Centrafrique : 50 ans d’Etat braqueur de République et de
Démocratie.
Comme
les 16 autres Etats d’Afrique Subsaharienne
dont 13 francophones, l’ancien
Territoire de l’Oubangui-Chari
fêtera cette année le cinquantième anniversaire de son accession à la
souveraineté. L’Oubangui-Chari –anciennement composante de l’Afrique Equatoriale
Française - est devenue République
Centrafricaine le 1er Décembre 1958. En revanche, son indépendance
n’a été proclamée que deux ans plus tard à savoir, le 13 Août
1960.
Le choix de célébrer le cinquantenaire en
décembre
est
symptômatique du malaise et du mal-être de cet Etat. S’aventurer dans l’état des
lieux ou dans l’autopsie de ce malaise confine à une gageure mais le défi en
termes d’utilisation des instruments d’analyse est exaltant à l’aune des
questionnements suivants. Si l’on pose un regard rétrospectif sur l’histoire de
l’Oubangui-Chari devenu République Centrafricaine, dirait-on 50 ans de logique
d’Etat hostile à tout ancrage dans la République et la Démocratie ou
50 ans de maigre République et d’Etat gras ? Quelle grille ou clé de lecture utiliser
pour élucider de façon pertinente l’absence, voire l’insuffisance d’articulation
entre l’Etat et la société notamment à partir des politiques publiques élaborées
et des manières de les mettre en œuvre ? Quelle est la finalité de l’Etat
en Centrafrique ? Dit autrement, l’Etat est-il au service du peuple
souverain (souverain seul, c’est le roi, pas le
peuple) ou destructeur et donc,
présente-t-il pour la nation Centrafricaine un risque ?
Comment comprendre que l’Etat est loin de se rendre compte de l’inéluctable et
urgente nécessité d’être la fabrique de catalyseur des valeurs républicaines
pour mettre le pays en osmose avec les autres pays du continent et de la
sous-région, de l’Union Africaine, de la CEMAC
et des autres institutions et mécanismes de la Communauté internationale ? Qui
est à l’origine de la fissure puis de la ruine de cet édifice, qu’est l’Etat?
Et pourquoi la seule faute de nombreuses
victimes de ces ruines est
d’être nées Centrafricaines et de se trouver sous, dans ou à proximité de
l’édifice au moment où il s’écroule ?
La
prétention de cette contribution aux débats sur le cinquantenaire ne se veut ni
une plaidoirie ni un réquisitoire, encore moins une prescription, nous avons
cherché l’angle ou le prisme
épistémologique le plus pertinent
possible de lecture sans tomber dans l’invective pour l’invective. A cette
raison se greffe l’actualité dominante en Centrafrique. Une dynastie se
profile à l’horizon et les
candidatures les plus farfelues dont celles des élites prédatrices, se bousculent
pour les élections générales plusieurs fois
reportées, sans qu’aucun candidat ne soulève la question de
l’injonction, que les valeurs républicaines
et démocratiques font à la logique
d’Etat, d’opérer un processus de
métamorphose comme seconde phase de
la décolonisation. Dès lors, proposer une clé d’élucidation de l’histoire de
l’Etat en Centrafrique est une gageure certes mais une gageure exaltante. Nous
avons choisi pour cet éclairage
et l’angle de vue, la définition que donne Max Wéber de
l’Etat. D’après Max Wéber
« l’Etat est l’instance qui détient le monopole de la violence
légitime sur un territoire donné » Cette lecture anthropologique de
l’Etat par cet illustre auteur nous
enrichit de trois apports :
1) La différence entre Etat et République. L’Etat est différent de la nation. Ce
n’est pas l’Etat au sens pays développé
d’économie de marché ou pays en voie de développement ou Tiers monde au
sens Alfred Sauvy. Qu’il se situe dans l’hémisphère Nord ou dans l’hémisphère
Sud, l’Etat est
une puissance sociale/militaire qui exerce son pouvoir par la coercition.
Le pouvoir est concentré entre les mains d’une classe, idée de monopole dans
la sphère militaire ?, puissance coercitive et source
d’oppression sociale et qui a le
monopole de la violence légitime.
L’Etat aliène,
oppresse les populations [le peuple souverain] et vit de prédations sans état
d’âme, compromettant ainsi définitivement et irrémédiablement toute chance
d’émancipation de celui qui est supposé être source de souveraineté.
Dans
le cas qui nous préoccupe, l’Etat en Centrafrique avait, dès 1962 (David
Dacko I), construit sa légitimité
sur le parti unique, le MESAN [Mouvement de l’Evolution Sociale en Afrique
Noire] en éliminant son rival le MEDAC [Mouvement pour l’Evolution de la
Démocratie en Afrique Centrale] de Abel Goumba, jugé trop néo marxiste.
2)
Il nous fait remarquer que la coercition et l’absence d’ancrage
social de l’Etat est la marque de fabrique de
l’Etat.
3) Enfin, pour ce qui est du totalitarisme, il se caractérise par le fait de recourir à
des expédients, des mascarades et autres formes de parodies de justice pour éliminer systématiquement tous les concurrents et bâillonner les autres sources sociales de réflexion.
Mais
Max Wéber nous laisse sur notre faim pour ce qui relève de la vacuité
idéologique dont souffre la Centrafrique depuis la nuit des temps. Sommes-nous
fondés à nous interroger sur le lien qui existe entre «
indépendance » et « idée
de libération » ? L’indépendance induit-elle immédiateté en démocratie et changements économiques ? Si
oui, pourquoi 50 ans après
l’accession des Etats à l’indépendance en droit des Etats, l’autocratie,
la coercition et la dépendance économique dans les faits et toutes les valeurs
d’aliénation de l’individu et des communautés humaines et territoriales se sont-elles fossilisées ? Pourrions-nous entendre par vacuité idéologique la
réalisation par les Centrafricains eux-mêmes de la représentation qu’avait l’ex-colonisateur de l’idée d’indépendance.
