« 13 AOUT
1960 - 13 AOUT 2011 : 51 ANNEES DE GÂCHIS »
« Nous
avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin,
midi et soir, parce que nous étions des nègres. Qui oubliera qu’à un noir on
disait “tu”, non certes comme à un ami, mais parce que le “vous” honorable était
réservé aux seuls blancs ? »
Patrice
Emery LUMUMBA,
Kinshasa 30 juin 1960
Le
13 aout 1960, après soixante-dix années de colonisation la France par
André Malraux accordait l’indépendance à la République Centrafricaine entamée en
juin 1956 par la loi Gaston DEFERRE et amplifiée par la proclamation de la
République le 1er décembre 1958.
A l’aube de ce deuxième cinquantenaire de
notre indépendance dans lequel nous sommes entrés, l’état de la République et de
la Nation exige que nous posions la juste interrogation pour parvenir au bon
diagnostic afin de planifier
l’élaboration du dosage nécessaire capable d’inscrire durablement notre pays
dans le 21ème siècle.
Il
est vrai que l’état actuel de la République et de la Nation s’est terriblement
dégradé depuis le génocide electoral du 23 janvier 2011.
En
effet, l’actualité de ces six derniers mois inquiète. Nous assistons à une
dégradation aiguë de la situation sécuritaire, une montée des mouvements
sociaux : militaires et gendarmes retraités, étudiants locaux et expatriés,
enseignants(1), personnel médical,
etc. Une pénurie d’électricité sans précèdent et une crise d’accès à l’eau
potable jamais connue de mémoire d’Oubanguiens et Centrafricains. A cela
s’ajoute les affaires de corruption, de détournements, de clanisme,
d’acquisition de matériels de guerre et de prédation dont une certaine presse en
fait l’écho. Sans oublier cette instabilité financière mondiale qui aura
certainement des répercussions dans nos quartiers, cités, hameaux et
marmites.
Ainsi,
analyser l’énorme gâchis qu’ont été les cinquante et une années de notre
indépendance à la seule lumière du pouvoir du KNK, serait intellectuellement
malhonnête, politiquement sournois et historiquement
infondé.
DE
L’EMPIRE A L’EMPIRE
Toute
chaîne de fabrication automatique est régie par un cycle de production. L’accumulation de matière première
entrant dans le processus de fabrication (input) n’aura aucune incidence sur la
qualité et la quantité de production tant que le cycle n’est pas modifié. C’est
hélas le triste constat pour notre pays la République Centrafricaine.
Lorsqu’il
réalisa son coup d’état en janvier 1966,
Jean Bedel Bokassa fut aidé dans l’exécution de son plan par un jeune
officier du nom d’André Kolingba. Et dans son 1er gouvernement
siégeait Ange Félix Patassé. A la fin des années soixante, un sous-officier des
FACA se nommant François Bozizé
Yangouvonda fut propulsé Général en violation de tous les principes de promotion
militaire et entra dans le ‘lieu très saint’ à savoir la cour du Maréchal puis
de l’Empereur. Au milieu des années soixante-dix, l’ancien Chef de l’Etat David
Dacko retrouva grâce et fut promu à la cour comme Conseiller Spécial avec rang
et prérogative de 1er Premier Ministre.
Ainsi,
l’histoire de la RCA de ces 45 dernières années n’est que le mouvement d’un seul
cycle à savoir celui de la saint sylvestre 65 avec les mêmes principaux
protagonistes, reproduisant les mêmes actes, les mêmes défauts en les amplifiant
et se servant du territoire national comme une aire de jeu pour solder leurs
comptes personnels ou assouvir leurs passions.
Il
n’est donc pas étonnant que l’actuel locataire du palais de la Renaissance qui
est le dernier survivant politique actif de ce cycle réhabilite l’empereur
malgré le verdict de 1987 et tente aussi de restaurer l’empire par sa gestion
exclusivement patrimoniale des affaires de l’état et par la dévotion filiale du
pouvoir dont les rumeurs enflent tous les jours dans les rues de
Bangui.
Face
à ce cycle qui arrive à son terme mais qui a eu le temps de pondre des œufs dont
la nocivité s’annonce plus dangereuse que celle des géniteurs, que
faire ?
UNE
OPPOSITION EGAREE
Il
y’a quelques jours par une série d’article de presse, je découvrais stupéfait
une proposition de certains leaders de l’opposition centrafricaine appelant à
dialoguer avec le pouvoir. A l’argumentation de celle-ci, on pouvait
lire :
·
l'exigence
d'annulation des élections du 23 janvier 2011,
·
la saisine de la Cour Constitutionnelle
par Maître Tiangaye sur le cumul de mandats par François Bozizé,
·
le rapport de la Mouvance Patassé sur les
conditions de sa disparition,
·
la réunion des préfets et la politisation
de l'administration territoriale, etc,
·
la situation économique et financière de
notre pays avec : la Table Ronde de Bruxelles, la dernière visite du FMI
·
la
situation sécuritaire: le DDR et la situation sécuritaire globale …
S’il
n’était pas question de la vie, que dis-je de la survie du peuple centrafricain,
nous rigolerons de cette comédie car en réalité au cœur de l’Afrique le ridicule
ne tue pas, ne tue plus.
