BARTHELEMY GBOGANDA : DE LA LEGENDE A LA

CONSTRUCTION D’UN MYTHE (1910-1959)

  

                  

     I . NAISSANCE D’UNE LEGENDE

 

  

   Pour qu’une légende ait lieu, il faut quelques ingrédients et un contexte particulier . Gboganda n’y a pas échappé .

 

   Il serait né le 4 ou 9 avril 1910 à Bobangui, une petite bourgade de la Lobaye administrativement rattachée au Moyen-Congo .

Gboganda ( je suis ailleurs, je ne suis nulle part ) est un nom prédestiné, donné par le père SWALAKPE ( époux de 5 femmes voire 7 ), tué dans une opération militaire contre son village et sa mère SIRIBE, battue à mort par un milicien de la Compagnie Forestière Sangha Oubangui ( CFSO) .

 

    L’orphelin Gboganda est recueilli au bord de la route, en 1920, par une patrouille commandée par le lieutenant Meyer qui le confie à l’orphelinat de Mbaïki .

 

L’enfant se révèle particulièrement doué : alphabétisé en lingala à la mission St Jean-Baptiste de Bétou, puis transféré à St Paul des Rapides de Bangui, il devient chrétien sous le prénom de Barthélémy le 24 Décembre 1922 . Confié à Mgr Jean-René Calloc’h, celui-ci lui donne deux heures de français par jour et l’oriente vers des travaux manuels .

 

    En octobre 1928, Gboganda est au petit séminaire de Brazzaville , année de la guerre de Kongo-Wara qui l’aurait marqué . Puis il est admis au grand séminaire de Mvolyé à Yaoundé où il côtoie André-Marie Mbida, futur premier ministre du Cameroun et Fulbert Youlou, futur Président du Congo . Il rentre définitivement à Bangui en 1937 encadrer le petit séminaire St Marcel .

 

      II . LES ANNEES DE SACERDOCE

 

      Le séminariste Gboganda est ordonné prêtre le 27 mars 1938 à la cathédrale Notre Dame de Bangui devant trois mille fidèles . Son sacerdoce est fixé à Saint Paul des Rapides mais le bouillant prêtre va déborder allègrement les limites en allant évangéliser à Zongo , contrairement aux ordres du Pape .

 

   Après trois ans de bons et loyaux services à Bangui, il est affecté en pays Banda, à la mission Saint Joseph de Bambari en 1941 . Son crédo est :

 

          « L’évangélisation par l’école , l’école pour l’évangélisation »

 

Gboganda agace aussi bien les administrateurs coloniaux ( Mr Dieu), les colons français que ses propres collègues religieux ( le père Kandel) par ses résultats probants là où les Spiritains ont échoué .

 

Résultat : les pères HEMME et MORANDEAU n’hésitent pas à user d’un faux grossier pour l’éloigner du pays Banda . Première atteinte à la confiance de Gboganda . Un conflit financier  a opposé Gboganda et le père Hemme de la Procure, obligeant Gboganda à recourir à Mgr Grandin pour trancher l’affaire en sa faveur .   

 

 

       III . L’ENGAGEMENT POLITIQUE

 

 

     Il s’est opéré sur un triple malentendu sous les auspices de Mgr Grandin qui entendait :

 

 1 . Contrecarrer l’influence de la gauche athée, c’est-à-dire communiste en Oubangui-Chari

 2 . Instrumentaliser Gboganda pour défendre les droits des missions catholiques oubanguiennes en métropole

 3 . Gboganda en escomptait l’émancipation des Africains . Aux élections du 10 Novembre 1946, Gboganda est élu et va siéger au Mouvement Républicain Populaire (MRP) aux côtés de l’abbé Pierre (Henri GROUES de son vrai nom ) .

 

    Humour noir ou volonté de mettre ses collègues parlementaires de son côté ? Gboganda se présente volontiers comme le fils d’un cannibale polygame et siège en soutane !

 

    EN 1949, ses propositions de lois sont jugées farfelues ( propriété clanique des terres, suppression du laissez-passer en AEF, lois sur le travail forcé à l’instar de celui de Félix Houphouët Boigny ) .

 

    L’abbé Gboganda est à l’étroit au MRP par rapport à l’ attitude ambiguë du MRP Coste-Floret, ministre de la France d’Outre-Mer  qui applique rigoureusement la politique coloniale française . Il est approché par le Parti Communiste Français qui publie ses écrits : Gboganda est traité de communiste !

 

     L’autre violon d’Ingres de Gboganda est l’action coopérative pour relancer ( booster) l’économie villageoise . Ainsi crée-t-il la SOCOULOLE ( Société Coopérative Oubangui-Lobaye-Lessé ) le 22 mai 1948 . La demande de subvention de sa coopérative est refusée ( par le Conseil Représentatif ) . Gboganda en prend ombrage et quitte l’Union Oubanguienne pour fonder le Mouvement de L’Evolution Sociale de l’Afrique Noire ( MESAN) le 28 septembre 1949 avec cinq verbes fondateurs ( verbes-valises) : NOURRIR

                                                                                  : VETIR

                                                                                  : SOIGNER

                                                                                  : INSTRUIRE

                                                                                  : LOGER

 

C’est alors que plusieurs facteurs se combinent pour faire du député de l’Oubangui une véritable « bête noire » des colons, du clergé catholique et des Blancs en général :

-Mgr Grandin, le protecteur de Gboganda meurt accidentellement . Il est remplacé par Mgr Cucherousset qui déteste Gboganda :

 

 

     « Le bon Dieu ne nous récompensera pas pour avoir fait des vœux ou fait semblant de les

         pratiquer . J’estime qu’il est plus digne de vivre avec une femme , que de faire un vœu

         auquel on manque constamment . Car le peuple aéfien n’est pas dupe ! Nul n’a jamais

         cru à notre chasteté et il y a certainement plus de scandale à accrocher une femme

         souvent à l’occasion du Ministère de la confession que d’en avoir chez soi, officielle-

         ment, au vu et au su de tous »

 

                                           Lettre de Gboganda à Mgr Cucherousset, 1er décembre 1949 .