Il s’agissait davantage d’un mandat d’administration de territoire ou de
comptoir local, en fait de la défense des
intérêts économiques et diplomatiques de l’ex-
colonisateur que de gouvernance de territoires, d’abord très éloignés de
la métropole et aussi divers et variés, ce qui
deviendrait coûteux et peu rentable
A
la lueur de cette définition, l’Etat en Centrafrique est loin de poser les premières bases
des valeurs républicaines et encore moins de faire émerger les valeurs
démocratiques malgré les gesticulations, les contorsions
politico-juridiques et les
connivences que théâtralisent ces derniers temps l’oligarchie politique et les
aristocraties militaires.([1])
En
faisant l’exégèse des
indépendances en Afrique, nous en
arrivons à la thèse de la récompense articulée à celle de l’émergence de
nouvelles problématiques de positionnement de pays nouvellement souverains sur la scène internationale.
·
La
récompense. Les 17 pays d’Afrique au Sud du
Sahara ont pris part aux côtés des ex-empires
coloniaux aux deux guerres mondiales et plus tard, celle d’Indochine . Dès lors,
leur octroyer les indépendances en droit mais les maintenir dans la dépendance
de fait s’imposait. Cette logique
permettait aux pays ex-colonisateurs de
préférer la formule de l’administration à la celle de la gouvernance. Les
autochtones plus ou moins éclairés auraient mandat d’administrer -sous le regard
bienveillant et dans l’intérêt de l’ancien colon-, car la gouvernance induisait
décisions à prendre alors que les territoires sont non seulement très éloignés
de la métropole mais sont aussi divers que variés les uns des autres.
·
Quant
à la thèse de l’émergence de nouvelles questions sur la scène
internationale. Ces questions sont
induites par l’avènement de l’ONU, au détriment de la Société des Nations et l’existence du Conseil de Sécurité.
Dès lors que les pays occidentaux étaient au point culminant de la guerre froide et
de la coexistence pacifique , il fallait qu’ils s’assurent du vote massif
des anciennes colonies pour permettre à la
Grande Bretagne et à la France d’avoir du poids face à la Chine, les Etats-Unis
et l’Union Soviétique .
Pour
en venir au cas Centrafricain, la décolonisation dès 1960 a donné naissance plutôt à un Etat qu’à une
République. Nous osons soutenir, avec hardiesse la thèse selon laquelle la proclamation
de l’indépendance le 13 Août 1960 signifiait en termes de réalités
méconnues, la remise des clés d’entrée dans une forme de souveraineté limitée
d’un Etat , à charge pour celui-ci de réussir à cultiver et promouvoir les valeurs républicaines, elles-mêmes
porteuses de valeurs démocratiques, avec pour locomotive le lien social fait de
patriotisme, autour de l’idée de Nation, de Réglementation, et d’habitudes
locales, le tout appelé
« phénomène de société » .
L’articulation
et la mise en interdépendance de ces deux thèses, nous ont inspiré l’idée
d’analyser la culture politique, carburant de la logique d’Etat en Centrafrique
depuis 50 ans à l’aide du
concept dont nous nous servons dans
nos travaux de recherche en matière de dimension sociale et solidaire de
l’entrepreneuriat. Il nous semble
que l’un des objectif fondamentaux de
l’Etat, à peine sorti des traditions ancestrales était de faire
évoluer les coutumes vers la loi pour faire émerger la Nation et asseoir
celle-ci sur des valeurs républicaines et démocratiques. Cette évolution devrait
se faire sous la houlette et non
sous la férule de l’Etat, par l’affrontement des volontés et des mécanismes de régulation et non à
marche forcée vers un pays acquis à la
faveur de clivages et de la soumission de certaines tribus à d’autres. La
construction de la Nation –qui devrait être guidée par la logique de
processus-, a été opérée par une logique de procédure tramée d’ostracisme. On a
confondu la confrontation guerrière entre
les différentes composantes de la
Nation avec
la démarche de confrontation que requiert un projet de cette dimension et
de cet enjeu. La confrontation au lieu de l’affrontement a signifié pour les
oligarchies et les aristocraties à la tête de l’Etat, de rendre les entités
nationales ou groupes ethniques dociles et nier le statut de la
différence. La confrontation, ayant remplacé l’affrontement -bien que les deux
soient la résultante des attitudes et des comportements des acteurs- ne s’est
pas engagée dans le cheminement de
l’identification puis de la consolidation des
valeurs socles de l’Etat et des référentiels
républicains dans lesquels les nations se reconnaitraient et
s’identifieraient. Elle a transformé l’Etat en
cirque de gladiateurs.
Partant
de cette hypothèse, l’Etat en Centrafrique n’était pas et n’est toujours pas l’émanation des entités nationales et groupes
ethniques, et la culture politique dominante n’est pas
prête à faire émerger des attitudes et des
comportements générateurs de
dynamiques de construction du phénomène de la Nation, donc du phénomène de
société avec ses tribus, ses rites et ses
mythes. L’Etat en Centrafrique est réduit à être au service des oligarchies et
des autres aristocraties qui elles-mêmes,
constituent un ensemble mal coordonné de rituels puissants. La mise en gestation
des valeurs républicaines qui apparaissait
comme une assignation et
constituait les instruments de conduite à
terme d’un modèle de démocratie, même
balbutiante, n’a jamais été respectée et est loin d’affleurer lorsque l’on observe les politiques
publiques, de leur conception à leur mise en œuvre. Pour prendre une
métaphore des Saintes
Ecritures,, en 50 ans, la Centrafrique se complaît tellement dans le désert
dans lequel la logique d’Etat la maintient qu’elle est encore loin de commencer
à esquisser la feuille de route de
son Canaan.
L’Etat n’a pas jugé nécessaire de mettre
en gestation les valeurs républicaines, condition
préalable à l’émergence des valeurs démocratiques. La confusion a régné
et règne encore quant au régime d’Etat. Très longtemps et aujourd’hui encore,
malgré la multitude des partis
politiques élitistes, on entretient la confusion entre la source de légitimité d’un Etat et la
reconnaissance de sa souveraineté internationale. Un Etat peut choisir d’avoir
pour source de légitimité soit le système féodal soit le système monarchique
soit le système républicain ; ce dernier est caractérisé par le régime de démocratie
représentatif, les élections libres, transparentes et crédibles. En Centrafrique l’Etat gère à merveille le syncrétisme.
