Point de vue: Vincent Mambachaka, créateur de l’ONG culturelle Linga Tere et metteur en scène, défend les artistes dans un pays en crise.

 

Vincent 
Mambachaka, créateur de l’ONG culturelle Linga Tere et metteur en scène

Vincent Mambachaka, avec Linga Tere, a formé des dizaines d’artistes et de citoyens militants (OLIVIER TALLES).

 

Quand ils sont las des porteurs de kalachnikovs, des braqueurs et des pillards, les habitants de Bangui s’éloignent des avenues, s’enfoncent dans les quartiers populaires et tapent à la porte de l’espace Linga Tere. Ici, on chasse les idées tristes sur des airs africains ou des interprétations épicées de dramaturges européens. Le créateur et âme des lieux, Vincent Mambachaka, reçoit sans façon, son éternel canotier vissé sur le crâne. Ce metteur en scène aime les espaces ouverts autant que les rencontres improbables.

 « L’artiste est forcément engagé » 

L’espace Linga Tere est à son image : un joyeux fourre-tout entre les Beaux-Arts, l’université de la communication, la résidence pour artistes en exil ou la maison des jeunes engagés dans la société civile. Des membres du nouveau Conseil national de transition y croisent des journalistes en formation. Des animateurs passent les derniers tubes sur la radio Linga FM. Des enfants des rues se forment aux métiers de technicien du son. À l’ombre du préau, on parle d’art mais aussi de développement, de politique et du dernier coup d’État du 24 mars qui a amené au pouvoir les rebelles de la Séléka.

Dans le chaos centrafricain, « l’artiste est forcément engagé », résume Vincent Mambachaka. Du haut de ses 49 ans, l’homme parle d’expérience. Dans sa jeunesse, il a mené de front des études d’art et le combat militant contre l’empereur Bokassa. Lorsqu’il est admis au conservatoire en France dans les années 1980, l’étudiant choisit en même temps de passer un diplôme de gestion d’entreprise culturelle en vue de la création de l’espace Linga Tere. « Cela ne me suffisait pas d’avoir mon nom sur une affiche », insiste-t-il.

 

Lutter contre le découragement et la paralysie

C’est pourtant le succès d’une de ses pièces qui a lancé Linga Tere. Au début des années 1990, Vincent Mambachaka et le dramaturge français Richard Demarcy écrivent et mettent en scène la fable écologique Songo la rencontre. Le spectacle tourne en France, au Canada, au Portugal. La presse s’en empare. Suivent deux autres interprétations d’Ubu roi et trois ans de tournée en Europe, Afrique et Amérique du Nord. Vincent Mambachaka investit une partie des fonds dans Linga Tere. Sa notoriété attire des partenaires.

Au fil des ans, la résidence Linga Tere a formé des dizaines d’artistes et de citoyens militants, luttant à sa manière contre le découragement et la paralysie d’une société centrafricaine à bout de souffle. « Nous avons détruit le patrimoine hérité de la colonisation, estime Vincent Mambachaka. Après cinq coups d’État, rien n’a été réglé. Le pays a régressé sur bien des plans. Les Centrafricains ne sont pas exigeants avec leurs dirigeants politiques qui sont pourtant les premiers responsables du naufrage national. » 

 

Les pillards n’ont pas épargné Linga Tere

En cet été 2013, Vincent Mambachaka a le sentiment d’être revenu à la case départ. Après la prise de Bangui par la rébellion Séléka, le 24 mars, les pillards n’ont pas épargné Linga Tere. Ici comme ailleurs, des hommes en armes ont emporté les objets de valeurs : caméra, matériel radio et audiovisuel. Les jours suivants, le directeur du centre s’est souvenu de Songo la rencontre. « J’ai appelé à l’aide mon ami Richard Demarcy, raconte-t-il. Nous avons décidé de relancer la pièce en l’accompagnant d’expositions sur la Centrafrique aujourd’hui. » 

Vincent Mambachaka a repris ses habits de conteur, metteur en scène et producteur. Le voilà de passage à Paris, à la recherche de soutiens pour son spectacle. Il est confiant. Un théâtre parisien, le Grand Parquet, lui a ouvert sa salle. Une dizaine de villes sont intéressées. Les artistes centrafricains ont déjà coché les dates des mois de janvier à mars 2014 dans leur agenda. Songo la rencontre racontera une nouvelle histoire : celle du massacre des éléphants par des chasseurs d’ivoire à l’intérieur du parc Dzanga Sangha. Les braconniers massacrent la faune à leur guise en ces temps de crise. En Centrafrique, un drame en chasse un autre.

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Son inspiration :  Wole Soyinka, prix Nobel de littérature

En 1986, l’Académie suédoise remet le prix Nobel de littérature au Nigérian Wole Soyinka. Pour la première fois, un écrivain d’Afrique subsaharienne reçoit la prestigieuse récompense. C’est une fierté pour les artistes du continent. En imaginant un espace à la croisée entre l’art et le développement, Vincent Mambachaka s’est beaucoup inspiré de ses romans, de ses pièces mais aussi de ses combats contre la dictature. « Au-delà de la performance artistique, le théâtre de Wole Soyinka est un appel à l’engagement politique et social », estime l’artiste centrafricain.

 

OLIVIER TALLÈS (à Bangui, envoyé spécial) - 11/7/13

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