Centrafrique : Un premier ministre de la transition, de transition ou transitaire ?

 

M. Le Premier ministre.

Histoire d’une ironie ou ironie de l’histoire, le concept de «transition» et vous, vous ne vous quittez plus. D’abord Président du CNT puis depuis les évènements du 10 Décembre 2012 -  qui ont engendré les accords de Libreville- vous êtes devenu Le Premier ministre de la «Transition» ou de «Transition» et peut-être en transition, qui sait !  

A l’heure où vous trempez de sueur, au rythme et à la cadence du folklore et ballet des prétendants, je ne suis pas certain qu’une tribune comme la mienne retiendra votre attention. Ce qui m’a poussé à vous écrire, tire sa substantifique moelle  des quelques mots prononcés par celui, dont vous avez assuré la défense sous le régime d’André Kolingba, pour complot de coup d’Etat et, qui a fait de vous le Président du défunt CNT au lendemain des évènements du 15 Mars 2003. Fait rare dans les traditions constitutionnelles du monde sauf en Birmanie et dans l’histoire des institutions d’un pays, votre décret de nomination a été signé en présence d’un auditoire fait de mosaïque de personnalités puis publié «oralement sur le siège » après la phrase suivante « Puisque Tiangaye en veut, je le lui donne ». En d’autres termes, vous êtes un « régicide »   

                A la lumière de cette qualification, votre situation politique de chef de parti et votre statut de Premier ministre interroge, à la fois, l’approche anthropologique du pouvoir et les options politiques du concept de «  transition ». Je me pose des questions tout en cheminant vers les zones d’ombre de l’histoire de notre pays. Inféodé à aucun parti politique, engagé dans aucune composante de la société civile, j’essaie de décrypter, d’élucider ce qui fait la trame des us et coutumes des institutions de notre pays et comprendre le genre de rapport qu’entretiennent ces mœurs et pratiques avec les communautés humaines et collectivités territoriales. Certaines de ces interrogations portent sur le concept de transition même. L’histoire des institutions Centrafricaines me rappelle le GUN dirigé alors par M. Ngoupandé. C’est dire que, ce n’est pas la première fois que la problématique de la cohabitation ou de gouvernement bicéphale- tissé d’asymétrie d’information- s’expérimente en Centrafrique. Vous êtes engagé à une course de fond  dans du sable mouvant. Vous avez d’un côté le Président de la République, qui ne vous fera aucun cadeau même au risque d’attenter à votre vie ; parce que vous êtes un régicide. De l’autre vous avez une coalition hétéroclite, une mosaïque d’intérêts politico-militaires composites ; d’autant plus  que les partis composant l’opposition dit parlementaire est absente du parlement. En somme, à ce jour, il n’y a aucune plateforme commune de gouvernement excepté un projet de partage du butin entre de féroces crocodiles. Vous êtes appelé à piloter un gouvernement ; non pas bicéphale mais un véritable monstre à quatre têtes (Je peux me tromper dans ma représentation de la réalité) auxquelles s’ajoutent les visiteurs de la nuit ; les Nicodème et les «  souviens—toi de moi, quand tu seras dans ton royaume. Loin de moi l’insinuation d’une quelconque arrogance. Si l’on analyse les fondements historiques des choix et orientations politiques qui ont amené les mœurs et pratiques politiques à enliser les communautés humaines et les collectivités territoriales dans l’obscurantisme et l’indigence, l’histoire vous somme de ne faire dans de la cosmétique. Pourquoi ? A mon humble avis l’une des causes se trouve dans les prérogatives que confère l’accès à la tête de l’Etat. L’Etat en Centrafrique a aussi bien d’incroyables capacités de nuisance que d’ascension fulgurante sur un individu. A coup de décret et d’arrêté, l’Etat peut sortir un anonyme, un obscur de l’ombre à la lumière ou dépouiller un brave patriote et lui réserver un sombre destin quitte à faire, sans état d’âme, des veuves et des orphelins. Les voies d’accès à la richesse et à l’arrogance ne passent que par la puissance publique. A l’heure de la cohabitation conflictuelle, le Premier ministre, a la main sur les services de renseignements généraux ; notamment la police mais le renseignement militaire lui échappe complètement.  Face à cette absence de rempart, je m’interroge de savoir si votre coalition aura l’audace d’impulser une orientation socio politique, qui est en « transit » après les échecs successifs des différentes configurations de la transition de 2003 au 11 Janvier 2013. A moins que vous, vous ne contentiez de jouer le Premier ministre de transition ; à l’image du Professeur Abel Goumba ; qui s’était fait dépouiller de sa virginité politique. Etes-vous au moins porteur d’un nouveau paradigme de conduite à termes d’un pacte républicain en gestation? Un homme politique est d’abord un homme qui agit pour permettre l’apparition des facteurs de transformations de la société. Faire de la politique revient – sur le plan analytique à mettre en mouvement une société par des images, des métaphores, des symboles relevant tous d’inspiration anthropologique et ayant pour objectifs l’accès à l’autonomie et l’émancipation du plus grand nombre. 