Il est tantôt bicéphale [puise sa rationalité dans des valeurs ancestrales pour
asseoir sa singularité par opposition aux pays dits de vieille démocratie], tantôt s’autonomise par une emprise totalitaire et
tyrannique. Depuis 50 ans l’Etat en Centrafrique a, non seulement monopolisé la violence en se désarticulant des autres sources
sociales mais , même toute raison
gardée, s’est lancé dans une entreprise de dévoiement et de bifurcation des
logiques qui servent de support au
fonctionnement minimum de l’Etat, à sa la fiabilité
et sa crédibilité.
Si
l’on établit un comparatif avec les autres Etats dont l’évolution des rôles et
fonctions pourraient être assez proches du cas centrafricain, par rapport à des notions telles que l’Etat gendarme, l’Etat providence et
l’Etat interventionniste, dans leur traduction en termes de protection et de
prestation a minima auxquelles peuvent
prétendre les communautés humaines et des collectivités territoriales, ces
dimensions de rôle et fonction de l’Etat sont à peine lisibles et visibles en
Centrafrique.
Les
traditions et mœurs politiques dominantes qui animent l’Etat en Centrafrique ont
purement et simplement évacué, dès
le lendemain de la proclamation des indépendances en droit, la question du choix
de société au sens Karl Popper. Jusqu’à ce jour, on continue de se poser la question de
savoir si la société centrafricaine est une société ouverte ou une
société fermée.
Restant
sous l’inspiration de Karl Popper, la société ouverte est celle
qui ne promet pas le bonheur incognito à ses concitoyens mais qui cherche, même par tâtonnement,
à gommer les aspérités des phénomènes de société, pour rendre la vie moins dure à vivre,
avec l’implication et la participation des plus vulnérables, tout en demeurant
ouverte sur le reste du monde. Ce
qui n’est pas le cas de la société fermée.
La
Centrafrique des années 60 à
2010 est plus proche de la
société fermée. Elle n’a nullement investi
dans l’ancrage social des valeurs
républicaines, ce qui explique le maintien dans la dépendance de fait jusqu’à ce jour. Partis de ce constat ou non, de nombreux auteurs d’articles
divers et variés, aussi bien d’origine centrafricaine que d’autres pays
d’Afrique subsaharienne, appellent à un changement de mentalité comme seul
remède à cette pathologie. Nous inscrivant dans la perspective du premier
centenaire des indépendances, cette affirmation péremptoire suggère de notre
part des questionnements.
Quel
contenu les auteurs
mettent-ils dans cette notion de
changement de mentalité ? D’où viendraient les agents porteurs de virus ou
bactéries du changement ? Quels
seraient les médiateurs
et/ou les disséminateurs du changement étant donné la vacuité
idéologique ? Les idéologies dont se réclament les partis politiques
représentés au Parlement n’ont pas d’ancrage social local et ne se posent guère
clairement la question du modèle
républicain. Les mœurs et traditions politiques ne cessent de déposséder, de
maintenir et de renforcer l’aliénation sous toutes ses formes et d’affirmer
présomptueusement que faire de la politique a valeur de sacerdoce. Comment va
s’opérer le changement que d’aucuns appellent de
leurs vœux alors que le modèle actuel d’Etat n’offre aucune
alternative ? Les partis aspirant au suffrage universel sont non seulement les clones des
idéologies hégémoniques et de l’impérialisme, mais se cantonnent à confirmer les
vieux principes de l’ex-colonisateur, à savoir « coloniser ou
conquérir les territoires pour les administrer plutôt que pour les
gouverner ».
A
moins d’être victime d’amnésie collective, les traditions et mœurs politiques
centrafricaines ne sauraient faire oublier
les dégâts humains directs et
collatéraux occasionnés par la vacuité idéologique de David Dacko I.
C’était
l’époque de la guerre froide et la tendance dominante était l’adhésion au
mouvement des non-alignés. La suite de
l’histoire se passe de commentaire : lancement de la version centrafricaine
de l’emprunt russe, l’emprunt national, lancement du slogan « Kwa ti
kodro. Les intérêts français étaient
menacés par ces initiatives à l’emporte pièce et sans fondement idéologique, de
surcroit sans ancrage épistémologique. Tout se
construit sur des slogans dithyrambiques par une élite déjà prédatrice. La
situation a fait le lit au
1er Coup d’Etat de Jean-Bédel Bokassa.
De
Jean-Bedel Bokassa 1er
en passant par David Dacko puis le général André
Kolingba ensuite Ange-Félix Patassé
et maintenant le Général François Bozizé, de la période du règne du parti unique à la période du multipartisme
folklorique, les mœurs et
traditions -que nous réunirons désormais sous le vocable de culture politique-
n’ont guère levé
les yeux pour s’interroger sur le pourquoi du piétinement de la
Centrafrique alors que l’Etat
Centrafricain s’en tire à bon
compte. Les différents régimes qui
se sont succédés à la tête de l’Etat ont tous été les géniteurs de la coercition et de la
violence légitime et ont organisé les
multiples formes de mutation de l’oppression et du totalitarisme.
