Centrafrique

L’AUTORITÉ NATIONALE DES ÉLECTIONS (ANE) EN QUESTION !

Trois quart des photos faites pour les cartes d’électeurs inexploitables, des centaines des procès du scrutin référendaire mal remplis et annulés, des soupçons de trafics des cartes d’électeurs…

Dans son Editorial du 26 Décembre 2015 sur RFI, Jean-Baptiste Placca, faisant allusion au report des élections centrafricaines au 30 Décembre, a dit : « Nous sommes, ici, dans le cas typique d’un élève qui n’a rien appris durant toute l’année, et qui se précipite, à la veille des examens, pour rattraper toutes les lacunes accumulées ». Un Editorial traité par la Présidence de la Transition de la RCA de « Description surréaliste » dans un Communiqué, que je trouve maladroit, lu sur les ondes de Radio Centrafrique le 27 Décembre 2015.

Pour ma part, les insuffisances – pour ne pas dire le désordre – dans le processus d’organisation des élections qui se font jour aujourd’hui ne m’étonne guère. Pour avoir pratiqué un tout petit peu l’ANE, je m’en doutais qu’il ne puisse en être autrement.

Toutes ces insuffisances trouvent leur principale origine dans la mauvaise préparation et notamment dans l’absence de définition par l’ANE, en amont, de stratégies claires devant lui permettre de mener à bien sa mission. Et la question de formation est le talon d’Achille de l’ANE. Dire que 3 jours de report suffiront pour combler cette lacune, cette une plaisanterie.

Dirigeant d’un Cabinet de Consultants (Bureau d’études) basé à Marseille en France et ayant un bureau à Bangui, j’ai très tôt (en février 2014) soumis une offre de développement de compétences (formation) à l’ANE, qui était encore à la recherche d’un siège. Cette offre n’avait pas trouvé suite parce que l’Institution était entrain de constituer (mobiliser) son budget et n’avait pas commencé les opérations.

Mon Cabinet a soumis à nouveau son offre en février 2015. Quatre (4) séminaires de formation de haut niveau ont été proposés à l’Institution. Ces formations visaient non seulement les Commissaires (c’est comme ça qu’on appelle les 7 membres de l’ANE) et les chefs des Divisions de la dite Autorité, mais aussi d’autres acteurs intervenant dans le processus électoral (membres de la CCT, du CNT, du HCCT, cadres du Ministère de l’Administration du Territoire, journalistes et cadres des organisations de la société civile).

Je suis entré en contact avec plusieurs Responsables de l’ANE à ce sujet, notamment avec :

- Le Président (démissionnaire)

- Le vice-président (démissionnaire)

- Le Président de la Commission Formation et Education Civique (FEC), encore en fonction, qui est mon principal interlocuteur

- La présidente de la Commission Finances (encore en fonction)

- Le chef de Division FEC, mon second interlocuteur.

Plusieurs échanges par mails, au téléphone, en tête-à-tête ont eu lieu avec ces sieurs et dame. Lors d’une rencontre au siège de l’ANE, il m’a été signifié que l’Institution a reçu un certain nombre d’offres de formation mais la mienne est le mieux-disant (comparée notamment à une autre reçue d’un Institut de la RD Congo). De ce fait, m’attendait à voir confier à mon Cabinet la mission de formation, j’ai mis en stand-by des collaborateurs, experts internationaux et formateurs de haut niveau, ayant fait leur preuve auprès des multiples Commissions électorales en Afrique, ainsi qu’auprès des institutions qui appuient traditionnellement les élections sur le continent (OIF, PNUD…). Devant l’absence de décision de l’ANE, j’ai dû demander à plusieurs reprises aux formateurs d’aménager leur agenda à cet effet.

