Mayongo, 50 ans, croit encore en la justice centrafricaine.
« Nous voulons que justice soit faite et c'est cette justice qui
nous consolera de cette humiliation infligée par nos bourreaux
[Ange Félix Patassé et Jean-Pierre Bemba], a-t-elle dit.
LOCODEFAD a déposé une plainte contre Ange Félix
Patassé et Jean-Pierre Bemba auprès du Tribunal pénal
international. Cependant, lONG déclare avoir besoin
dargent pour pouvoir introduire une demande daide
juridique au nom des victimes et pour les aider à améliorer
leurs conditions de vie. Georges M'Baga, du Ministère des
Affaires sociales et de la Famille, a annoncé quune aide
durgence de 55 000 dollars américains pourrait être
versée par la Banque mondiale dans le cadre du projet LICUS.
« OCODEFAD est la principale bénéficiaire de cet argent
octroyé dans le Cadre du projet LICUS », a-t-il déclaré.
Georges M'Baga espère que ce projet permettra dobtenir le
versement de 200 millions de francs CFA supplémentaires (soit
environ 377 323 dollars américains) qui seront négociés avec
la Banque mondiale au mois de septembre.
Les fonds doivent soutenir des activités lucratives mises en
place par des ONG comme celle de Mme Sayo, qui se préoccupent du
sort des victimes.
CENTRAL AFRICAN REPUBLIC: The plight of rape victims endures (19 août 2005)
Santé, Actions humanitaires - sangonet