La
faillite de l’Etat en Centrafrique est la plus prononcée des pays d’Afrique francophone comme
l’illustrent le non paiement des salaires des fonctionnaires au profit des
investissements militaires
faramineux et les rapports par nature ombrageux entre l’armée et
l’Etat. En effet quiconque arrive en Centrafrique se rendra rapidement compte
d’un phénomène auquel les centrafricains sont
coutumiers depuis le milieu des années
soixante, à savoir la résistance de la
corporation militaire au pouvoir civil pour laquelle depuis cette période le
coup d’Etat est le seul mode d’accession au pouvoir. Pour l’armée centrafricaine, la notion de frontière entre la
sphère du politique et celle du militaire s’apparente à un objet sans véritable
substance. L’Etat en Centrafrique a vu défiler quatre Constitutions dont deux adoptées par
référendum et, a été dirigé trois fois par des
Actes Constitutionnels, puis érigé
en Empire. Les régimes militaires sont restés plus longtemps au pouvoir que les deux régimes
civils. Sur 50 ans, les militaires ont occupé le pouvoir pendant 23 ans et les
civils 17 ans. C’est l’armée la plus politisée des pays de la CEMAC [Communauté
Economique et Monétaire de l’Afrique Central]. Les conséquences qui découlent de
ce phénomène sont au moins au nombre de
trois :
1)
La résistance farouche aux autorités civiles qui
laisse accréditer la thèse selon laquelle seuls les hommes en uniforme et qui ont la
poigne, ont vocation à diriger
l’Etat. Les militaires se croient en extra-territorialité et couverts par toutes
sortes d’immunité pour tuer. Quand les officiers supérieurs ou les
généraux, candidats aux différents suffrages, ne reçoivent pas l’onction du
peuple, ils passent par le coup d’Etat après s’être mis dans la poche qui la
garnison, qui le bataillon dont il a le commandement. L’armée est un Etat dans
un Etat. Elle gouverne à la baïonnette, prend prétexte de politique sécuritaire
pour investir massivement dans les armes et munitions à petits calibres, recrute les mercenaires moyennant concessions des puits de diamants. On dirait que
l’armée centrafricaine est davantage au service exclusif du
chef de l’Etat lorsque celui-ci est issu de
ses rangs que lorsqu’il est l’émanation du suffrage universel. Malgré les
difficultés économiques du pays, le recrutement des soldats se poursuit au
détriment de celui d’autres branches. Il règne au sein des forces armées un
climat délétère généralisé ouvrant
droit au généralissime d’assassiner, sous le
prétexte d’atteinte à l’ordre public et à la sécurité intérieure. Des
familles entières sont endeuillées, les communautés territoriales, lieux de
naissance des présumés auteurs ou
coupables avérés des coups d’Etats et ou mutineries sont frappées
d’ostracisme.
2)
La montée de l’assistance militaire de la communauté internationale. Pour
garantir la paix aux populations meurtries, prostrées et démunies, de 1997 à
2010, la Centrafrique est placée sous dialyses
successives de la MISAB (Mission Inter Africaine en Centrafrique), la
MINURCA (Mission des Nations Unies en République Centrafricaine) et la BONURCA
(Bureau des Nations Unies en Centrafrique). Pendant les évènements des années
1997-2003, Patassé s’est abrité sous le parapluie militaire dressé par la communauté internationale et a laissé
ceux qui l’ont élu à la merci des mutins et des auteurs des coups d’Etat. En
tout état de cause, depuis le milieu des années 60, l’armée centrafricaine
s’est constituée en sanctuaire de l’impunité et de la
forfaiture.
3)
Les militaires qui ont accédé au pouvoir par coup d’Etat en Centrafrique ont mis
en culture un style de
gouvernance : arracher le pouvoir et revenir prendre par la
corruption la légitimité politique et la légalité pour l’affichage international. Promoteur et défenseur de la
délation, ils sont également tentés par l’instauration de la dynastie,
Jean-Bedel Bokassa avait érigé l’Etat en monarchie. André Kolingba en était sur
le point d’en faire autant si son fils militaire n’était pas
entré au gouvernement. Quant à François Bozizé, aux regards de certains
faisceaux d’indices, il ne cache pas ses intentions de favoriser l’accession du « fiston » Francis, lui-même militaire.
Non
contents d’ériger la
délation en instrument de gestion de l’Etat, les dirigeants démontrent avec talent qu’ils n’ont cure
du respect de la population. Ils se servent de la représentation que la
Communauté internationale a de la souveraineté des
Etats. Mais, dans la réalité, ils ne se prévalent nullement de leur Nation
et recrutent les élites
qui leur sont acquises plutôt que d’être soucieuses de faire émerger les valeurs
républicaines susceptibles de
catalyser les valeurs démocratiques.
Les réponses
qu’ils apportent aux problèmes de pauvreté et de vulnérabilité ne sont pas des réponses économiques. Elles relèvent plutôt du domaine du
ponctuel, du conjoncturel que du structurel pérenne avec des référentiels qui
s’imposent à tous.
La
coercition de l’Etat, renforcé par
la tyrannie aveugle et le totalitarisme a abouti à,
un Etat autocratique, à caractère patrimonial et clientéliste avec les
conséquences que l’on sait telle que la
confiscation des biens communs.
Les Présidents cumulent généralement au moins 4 à 5 portefeuilles
ministériels importants au point
qu’à eux seuls ils constituent un gouvernement. En Centrafrique, l’Etat
postcolonial, ne garantit pas
l’accès à l’autonomie de l’individu notamment l’accès aux droits humains , les
plus élémentaires.
Enfin,
évoquons l’approche messianique du pouvoir.
L’Etat entretient avec les
religions des rapports plus qu’incestueux . Ces vingt dernières années on n’a de
la peine à repérer la ligne de démarcation entre le religieux et le politique.
Le rapport entre le politique et la population dans sa grande majorité, étant rythmé et cadencé par la défiance et la perte
de confiance, le politique va chercher dans la religion, un vernis de crédibilité et de fiabilité. Ce regain
d’intérêt du politique pour une
communion avec la religion a
atteint des sommets vertigineux depuis les
évènements du 15 mars 2003, c’est-à-dire le coup d’Etat
Sur
quoi fondons-nous notre critique ? L’histoire des sociétés en Occident ou
ailleurs nous apprend les méfaits de l’alliance entre le Trône et l’Autel. L’un
des aspects les plus liberticides de cette alliance est, non seulement le registre moral qui freine l’émancipation, mais surtout
la représentation
que l’un a des valeurs républicaines et démocratiques en matière
d’instruments d’évaluation. Les deux se cachent derrière la sacralité pour
éviter le risque d’être évalué par la respiration démocratique et de passer
devant la justice républicaine. Le politique apparaît comme un professionnel de la charité et de la
compassion au lieu d’être un bâtisseur et promoteurs des droits civiques. La
charité est anesthésiante par nature et ce n’est pas innocemment que Charles Baudelaire
faisait remarquer en son temps que la plus grande ruse du diable
est de faire croire qu’il n’existe pas. L’onction du suffrage universel
est assimilée à un apostolat, voire un
pontificat et les pontes du tout répressif ne lésinent sur
aucun moyen pour s’incruster au pouvoir et s’octroyer la liberté du renard dans
un poulailler. Les logiques et les
dynamiques de la religion [et non de la foi sont aliénantes et
faites de roublardise et de
fourberie.