Un jour (d’avril 2015), j’ai reçu un coup de fil du chef de Division FEC qui m’appelait de la part du Président de la Commission FEC, me demandant de passer le voir au siège de l’ANE au sujet de mon offre de formation. C’est urgent, insistait-il ! Un rendez-vous est callé pour le lendemain de son coup de fil. Les références (avec des images-photos) en matière de formation de mon Cabinet figurant dans le catalogue de mon offre. Arrivé au rendez-vous, mon hôte m’a d’emblée adressé ses félicitations, en me signifiant être agréablement surpris et heureux de savoir qu’un compatriote Centrafricain est présent sur ce créneau de formation de haut niveau, dominé par des Cabinets ouest-africains et occidentaux (je suis flatté !). Il m’a alors indiqué que la Commission FEC a trouvé mon offre technique de qualité (il n’en pouvait être autrement ! Etant moi-même formateur dans des grands cabinets et centres de formation en France, mon offre est de standard international !!) mais la Commission souhaite une remise de prix pour la formation d’une quinzaine de participants (commissaires et chefs des divisions), et si cette prestation est satisfaisante, me disait-il, on me confierait la formation des membres des démembrements et autres. J’ai donné au chef de Division mon accord de principe et lui promet une nouvelle offre financière (OF) dans un bref délai. Le lendemain de notre entrevue, une nouvelle OF (avec rabais de 20%) lui est parvenue. J’ai toutefois transmis, par mail, une version électronique au Président (démissionnaire) de l’ANE.

Restant 3 mois sans réponse, j’ai pris l’initiative de recontacter la commission FEC : d’abord le chef de Division (sans suite), ensuite le Président de la dite commission. Ce dernier m’a reçu à nouveau (on était en juillet 2015) pour me signifier que l’ANE a sollicité un financement auprès des partenaires pour des formations et était dans l’attente de suite. Il a promis de me recontacter « au temps opportun » (ses propres termes). Je ne suis, à ce jour, pas contacté !! A ce que je sache, en juillet 2015, l’ANE était déjà en pleine phase des opérations et n’avait pas besoin d’attendre la réponse de demande de financement de partenaires avant de former ses membres !!

A ma connaissance (j’attends à être démenti !!), les Commissaires de l’ANE n’ont jamais reçu, tous ensemble, une ou des formations leur permettant de partager leurs expériences, sommes toutes individuelles. Le sentiment que j’ai, c’est que le renforcement des capacités (formation de perfectionnement) n’a pas grand intérêt pour eux. Leur intérêt est probablement ailleurs !

Ils peuvent se targuer d’avoir été ou d’être :

- Chef de mission Elections de l’Union Africaine

- Observateur électoral du GERDDES-Afrique

- Professeur de Droit Constitutionnel

- Magistrat

- Médecin, ancienne Ministre

- etc.

Ce que les Commissaires de l’ANE n’ont pas compris, c’est qu’ils ont là des parcours individuels. Pour gagner, il aurait fallu un partage de chacune de leurs expériences, sous la conduite d’un coach (un formateur/animateur). Ils sont comme une équipe nationale de foot ou de basketball. Les sélectionnés, même s’ils jouent dans des grands clubs du monde, il leur faut se retrouver, s’entraîner ensemble, sous la houlette d’un coach (entraineur) pour faire un collectif efficace.

L’ANE pèche donc par l’absence de formation des Commissaires ! C’est probablement par prétention de penser qu’ils sont déjà experts en matière d’élections et qu’ils n’ont plus rien à apprendre. Erreur !!! Et comme dit un dicton « le poisson pourrit par la tête », l’absence d’efficacité au sommet (car pas ou mal formé) se répercute aux démembrements (préfectoraux et d’arrondissements) et à l’ANE locale : d’où l’incapacité de manier correctement les appareils photos, de remplir correctement les procès verbaux, etc. Cela a un coût énorme !

Mes chers compatriotes, ne négligez pas la formation ! Ce n’est pas quelque chose d’accessoire, c’est la voûte d’efficacité. C’est une erreur de ne pas la mettre au cœur de toutes vos stratégies. Il y a un avantage comparatif indéniable entre les Ressources Humaines bien formées, qui se perfectionnent régulièrement et celles qui se contentent des acquis figés (généralement des diplômes obtenus à la fac depuis 10, 15, 20 ans, sans recyclage et complètement désuets aujourd’hui du fait que nous sommes dans un monde en perpétuelle mutation où tout va de plus en plus vite). C’est aussi là un défi majeur pour relèvement de la Centrafrique.

Pour finir, personne n’a intérêt à ce que l’ANE échoue dans sa mission, combien importante, délicate et historique. Son échec serait un suicide collectif pour nous Centrafricains ! Vivement la réussite du processus électoral !

Dr. Thierry BANGUI

Consultant international, universitaire et essayiste

Marseille, France

Séjourne actuellement à Bangui

Le 27/12/2015