 Devant le procès de l’histoire des institutions en Centrafrique, accepteriez- vous de nous indiquer la stratégie de plaidoirie que vous bâtirez ; sachant que vous avez construit votre notoriété d’avocat à partir du matériel qu’est la stratégie de plaidoirie de rupture. On dit de vous que vous êtes un homme intègre. Je n’ai aucun élément pour confirmer ou infirmer ce concert de louange et me contente d’en prendre acte. Néanmoins, à l’aune de l’approche holistique de la plaidoirie de rupture, avez-vous un cap à fixer ? La plaidoirie de rupture, en tant que outils, instrument de travail et impliquant de revisiter les logiques et pratiques sclérosantes et paralysantes où nous, nous sommes installés.

Mes  deux questionnements, qui suivent, ont en commun de soulever la problématique de la faisabilité politique du projet pour lequel vous êtes missionné. Sans faire de «  chichi sémantique ou me fourvoyer dans des arguties juridiques, vous êtes là pour quoi faire ? De qui vous tenez votre légitimité sans rempart, alors que la légalité de votre statut est désormais le décret de nomination arraché au forceps par les accords de Libreville du 11 Janvier 2013 ?    

: De la théorie de jeu des acteurs  à la stratégie de plaidoirie de rupture ; le dilemme. 

M. Le Premier ministre. Partisan dans l’espace francophone de l’école de plaidoirie de rupture et sans doute le premier artisan de cette école en Centrafrique, vous savez mieux que quiconque que les mœurs et pratiques politiques en Centrafrique sont tramées de sinécure et de prébende. Les intérêts du pays sont prisonniers des intrications et les imbrications  des théories de dilemme du prisonnier et du passager clandestin pour certains. D’autres, en revanche affûtent le complexe de l’imposteur. Le tout a pour finalité de réussir la lutte pour les places au soleil alors qu’un grand penseur prônait la lutte des classes. Quand vous aviez été nommé, le ballet de cette cacophonie a repris et voudrait vous imposer le tempo par des initiatives politiquement « infaisables » sur le terrain. Je cite un seul exemple : les changements auxquels on vous suggère de procéder, relèvent davantage du débat d’étudiants syndiqués car, ne peuvent faire l’objet de formalisation d’une seule action de politique publique ; pire encore, ce que les auteurs appellent « préconisation stratégique » sont en réalité des slogans, des fumigènes entre les mains des entités chaotiques ingouvernables.

Les bifurcations et déviations de Patassé et Bozizé- pour m’en tenir aux dix dernières années- sont la résultante  de ces mœurs et pratiques. Des amateurs s’autoproclament acteurs politiques sans aucune fibre patriotique et pire encore, sans aucun projet politique cohérent et socialement pérenne ; aucun paradigme. C’est l’occasion où jamais, d’insuffler dans les mœurs et pratiques politiques le vent de la stratégie de plaidoirie de rupture en construisant des outils, des mécanismes fiables et crédibles. Je le dis en d’autres termes. La Centrafrique est désespérément en quête de boussole et les différents capitaines ne lui ont fixé aucun cap.  Sa population est à 80 %  rurales mais les partis politiques et la société civile- dans toutes ses composantes- enferment cette population dans la damnation de l’indigence en spéculant sur l’illettrisme et leur analphabétisme. Le défi de ce temps de transition n’est-il pas de proposer- non pas des états généraux sans lendemain ni doctrine socio-économique et politique  mais d’inventer ensemble les bases d’une Convention de développement et rechercher les références et référentiels d’une société ouverte !              

 

II : Faire germer les facteurs de métamorphose des communautés humaines et des collectivités territoriales ; un tropisme structurant et architecturant pour un pacte républicain.   