Plagiant un grand homme
d’Etat, nous dirons que la guerre de l’architecture des valeurs républicaines et
de la démocratie est une chose trop sérieuse pour la laisser à la seule
initiative des militaires et leurs coalisés civile
et religieux. C’est ce que la culture politique en Centrafrique a laissé
faire depuis 50 ans.
I-2 : De
la vacuité idéologique à l’absence de socle épistémologique dans l’élaboration
et la mise en œuvre des politiques publiques
A
moins que les centrafricains et leurs
partenaires ne souffrent d’une amnésie collective, pour nous l’Etat en
Centrafrique incarne à la fois la
défaite et l’abdication des institutions et des valeurs républicaines que l’on
rencontre ailleurs. Les centrafricains vivent
depuis 50 ans dans l’illusion de l’existence d’une République. Quant à la
démocratie, il n’y a pas pire miroir aux alouettes. En réalité, les régimes qui
se sont succédés à la tête de cet
Etat ont enfanté un Etat autocrate,
sans aucun ancrage social,
patrimonial et à caractère clientéliste. Depuis son accession à
l’indépendance, l’Etat en Centrafrique s’est construit sur la coercition.
Le tout répressif et la coercition en tout et pour tout, sont illustrés par la désertion du débat
et des délibérations. C’est un système de domination absolue et de la
confiscation, sous toutes ses formes, des libertés les plus élémentaires et les droits fondamentaux des humains et
des communautés.
Il
est impérieux de raviver la mémoire des centrafricains ; depuis son changement de statut de « Territoire de l’Oubangui
Chari » à la « République Centrafricaine » ce pays n’a goûté à la
paix démocratique que pendant 3 ans, lors des
campagnes électorales entre le MEDAC de Abel Goumba et de Barthélémy
Boganda , fondateur du MESAN.
Depuis
50 ans, l’Etat a non seulement monopolisé la
violence en se désarticulant de la
société mais, même toute raison gardée, n’a aussi eu
de cesse de dévoyer et bifurquer les logiques qui servent de support
au fonctionnement minimum de l’Etat, la
fiabilité et la crédibilité. Si l’on établit un comparatif avec certains autres
Etats du continent Africain, en termes de notions éclairant les évolutions des
rôles et fonctions de l’Etat, l’Etat en Centrafrique n’est ni gendarme, ni Etat
providence, ni Etat interventionniste. Il a toujours reposé sur l’absence de référentiels républicains stables et pérennes.
De tout temps, depuis David Dacko I, Jean-Bedel Bokassa, David Dacko II, André
Koligba, Ange-Félix Patassé et l’actuel général-président, François Bozizé, les
administrations civiles et militaires, les communautés humaines et territoriales
n’ont connu que l’aliénation et la confiscation.
Soutenant cette analyse sous le contrôle de notre lectorat, nous faisons remarquer que l’absence
de socle épistémologique dans lequel sont supposées prendre racine les politiques
publiques, trouve des illustrations dans plusieurs domaines mais nous n’en retiendrons que les plus significatifs.
1)
La pathologique inexistence de schéma national
d’aménagement du territoire (SNAT). On confond construction d’immeubles et autres
édifices à des objets de décoration à l’aménagement du
territoire et on est étonné des nombreuses et
récurrentes inondations et de l’insuffisance d’accès à l’eau potable. La
violence légitime de l’Etat le conduit à traverser, bon an mal an, le pays d’est
en ouest et du sud au nord, quand il le peut,
mais l’idée d’un schéma national
d’aménagement du territoire ne semble pas faire partie de son vocabulaire
stratégique quand bien même on
décentralise et on parle de développement intégré.
2)
La pathologique réduction de la Centrafrique à Bangui. Une société n’est-elle
pas faite de myriades de tribus imbriquées et intriquées par les référentiels républicains ! A l’exception de la richesse de
son sous-sol dont on se prévaut, et de sa situation de pays enclavé dont l’Etat
se plaint, quelles sont les potentialités entrepreneuriales de chacun des 6
régions et des 16 préfectures qui composent
l’ex- Territoire de l’Oubangui-Chari, pour lui permettre de s’attaquer à la
pauvreté et à la vulnérabilité ?
3)
L’incurable déficit d’exploration des voies pour réaliser un déversement entre
le secteur formel et le secteur informel,
l’ insuffisance ou l’absence de politiques
publiques d’incitation au dialogue
intersectoriel ne
sont pas de nature à
favoriser l’apparition des facteurs d’amélioration des modes et méthodes
de production. L’esprit de créativité et d’invention a disparu au profit de
l’esprit de marchands du temple. La Centrafrique est industrieuse en matière de
trocs mais ne produit rien. Les
activités de production ne sont entourées d’aucune boucle d’activités et il n’y
a pas de politiques publiques de
filiarisation du système de
production, de surcroit, il n’existe pas de structuration du commerce et de
l’artisanat.
4)
L’action et le discours politiques relèvent du registre de l’ésotérisme et de
l’illumination. La représentation que la culture politique en Centrafrique a de
l’homme politique est une représentation quasi mystique. L’homme politique
passe, non seulement pour un infaillible mais également pour altruiste.
Sur le plan international, la Centrafrique a le positionnement de passager
clandestin. Les différents régimes valsent entre la charité de l’oncle
Dupont ; la France ou de l’oncle Sam ou de l’empire du soleil levant, et la quête du parapluie protecteur du grand frère
Touareg, magna du pétrole. Aucune
ligne de diplomatie n’est lisible de l’extérieur sauf à singer, en termes de
degré de violence et de totalitarisme, les généraux Birmans ou le régime de la
Corée du Nord.
A
l’aune de la définition que donne
Max Wéber de l’Etat, nous avons
essayé de faire l’état des lieux de l’Etat en
Centrafrique. Nous espérons avoir fourni l’essentiel pour permettre de discerner
les limites, les points de paralysie et de sclérose du modèle d’Etat existant
depuis 50 ans.