 

-Le mariage de Gboganda le 13 juin 1950 avec sa secrétaire Michelle Jourdain lui aliène tout : missionnaires, lobby colonial de René Malbrant et même Georges Darlan, son ex-allié !

-Qui plus est, Gboganda n’est même pas prophète dans sa propre région la Lobaye où sévit René Bouscayrol, un administrateur acariâtre qui lui livre une véritable « chasse à l’homme » : tracasseries administratives, interpellations à domicile, arrestation en « flagrant délit » avec sa femme, sa fille de six mois et deux secrétaires de la SOCOULOLE

 

      On remarquera que les soucis judiciaires de Gboganda coïncident toujours avec les élections qu’il finit toujours par gagner : Gboganda apparaît comme un martyr !

 

     Cette même administration coloniale, si tatillonne avec Gboganda n’hésitera pas à lui faire appel pour calmer une révolte à Berbérati en 1954, après le meurtre d’un cuisinier et de sa femme par balles chez un colon . Lui-même se rapproche de ses ennemis du lobby colonial ( Guérillot et Naud ) pour conquérir la mairie de Bangui en 1956, gagner triomphalement les élections du 2 janvier 1956 contre Jean-Baptiste Songomali  (88,51%) .

    

     La connivence de Gboganda avec les colons de Bangui suscitent railleries et critiques acerbes :

 

Il est traité de « jouet des Guérillot et des autres Blancs de l’Intergroupe Libéral Oubanguien » par Antoine Darlan de l’Emancipation Oubanguienne .

 

Le Figaro stigmatise la « dictature de facto » de Gboganda et ses «méthodes totalitaires » pour exploiter la crédulité de ses congénères .

Il est également accusé de se prendre pour Jésus Christ susceptible de marcher sur l’Oubangui et de mensonges aux adversaires pour les neutraliser et rafler tous les sièges de l’Assemblée territoriale en 1957 .

 

Gboganda n’est plus audible à Paris depuis le retour du général de Gaulle aux affaires , mais il se rallie au « oui » au référendum de 1958 pour en faire un tremplin dans le but de créer les Etats-Unis de l’Afrique Centrale d’expression latine ( chrétiens, à majorité francophone, anti-communistes et contrepoids nécessaires entre Nasser et Nkrumah .

 

    Les principaux leaders de l’AEF, à l’exception de Jacques Opangault, n’ont pas adhéré au projet de Gboganda qu’ils soupçonnent d’agir par ambition personnelle .

 

    C’est ainsi que Barthélémy Gboganda proclame, la mort dans l’âme, le 1er  décembre 1958, la République Centrafricaine, limitée au seul territoire de l’Oubangui .

 

     Sa disparition brutale le 29 mars 1959 l’a empêché de proclamer l’Indépendance de la RCA le 13 Août 1960, jour que nous commémorons aujourd’hui .   

 

 

 

     En conclusion, je dirais que parler de Gboganda aujourd’hui, c’est comme escalader la face Nord de l’Everest  avec des tongs !

     Gboganda serait le fils d’un sorcier .

Devenu le premier bachelier, le premier séminariste, le premier prêtre oubanguien, le premier défroqué, le premier député…il participait aux yeux du peuple de deux puissances .

 

   Marié à une blanche, il devenait l’égal des Blancs : Gboganda est un homme hors du commun, un saint, un messie dans l’imaginaire populaire .

 

     Mais le devoir de l’historien est de souligner que le consensus autour de Gboganda est dû essentiellement à :

-une méconnaissance de l’histoire de l’Oubangui-Chari

-une méconnaissance de la doctrine philosophique et politique de Gboganda

-une certaine lassitude de la jeunesse centrafricaine par rapport à un leader qu’ils ne connaissent pas …etc

 

     Certes l’homme était en avance sur son temps . Il était incontestablement l’homme politique de l’AEF le plus prestigieux, le plus doué, le plus brillant …

 

Ce qui ne l’a pas empêché de commettre quelques erreurs aux conséquences lourdes pour la future RCA de ses rêves : je pense à

 

-la prédominance d’un parti unique à l’instar du MESAN ( dévoyé par ses successeurs)

-l’échec des Etats-Unis de l’Afrique Centrale qu’il voulait imposer par le sommet et qui a été saboté

-sa « croisade du travail » qui fait penser à un retour au travail forcé de triste mémoire en Oubangui-Chari

-sa volonté de réprimer toute campagne politique hors des périodes électorales

-sa complexité et son ambiguïté qui sont à l’origine de son appropriation par tous les régimes et hommes politiques centrafricains. Ce qui a fortement terni son image et brouillé son message politique.

 

     Un long, lent et vigoureux travail reste à faire pour rendre le vrai visage de Gboganda aux Centrafricains car l’homme n’a pas fini de fasciner les politiques en Centrafrique, d’intriguer et de questionner les historiens.      

 

 

 

 

                      Texte présentée le 15 Août 2015 à Reims devant l’Association des Centrafricains de Reims ( ACR) pour commémorer le 13 Août 1960, date de l’Indépendance de l’Oubangui-Chari .

 

                       David KOULAYOM-MASSEYO