L’histoire se moque souvent des
individus qui la considèrent comme un terrain vague sur lequel ils peuvent venir
se soulager en toute impunité disait Noel Isidore Thomas Sankara et elle est en
train de se moquer de l’opposition centrafricaine condamnant avec elle, le
peuple entier.
Alors que le pays va mal. Alors que
les rues de notre pays sont encombrées de désespoir, de désespérance,
d’inquiétude, de misère, d’injustice, d’insécurité, de famine, d’inondation, de
catastrophes naturelles… On assiste à la naissance d’une nouvelle magouille
pompeusement nommée : « l’opposition prête à dialoguer avec le
pouvoir. »
Les mêmes qui appellent aujourd’hui
à dialoguer avec le pouvoir diront à l’approche de 2016 ou dans les mois à venir
que Bozizé est un autiste et que c’est à cause de lui que les résolutions de ce
énième dialogue n’ont jamais été appliquées. Les mêmes écriront des textes
auxquels ils ne croiront pas. Solliciteront des rendez-vous dans les
chancelleries à Bangui ou ailleurs pour plaider la cause de la démocratie
lorsque le machiavélique plan de modification constitutionnelle ou de dévotion
monarchique du pouvoir sera mis à exécution. Les mêmes, avec leurs familles pour
la plupart installé à l’étranger appelleront les enfants des autres à servir de
paillasson à leurs ambitions sans idéaux et éthique. Or c’est maintenant qu’il
faut préparer demain. C’est maintenant qu’il faut formuler des réponses aux
multiples crises que nous connaissons. C’est maintenant qu’il faut être aux
côtés du peuple centrafricain qui souffre au lieu de s’enfermer au sein d’un
aéropage dont les multiples sessions n’ont fait qu’empirer la situation et d’où
le messie n’est jamais sorti.
DE LA NECESSITE DE L’EMERGENCE
D’UNE VERITABLE ALTERNATIVE
Le 13
aout 2011 est arrivé et avec lui le
51ème anniversaire de notre indépendance. Il ouvre un double
chapitre, d’une part celui des
joies, des rêves et des espoirs nés à l’indépendance et d’autre part celui des
désillusions, des peines, des injustices et des
incertitudes.
Les récents développements de l’actualité
nous éloignent de la paix et rendent le développement inaccessible. Chaque jour
qui passe nous apporte son lot de certitude qui nous fait croire que nous nous
approchons du moment où le danger atteindra son paroxysme.
Face à cette réalité peu reluisante il est impérieux
qu’émerge une nouvelle alternative pour reprendre la construction de ce pays qui
est demeurée au stade embryonnaire depuis le 13 aout 1960.
J’ai débuté cette tribune en citant Patrice
Emery Lumumba. En effet ce 30 juin 1960 à Kinshasa, il a prononcé un discours
qui ouvrait des perspectives et renforçait l’espoir du peuple. Hélas
l’indépendance a produit une nouvelle colonisation celle des locaux d’en haut
contre les masses. La même chose nous est aussi arrivée. La situation ne s’est
guère améliorée et l’on entend parfois dans certains soupirs : « il
faut que amoundjou a kiri a ga a
mou kodoro so ». La colonisation a été remplacé par un système local qui
perpétue les exactions et par
moment est parvenu à dépasser celles commises entre 1890 et
1960.
Dans une tribune publiée en mai
2008 (2), j’écrivais : « Dans un monde en
mouvement où les Américains vont placer un noir à la maison blanche, où les
Français ont élu président un homme dont le grand-père est Hongrois, où les
négro-Mauritaniens réfugiés au Sénégal rentrent , où les militants de l’ANC ont
imposé ZUMA à MBEKI, où le procès de Habré va commencer et bientôt ceux de
Patassé et Bemba je l’espère, où les libériens ont élu une femme présidente de
la République et où les Zimbabwéens ont dit au revoir à Mugabé. Dans ce
monde-là, le dialogue politique inclusif que l’on propose au centrafricain n’est
pas la panacée à ses problèmes. Son actualité et sa prochaine tenue sont une
insulte à son intelligence et le place devant deux issues :
● La Fatalité, c’est-à-dire un
avenir déjà compromis par l’usure, l’impunité, la corruption, la gabegie, la
gouvernance à vue ... et;
● L’Avenir, c’est-à-dire une nouvelle offre
politique. Celle qui nous force à avoir foi en nous, en nos capacités et nous
place devant notre tâche principale : engagement et
persévérance dans le travail et l'excellence qui est la seule mécanique pour
transformer nos potentialités en richesses véritables dans un Centrafrique
pacifié, réunifié et en marche, où l’on mettra le savoir et la technique au
service du Centrafricain et de son environnement. »
L’histoire
de ces cinquante et une dernières années a été jalonnée d’occasions manquées.
Nous devrons refuser que l’actuel cycle en soit une de
trop.
Aux
quatre coins de la République Centrafricaine et du monde : bonne fête
d’indépendance à tous les Centrafricains.
Clément
BOUTE-MBAMBA
1 :
Il est ironique de constater que la 1ère crise sérieuse à
l’université de Bangui depuis 2003 a lieu sous un gouvernement dirigé par un
Premier Ministre, Professeur de son Etat et Ancien Recteur de l’Université de
Bangui.
2 : LE DIALOGUE POLITIQUE INCLUSIF: Un rendez-vous manqué avec l’histoire http://www.sozoala.com/palabre/reflexions/r20080520001.htm