Pourquoi soutenons-nous la thèse de
l’Etat braqueur de République et de Démocratie ? Ainsi que nous le démontrerons dans nos développements
ultérieurs, sur le plan international, il est marqué par la bipolarité du
monde, issue de la coexistence pacifique et de la guerre froide même si la
notion le groupe des non alignés a très longtemps servi trivialement d’alibi à certains pays
pour asseoir leur hégémonie sur d’autres .
L’instrumentalisation
des valeurs républicaines et démocratiques crèvent les yeux. Les référentiels de
République n’ont de sens que pour l’affichage. Quant aux valeurs démocratiques,
elles ont été préemptées par l’Etat. Le bâillonnement des individus et
communautés territoriales, l’asservissement et l’avilissement sont devenus des
servitudes de passage que l’Etat a érigées sur le chemin qui mène vers la
démocratie. Les espaces publics sont confisqués. Le modèle de démocratie
représentative s’est mué en modèle de cooptation des aristocrates et des
oligarques civils et militaires par le pouvoir autocratique, coercitif et à
caractère clientéliste et patrimonial.
L’ancien
système étant caractérisé par le règne du totalitarisme et celui de la désertion
de la délibération et du débat, ne faut-il pas admettre désormais que les
exigences d’accès à l’autonomie et à l’émancipation soient les critères de détermination des
électeurs dans la marche vers le
premier centenaire des indépendances. . A la bipolarité de la division du monde,
les pays de la Triade et les pays du bloc communiste
et soviétique, s’est imposée désormais, la division polycentrique du
monde. Le monde a plusieurs centres de décisions et d’influence. N’est-il pas
temps pour les centrafricains d’intégrer dans
leur culture politique ces mutations du monde et d’y voir une sorte de nouvelle
trajectoire que l’histoire de leur pays les assigne à prendre ?
Les variables internes à partir desquelles il convient d’architecturer
les stratégies d’accompagnement de la mutation de l’Etat vers la République
sont pour l’essentiel, au nombre
de
trois :
1)
La
durée de vie moyenne est de 39 ans
en Centrafrique alors qu’elle était de 45 ans dans les années
1970-80.
2)
Le
dernier rapport du développement humain du PNUD classe la Centrafrique au 172ème rang
mondial sur les 173 pays pauvres très endettés. Des ONG considèrent que
la Centrafrique est un Etat fantôme.
3)
Bien
que n’ayant pas de modèle économique et social reconnu et identifiable comme
tel, la
Centrafrique présente d’innombrables paradoxes. Les structures publiques de santé tombent en
lambeau mais des cliniques privées et la médecine libérale se développent à une
vitesse à couper le souffle au point que les
hôpitaux sont devenus des mouroirs où sur un même lit cohabitent les 3 M ( Le
malade, le mourant et le mort). Quant au système éducatif et de formation, sa
marchandisation atteint des proportions qui dénient toute idée d’effort et
d’éducation. Le
marché des sujets d’examen est très florissant et s’accompagne de
la montée du droit de cuissage, donc l’avilissement de la femme.
Ces derniers temps,
l’appel au changement de mentalité
est chanté en cœur tel un hymne voire un exutoire par de nombreux auteurs que
l’Etat traite d’intellectuels professionnels de l’afro pessimisme. Le maniement de la
notion de changement de mentalité
s’apparente pour certains à un débat de type « café du
commerce » c’est-à-dire ne reposant sur aucune
posture scientifique et visant à
accréditer la thèse d’un changement
incognito de mentalité. D’autres considèrent que le changement de
mentalité viendrait exclusivement des partis politiques qui concourent à
l’expression du jeu démocratique.
Nous réfutons les deux thèses en présence en nous appuyant sur la 4è
variable du paragraphe précédant étant donné que d’aucuns admettent que les
valeurs républicaines, catalyses de démocratie, seraient des dons d’un Etat,. Ce
qui est une absurdité, même dans les pays développés dits
de vieille démocratie . Les gouvernements
successifs ont fait comme si, sur le chemin de la construction des valeurs
républicaines et démocratiques, un désert de sable-mouvant a surgi et que personne d’autre ne ferait mieux
qu’eux, les dévoués, les inoxydables et inexorables patriotes !
Le changement de mentalité ne viendra pas comme un astre radieux qui
frappera les esprits bienpensants ou les auteurs de slogans prophétiques, tels
que les disciples centrafricains du tristement célèbre Raspoutine. Il ne peut
qu’être l’œuvre patiente de ceux qui veulent changer de paradigme. Ceux qui, à
leur niveau professionnel, s’interrogent sur la manière d’amener les citoyens à
devenir les co acteurs, les participants aux choix qui les concernent
.
Ceux qui veulent bien opposer une résistance, en s’organisant par réseaux, hostiles à
toute vision uniformisante et hégémonique de l’humain pour promouvoir et
défendre la coopération. Ceux qui veulent contribuer, en fonction de leur
capacité, à mettre en mouvement les composantes plurielles de la société centrafricaine. Ceux qui acceptent de s’impliquer,
de s’emparer du débat pour ne pas être continuellement désemparés et dépossédés. Ceux
dont la motivation première est
de redynamiser leur capacité d’indignation et de devenir le levain qui
fait monter la pâte lorsque la justice est inféodée au pouvoir et à la solde du
gouvernement. Ceux qui refusent de
s’accommoder de l’envoi régulier au pilori des citoyens civils et militaires. Le défi à
relever est de faire des prochaines 50
prochaines années, la période de
promotion des faits de société, qui sont de véritables laboratoires de
démocratie. Ceci n’est possible que
si l’on refondait l’Etat pour sortir de l’aliénation dans laquelle la période
postcoloniale a enfermé et continue d’enfermer
les gens.
Dans
notre esprit, le sentiment qui domine face à la violence avec laquelle le monde
change ne passe pas par la question
du pourquoi ça ne change pas mais plutôt par
celle de « pourquoi et comment la transformation fonctionne ailleurs et pas en
Centrafrique » ? Quand on
constate les dégâts causés par les « 50 Mafio-Piteuses » on en revient aux grilles d’analyse
initiées et impulsées au travers les notions de pouvoir et autorité
« compétents » [Max Wéber], société ouverte et société fermée de [Karl
Popper] et les récents travaux d’Edgar Morin sur les valeurs fondatrices des
institutions républicaines et démocratiques.