 

                M. Le Premier ministre.

Les souvenirs communs que je garde de vous me conduisent à n’avoir qu’une profonde estime et de la considération pour votre personne. J’ai le défaut caractériel de n’être ni obséquieux ni dithyrambique dans les rapports avec les autres et ne suis pas le spécialiste des prescriptions condescendantes à ceux qui sont en responsabilité. Néanmoins, permettez moi de vous rappeler des évidences :

1) Le monde a radicalement changé. Il est économiquement globalisé, devenu polycentrique et son assise Triadienne vacille de jour en jour. Le continent Africain n’échappe pas à ce mouvement de métamorphose et non à la révolution.

2) Les nouvelles interdépendances qu’esquissent les différentes étapes de cette  métamorphose en gestation impactent les approches spatiales et structurelles, financières et politiques. Ces interdépendances sont entrain de produire un monde alternatif avec les intrications et les imbrications de nouvelles régions et de nouvelles nations. Le regard uniquement antagoniste des rapports entre les régions et nations du monde chancelle de plus en plus dans ses fondements notamment en matière de légitimation politique ; c’est-à-dire qu’est-ce qui permet de dire ou d’affirmer que quelque chose est juste et scientifiquement crédible. 

Je vais m’en tenir à ces deux regards pour contester la thèse de vos adorateurs, de ceux qui vous font allégeance. Le positionnement de la République Centrafricaine de ces vingt dernière dans le concert des Nations appelle de la pitié sur le point suivant ; lequel me paraît de loin le facteur le plus négligé et celui, le plus absent des préoccupations des partis politiques, de la coalition militaro-politique et toutes les composantes de la société civile. Le défi de votre gouvernement ne saurait se limiter à empêcher que Bozizé ne traficote la Constitution pour se représenter en 2016. En Septembre 1979 ; lors de l’opération Baracuda, la jeunesse vigilante Centrafricaine d’alors avait scandé «Ce chat est parti mais les chiots sont encore là ». Je n’ai pas la vertu des allégories mais Bozizé a la main mise sur le renseignements généraux militaires dont la gendarmerie, les renseignements généraux de la police ; un exemple de  chiots qui sont encore là.

Ainsi, sans être péremptoire, le temps de la légitimité fondée sur la « démarche messianique ou rédemptrice de l’homme politique » est achevé et porte en lui le germe d’une sclérose voire d’une paralysie des communautés territoriales et humaines. Conrètement, il me semble que la plaidoirie de rupture – dans ce sens et d’ici 2016- serait de revisiter les logiques des politiques publiques mises en œuvre. Elles ont eu pour conséquence et corollaire de  vassaliser les communautés humaines et les collectivités territoriales.

La coalition que vous allez dirigée  guérirait les mœurs et pratiques politiques en ne se trompant pas sur les enjeux ; l’Etat doit s’inscrire dans le mouvement de la métamorphose en postulant que l’Etat doit avoir pour vocation de créer les conditions propices à l’accès du plus grand nombre aux biens publics afin de réduire la gangrène de l’indigence. La coalition aggraverait la situation, déjà gravissime, d’absence de repères socio-économiques. Si 2016 est une échéance électorale importante, la coalition s’aviserait de rendre le terrain nourricier. Bozizé ne devant plus se représenter ; normalement, les prétendants de l’après 2016 sont potentiellement dans la coalition. Toute absence de préparation à la métamorphose ; la dynamique de la coalition, se transforme en dynamique.

 

 

 

 

Conclusion

A mon avis, si votre coalition ; bien que hétéroclite, parvient, pendant le temps de la transition, à faire en sorte que les communautés humaines et les collectivités territoriales[ les 7 régions et les 16 préfectures] aient du dégoût pour les approximations, la propension des mœurs et pratiques politiques à se mettre en lévitation, à passer pour des rédempteurs et des messies alors que le monde, qui nous environne, est en train de se métamorphoser, elle aurait réussi à s’ériger en moteur et cœur de la transition et, donnerait du sens et de la saveur au concept.

La plaidoirie de rupture s’inscrit aussi dans une logique et une dynamique de transgression positive sinon la métamorphose ne se fera pas. Dans ce sens, sortir la Centrafrique de son statut de fabrique d’approximations et de poncifs politiques pour en faire des ateliers et pépinières d’expérimentation de micros modèles économiques participe de cette approche d’alternative de cette transgression.

Merci à vous d’avoir pris le temps de lire un message de récupérer une bouteille jetée à la mer. Je vous souhaite bon vent dans l’intérêt de tous !

 

Gervais Douba  

Enseignant en Sciences de gestion (Université de Rouen)

  Consultant en ETD (Symbiose Ingénierie Internationale)