La crise actuelle
en République centrafricaine (RCA) a débuté le 10 décembre 2012 — date à
laquelle une offensive rebelle alors dirigée par Michel Michel Djotodia, le chef
d’une coalition appelée Séléka, a été lancée et s’est emparée de plusieurs
villes du pays.
Après une
accalmie précaire et plusieurs tentatives de médiation, les hostilités ont
repris le 22 mars 2013 et abouti, deux jours plus tard, à l’éviction du pouvoir
du président, François Bozizé.
Après ce
changement inconstitutionnel, la coalition Séléka n’a pas su maintenir la paix
et la sécurité dans le pays. Nombre de ses éléments ont été accusés d’actes de
vandalisme et de nombreuses
violations des droits de l’homme contre les
non-musulmans.
Devant
l’exacerbation des tensions et les violences de part et d’autre, le président
autoproclamé, Michel Djotodia, incapable de stabiliser son pays, a été forcé de
démissionner par la communauté internationale. Il a été remplacé par
l’ex-mairesse de Bangui, Catherine Samba-Panza, qui, à son tour, peine à
rétablir l’ordre.
Ce contexte
d’incertitude a été renforcé par la vague d’attaque des non-musulmans
(anti-Balaka) à l’encontre de l’ex-Séléka, pour assurer sans doute leur
vengeance. Depuis, des
milliers de civils centrafricains, en particulier les membres de la communauté
musulmane, ont été contraints de se déplacer ou de trouver refuge dans les pays
voisins.
Pour mettre fin à
l’impunité, une enquête a été demandée par le Conseil de sécurité de l’ONU en
vue d’enquêter sur les allégations de violations du droit international
humanitaire et des abus des droits humains. Ce travail a
été confié, par le Secrétariat général de l’ONU, à une Commission d’enquête
dirigée par le Camerounais Bernard Acho Muna, ancien procureur du Tribunal pénal
international pour le Rwanda (TPIR).
La Commission a
enquêté et rendu un rapport
préliminaire, dont la presse
s’est vite fait l’écho dès le début du mois de juillet
2014.
S’il est
important de revenir sur ce rapport, ce n’est pas tant dans l’optique de décrire
à nouveau l’échelle de la
violence qui perdure dans
ce pays depuis décembre 2012 que de mettre l’accent sur la qualification
juridique des crimes commis, telle qu’elle ressort du rapport préliminaire de la
commission. Cette qualification a soulevé, on le verra, l’ire des organisations
internationales non gouvernementales (ONG).
Pour la
Commission, une absence de génocide et de nettoyage
ethnique
Selon le rapport
préliminaire de la Commission, la situation en République centrafricaine ne
présente pas encore toutes les caractéristiques d’un
génocide.
Si, selon la
Commission, il n’y a pas de doute que les parties qui s’affrontent dans cette
région ont toutes commis des crimes de guerre et des crimes contre
l’humanité, il est, pour l’heure, précoce de parler de
génocide ou de soutenir qu’un nettoyage ethnique a été mis en
œuvre.
L’équipe de
l’ancien procureur du TPIR précise qu’en dépit de la propagande haineuse
antimusulmane provenant de certains non-musulmans, il n’existe pas de preuves
suffisantes pour étayer l’idée selon laquelle un génocide est en cours de
planification. Par ailleurs, il n’existerait pas non plus d’indices
incontestables de l’existence d’un dolus
specialis (intention
spécifique), nécessaire pour avancer la thèse du génocide.
En outre,
s’étendant spécifiquement sur le nettoyage ethnique, le rapport de la commission
trace une ligne de démarcation entre celui-ci et le crime de génocide. Pour lui,
le déplacement massif des musulmans de leurs zones d’habitations ne découle pas
d’une politique de nettoyage ethnique, mais plutôt d’une mesure de
protection de la population
elle-même, guidée par l’instinct de survie.
Pour les ONG, une
méconnaissance de la réalité du terrain
Alors qu’il n’a
pas encore été rendu officiel par le secrétaire général de l’ONU, le rapport de
la Commission d’enquête n’est pourtant pas passé inaperçu chez les
ONG.
Les responsables
d’Amnistie
internationale (AI) ont dénoncé
une ignorance de la réalité. Selon eux, le rapport réfute à tort l’idée que le
déplacement des populations musulmanes n’est pas une conséquence de la guerre,
mais son but.
Rejetant les
conclusions de la Commission, AI stipule qu’il existe une réelle intention chez
les combattants chrétiens de tuer et d’expulser
par la force tous
les musulmans des zones qu’ils contrôlent.