Cette
phase II de la implique une remise en cause de l’ère postcoloniale que nous appelons les 50 mafieuses et
piteuses par rapport aux valeurs républicaines et démocratiques. Il ne s’agit
pas de se prévaloir des seules « élections générales » et du mouvement
de « décentralisation » pour se dire que l’on dans une
« République ». La refondation passe indubitablement par l’arrêt du
mouvement de désinstitutionalisation de la
Nation pour commencer à faire vivre des
institutions républicaines, à même de catalyser les référentiels de démocratie
afin que la nation soit réellement la seule richesse du pauvre [Jean Jaurès]
Cet
apport de changement d’air dans l’aire post
coloniale apparaît comme le défi à relever par tous : artistes,
écrivains, enseignants, chercheurs, partis
politiques, société civile en coopération avec les institutions ancestrales et
traditionnelles. En un mot, pour naviguer dans la complexité du monde présent et à venir, il faut outiller,
prémunir chacune de ces institutions pour qu’elles soient à même de démunir
-sans nécessairement prendre le pouvoir-
l’Etat mafieux et piteux. Initier et impulser le changement nécessite
souvent que l’on déclare obsolètes et surannées les valeurs postcoloniales qui
ont organisé le maintien de la Centrafrique, à la
périphérie des autres pays d’Afrique. Il requiert un changement de logiciel du
monde en matière d’attitude et de
comportement des acteurs. Le refus de capituler pour construire une nouvelle
matrice nationale, creuset de
l’interdépendance et de l’articulation des matrices individuelles et
communautaires, de l’échelon local à
l’échelon national, doit être le paradigme politique de cette évolution de l’ère post coloniale.
Sans que notre thèse prenne les allures d’une prescription, si l’on
désire que les institutions républicaines soient ancrées dans les attitudes et
les comportements pour faire de la Centrafrique une société ouverte [Karl
Popper], on ne peut faire l’économie de
l’identification et du repérage des barrières et des inerties de toute sorte
qui les endiguent. Ce paradigme à
conquérir et à construire apparaît-il en filigrane dans les orientations des
différents candidats aux orientations générales de 2011 ? Lequel des
prétendants aux élections de 2011 se montre outillé pour mener le
navire centrafricain vers un nouveau
positionnement ?
2-2 :
Sortir de l’aliénation de la période postcoloniale à partir d’un tropisme
La
monstruosité des 50 Mafio-Piteuses se remarque à première vue sur le plan des
politiques économiques. Elles sont fondées sur une erreur qui, aujourd’hui a
atteint son paroxysme. Alors que partout dans le monde y compris
en Afrique, on part du postulat que les difficultés économiques résultent
du conflit séculaire entre le capital et le travail et qu’il est vital de
trouver des systèmes et mécanismes
pour faire des régulations, les 50 Mafio-Piteuses ont persisté et persistent à
mettre l’accent sur l’enclavement géographique qui serait à l’origine de tous
les maux. Cette approche a amené le pays dans un ravin et a consacré les
dirigeants politiques en VRP des complexes militaro-civils de l’armement.
Pour
quelle raison les 50 Mafio-Piteuses ne sont-elles pas parties des faits de
société pour impulser l’économie politique et sociale notamment
l’élaboration et la mise en œuvre des mesures propices à la fertilisation croisée du
secteur formel avec le secteur
informel ?
La
réalité de cette période néfaste nous a
convaincu du contraire. Les mutations du monde auxquelles la Centrafrique
n’échappera pas appellent un changement de
postulat ; inscrire l’éducation et la formation à l’économie comme la clé
de voûte de lutte contre la pauvreté et de l’accès à l’autonomie et à
l’émancipation. Dit autrement, la nouvelle trajectoire à prendre n’est pas le chemin de traverse qui consistait à
faire le bonheur des communautés humaines et territoriales en milieu rural à leur place mais il s’agit de faire
leur bonheur avec elles, en les impliquant et avec leur participation. Rendre
évidentes
les interactions sociales et solidaires comme alternative politique, ce
que nous appelons l’invention de nouvelles pratiques. Les 50 Mafio-Piteuses ont
engendré une société d’élites qui décident de façon
snobe pour les autres, lesquels n’ont rien d’autre à faire que de se soumettre.
Dans ce champ du développement, on confond plan cadastral et urbanisation.
Comme nous l’avons dit, il n’existe pas
en Centrafrique un Schéma National d’Aménagement du Territoire (SNAT)
déclinable en Schéma Régional d’Aménagement du Territoire avec les pôles
structurants lisibles pour induire de vrais effets multiplicateurs. Malgré
l’absence du schéma national d’aménagement du territoire, on annonce que l’accès
à l’eau potable est un droit pour tous et qu’à ce titre, l’Etat en fera
désormais une priorité. Quid des inondations, des rues truffées de nids de poule
et d’autres certes cadastrées, mais
laissées à
l’abandon depuis 30 ans.
La
seconde erreur de ce paradigme dominant
a consisté à négliger l’existence de la fabrique du dogme néolibéral
qu’est le Consensus de Washington. C’est cette doctrine qui sert de trame aux
orientations des institutions financières internationales et les autres
légitimités supranationales ; en somme, le Consensus de Washington sert de
tropisme au fonctionnement du monde. C’est à l’aune de cette convention
que les pays de la Triade se sont partagés le monde et tentent de partager le
monde avec les pays émergents que sont les BRIC [Brésil, Russie, Inde et Chine].
Il est vraisemblable que les BRIC tireront vers le haut les NPI [Nouveaux Pays Industrialisés] des
années 80, les Dragons d’Asie du Sud Est. La
mutation du monde conduit vers un éclatement des centres du monde et ce n’est
plus en termes de pays de l’Est et de pays de l’Ouest qu’il faut décrypter les
monde. Le monde est désormais polycentrique et complexe.
