Point de vue: Vincent
Mambachaka, créateur de l’ONG culturelle Linga Tere et metteur en scène, défend
les artistes dans un pays en crise.
Quand ils sont las
des porteurs de kalachnikovs, des braqueurs et des pillards, les habitants de
Bangui s’éloignent des avenues, s’enfoncent dans les quartiers populaires et
tapent à la porte de l’espace
Linga Tere. Ici, on chasse les
idées tristes sur des airs africains ou des interprétations épicées de
dramaturges européens. Le créateur et âme des lieux, Vincent Mambachaka, reçoit
sans façon, son éternel canotier vissé sur le crâne. Ce metteur en scène aime
les espaces ouverts autant que les rencontres improbables.
L’espace Linga Tere
est à son image : un joyeux fourre-tout entre les Beaux-Arts, l’université de la
communication, la résidence pour artistes en exil ou la maison des jeunes
engagés dans la société civile. Des membres du nouveau Conseil national de
transition y croisent des journalistes en formation. Des animateurs passent les
derniers tubes sur la radio Linga FM. Des enfants des rues se forment aux
métiers de technicien du son. À l’ombre du préau, on parle d’art mais aussi de
développement, de politique et du dernier coup d’État du 24 mars qui a
amené au pouvoir les rebelles de la Séléka.
Dans le chaos
centrafricain, « l’artiste est forcément engagé », résume
Vincent Mambachaka. Du haut de ses 49 ans, l’homme parle d’expérience. Dans
sa jeunesse, il a mené de front des études d’art et le combat militant contre
l’empereur Bokassa. Lorsqu’il est admis au conservatoire en France dans les
années 1980, l’étudiant choisit en même temps de passer un diplôme de gestion
d’entreprise culturelle en vue de la création de l’espace Linga Tere.
« Cela ne me suffisait pas d’avoir mon nom sur une
affiche », insiste-t-il.
C’est pourtant le
succès d’une de ses pièces qui a lancé Linga Tere. Au début des années 1990,
Vincent Mambachaka et le dramaturge français Richard Demarcy écrivent et mettent
en scène la fable écologique Songo la rencontre. Le spectacle tourne en
France, au Canada, au Portugal. La presse s’en empare. Suivent deux autres
interprétations d’Ubu roi et trois ans de tournée en Europe, Afrique
et Amérique du Nord. Vincent Mambachaka investit une partie des fonds dans Linga
Tere. Sa notoriété attire des partenaires.
Au fil des ans, la
résidence Linga Tere a formé des dizaines d’artistes et de citoyens
militants, luttant à sa manière contre le découragement et la paralysie d’une
société centrafricaine à bout de souffle. « Nous avons détruit le
patrimoine hérité de la colonisation, estime Vincent Mambachaka.
Après cinq coups d’État, rien n’a été réglé. Le pays a régressé sur bien des
plans. Les Centrafricains ne sont pas exigeants avec leurs dirigeants
politiques qui sont pourtant les premiers responsables du naufrage
national. »
En cet été 2013,
Vincent Mambachaka a le sentiment d’être revenu à la case départ. Après la prise
de Bangui par la rébellion Séléka, le 24 mars, les pillards n’ont pas
épargné Linga Tere. Ici comme ailleurs, des hommes en armes ont emporté les
objets de valeurs : caméra, matériel radio et audiovisuel. Les jours suivants,
le directeur du centre s’est souvenu de Songo la rencontre.
« J’ai appelé à l’aide mon ami Richard Demarcy, raconte-t-il.
Nous avons décidé de relancer la pièce en l’accompagnant d’expositions sur la
Centrafrique aujourd’hui. »
Vincent Mambachaka a
repris ses habits de conteur, metteur en scène et producteur. Le voilà de
passage à Paris, à la recherche de soutiens pour son spectacle. Il est confiant.
Un théâtre parisien, le Grand Parquet, lui a ouvert sa salle. Une dizaine de
villes sont intéressées. Les artistes centrafricains ont déjà coché les dates
des mois de janvier à mars 2014 dans leur agenda. Songo la
rencontre racontera une nouvelle histoire : celle du massacre des
éléphants par des chasseurs d’ivoire à l’intérieur du parc Dzanga Sangha. Les
braconniers massacrent la faune à leur guise en ces temps de crise. En
Centrafrique, un drame en chasse un autre.
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En 1986, l’Académie
suédoise remet le prix Nobel de littérature au Nigérian Wole Soyinka. Pour la première fois,
un écrivain d’Afrique subsaharienne reçoit la prestigieuse récompense. C’est une
fierté pour les artistes du continent. En imaginant un espace à la croisée entre
l’art et le développement, Vincent Mambachaka s’est beaucoup inspiré de ses
romans, de ses pièces mais aussi de ses combats contre la dictature.
« Au-delà de la performance artistique, le théâtre de Wole Soyinka est
un appel à l’engagement politique et social », estime l’artiste
centrafricain.
OLIVIER TALLÈS (à
Bangui, envoyé spécial) - 11/7/13
www.la-croix.com/Actualite/Monde/Un-artiste-au-combat-en-Centrafrique-2013-07-11-985103#