Ce
n’est ni avec des comportements ubuesques [la théâtralisation sans pudeur de
l’insupportable, que l’on a coutume d’appeler « le sursaut
patriotique »] et ni une gestion
déjantée et scabreuse des biens publics qu’on réalisera les Objectifs du
Millénaire pour le Développement. Le sursaut en question est un véritable saut
entre le creux et le vide. Le sursaut patriotique du 15 Mars 2003 est une
montagne à deux versants : le premier versant se présente comme une
euthanasie pour le gouvernement d’alors et le
second versant symbolise un véritable suicide collectif pour le pays à la
lumière de ce qui a suivi. Le miracle pour libérer la nation, s’est mué en
mirage. Les libérateurs étaient en
réalité des tyrans et leur libération confinait à la liberté du loup dans la
bergerie. Les libérateurs ont infesté le tissu social -largement détricoté par
le régime agonisant de Patassé- par leur cruauté, leur perfidie et leur délire
d’emprise.
Sans
être présomptueux nous partons du postulat que le Tiers monde à vocation à
devenir des Républiques, selon le schéma préconisé par Alfred Sauvy, se référant aux Tiers
Etats, de la Révolution française de 1789. La Centrafrique doit se donner pour
vocation d’évoluer vers la mise en gestation des valeurs républicaines et
démocratiques en cette seconde moitié du
premier centenaire de son accession en droit à la souveraineté internationale.
La démocratie vient toujours de l’extérieur de
l’appareil d’ l’Etat. Si la
Centrafrique veut se donner un idéal émancipateur dès le début des cinquante
prochaines années, il faut infliger aux 50 Mafio-Piteuses et leurs oligarchies, des valeurs
républicaines et des disciplines démocratiques.
Conclusion :
La
situation dont nous proposons la clé
d’élucidation, loin d’être une condamnation divine, est la conséquence des choix
de politiques hasardeuses. L’Etat postcolonial a instrumentalisé l’ethnie et la
tribu pour disloquer la nation.
Face
au grand écart entre l’indépendance en droit et la dépendance économique dans
les faits, la prise en compte des phénomènes de société dans la gouvernance de la société, avec
les différentes parties prenantes de la société impulsera un changement profond.
Les logiques et les dynamiques qui servent de ressort aux fonctionnements de
l’Etat sont appelées à faire leur mue
notamment par l’articulation de la libération sociale et de la libération
politique pour briser la chaine qui lie intimement les valeurs néo libérales
avec les valeurs néocoloniales des 50
Mafio-Piteuses. Les élections générales, véritables façades en droit de la
souveraineté internationale constituent
des illustrations cyniques
de l’Etat, producteur à l’infini de
délestages et de la gestion de la pénurie.
L’enjeu des élections générales ne
saurait se cantonner dans le changement de tête au
sommet de l’Etat. Il doit comporter la capacité d’interprétation des
problématiques que soulève le monde et les leviers qu’il faut trouver, au niveau
interne, pour induire les transformations et mettre la Centrafrique au diapason
de la sous-région et du monde. La
Centrafrique doit cesser, d’ici le premier centenaire des indépendances
de sa situation de « ventre mou » ou de passager clandestin de la
sous-région et, globalement de la
communauté internationale.
Pour
cela, la quête et la conquête des institutions républicaines et démocratiques
ancrées dans les mœurs et cultures politiques d’alternatives s’imposent
naturellement.
Quelle alternative
construire face aux multiples formes de mutation du néolibéralisme adapté à la
sauce post coloniale ? Durant les années
90, devant la montée paroxysmique des mécontentements populaires, le
néolibéralisme a trouvé la panacée qui consiste à privatiser les entreprises
publiques et à proposer les politiques de décentralisation. Par ce biais, on a
accrédité l’idée de lutter contre l’endémique corruption et introduire des
règles managériales à la tête de l’Etat, en
conservant le même Etat, avec les mêmes fondements, la coercition et la
confiscation pour certains et l’impunité
absolue pour les hauts placés. Ni le diagnostic, ni la thérapeutique ne sont
acceptables particulièrement en Centrafrique. Nous appelons tous les Centrafricains à convenir que
le tropisme qui doit inspirer la république à construire, est, qu’à la logique
d’organisation politique et socio-économique régulée par les valeurs néolibérales et postcoloniales, il faut
opposer l’organisation sociale fondée sur l’accès du plus grand nombre aux
droits humains ; accès à l’eau potable, à l’éducation, à l’hygiène et la
santé et l’échange juste et non le libre-échange. Nous empruntons cette rationalité à Henri Lacordaire selon
lequel « Entre le riche et le pauvre, le fort et le faible, la liberté
alors que le droit libère » La liberté néolibérale et postcoloniale tue [
aliène] alors que l’accès aux droits humains par la participation à ces droits
et l’exercice de ces droits du plus grand nombre, enfante l’émancipation.
Pour nous, la sécurité des transactions passe par la refondation de
l’Etat actuel sur des institutions républicaines mettant en œuvre l’éducation de
la population au développement à grande échelle. Des institutions républicaines en rupture radicale avec
une justice inféodée pouvoir en place. Des institutions républicaines
garantissant, en termes de coûts et de financement les libertés publiques dont la liberté
de parole, de publication et de la presse. Des institutions républicaines reconnaissant le statut de
la différence entre les communautés humaines et territoriales et se préoccupant de leur émancipation dans
le cadre de l’unité nationale. A l’aube de cette deuxième partie du premier
centenaire des indépendances en droit,
c’est l’occasion où jamais de
s’entendre sur la construction des
valeurs républicaines et de rejeter les connivences avec les multinationales et
les complexes militaro-industriels de part le monde. C’est le tribut que la Centrafrique doit
payer pour s’attribuer les
attributs de la tribu de
l’ouverture au monde épris de liberté et de paix. Dit autrement, c’est la
feuille de route du rejet de l’aliénation pour promouvoir et défendre
l’émancipation.
Université
de Rouen
Membre
du Réseau entrepreneuriat de l’AUF et de l’OPPE
Président
de Symbiose Consultant ETD (Entreprenariat-Territoire et
Développement)
[1]) Frank Saragba « Fini Kodé » [On ne cite que les bons auteurs]
NB: Série d'article sur les "50 ans d'iIdépendance" composée de réflexions, points de vue, analyses, servant d'éclairage et de témoignage dans le cadre indiqué et qui n'engagent que leurs auteurs. Cependant, pour toute personne qui se sentirait touchée, un droit de réponse ou de rectification est réservé.