En février 2014,
sur le même ton, Human Right
Watch était déjà
convaincu de l’existence d’un nettoyage ethnique, qui avait pour objectif la
disparition de la communauté musulmane ayant pourtant vécu dans ce pays depuis
des lustres.
Du côté de la
Fédération internationale des droits
de l’homme, un rapport
publié en juin 2014 — et dont le titre est révélateur
(Centrafrique : Ils doivent partir ou mourir) — qualifiait
expressément l’exode forcé des populations civiles, essentiellement musulmanes,
d’épuration politico-religieuse.
Même si le
rapport n’emploie pas (même une seule fois) le qualificatif précis de nettoyage
ethnique, il ne fait aucun doute qu’en parlant d’épuration politico-religieuse,
c’est bien au nettoyage ethnique qu’il est directement fait
allusion.
Pour l’ONU, des
contradictions
Le rapport de la
Commission est en décalage avec les prises de position antérieures de certains
responsables de l’ONU.
Par exemple, en
novembre 2013, le Conseiller spécial pour la
prévention du génocide avait déjà
alerté la communauté internationale sur le risque de génocide en République
centrafricaine. De son côté, Antonio Gutteres, haut-commissaire des Nations
unies pour les réfugiés, avait évoqué en
févier 2014 des risques de nettoyage ethnico-religieux après avoir séjourné dans
ce pays.
Si l’on
comptabilise ces derniers propos avec les différentes enquêtes réalisées par les
ONG sur le territoire centrafricain, on en déduirait facilement que le rapport
demandé par le conseil de sécurité est mis en minorité sur la question de la
qualification juridique des infractions dénoncées dans cette partie de l’Afrique
centrale.
Pourtant, c’est
bien un travail d’experts, qui, à l’aide d’outils juridiques dont regorge le
droit international pénal, ont investigué et tiré des conclusions juridiques qui
sont censées, en attendant une décision judiciaire définitive, taire le débat —
ou, du moins, permettre un consensus, fût-il précaire, sur la question de la
nature juridique des violations du DIH et des droits de l’homme qui y sont
commis. Or, il n’y a pas de consensus.
En l’absence de
consensus, quelles solutions ?
En partant du
postulat selon lequel les parties au conflit centrafricain pourraient avoir
commis des crimes contre l’humanité, mais pas un nettoyage ethnique (et encore
moins un génocide), les membres de la Commission choisissent un angle
spécifique : ils pourraient bien mener à l’idée que le nettoyage
ethnique devrait un jour
pouvoir s’émanciper des catégories juridiques dans lesquelles il est
actuellement englué.
Cela est d’autant
plus vrai que le rapport prend le soin d’identifier le nettoyage ethnique
indépendamment du génocide et des crimes contre l’humanité, ce qui mène à l’idée
que le nettoyage ethnique pourrait n’être ni l’un ni l’autre des derniers crimes
visés.
En droit
international positif, le nettoyage ethnique n’est pas synonyme de génocide.
Cette affirmation se base aussi bien sur le texte de la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide de 1948 que sur
ses travaux
préparatoires, qui ont écarté
toute possibilité d’amalgamer les deux réalités.
Le génocide
existe en tant que crime international parfaitement reconnu par le droit
coutumier, alors que le nettoyage ethnique est une notion dont la valeur
juridique n’est pas actuellement reconnue.
Le fait de dire
qu’un nettoyage ethnique commis avec intention de
détruire tomberait dans
la définition du génocide n’est pas concluant, car, comme on l’a vu, l’intention
précise du nettoyage ethnique n’est pas autre chose que la volonté d’expulser
par la force un groupe ethnique sur un territoire où il a toujours vécu en vue
de le remplacer par un autre groupe acquis à ceux qui mettent en œuvre cette
politique.
En revanche,
l’intention du génocide consiste principalement en la destruction
physique. Donc, l’intention du génocide et du nettoyage ethnique sont deux
choses différentes, et les deux ne peuvent être associées — au risque de
rendre encore plus confuse la complexité même de la compréhension du
génocide.
Par ailleurs, en
pensant spécifiquement à la situation de la crise centrafricaine, et dont le
rapport de la commission se fait l’écho en ce qui concerne le nettoyage
ethnique, il est important de souligner que tout acte d’expulsion ou de
transfert forcé ne constitue pas nécessairement un nettoyage ethnique. Pour
qu’on puisse juridiquement conclure à cette dernière possibilité, il faut
pouvoir, en plus des actes catalyseurs que constituent les déplacements forcés
de civils, aller plus loin. Et derrière ces actes devrait se cacher l’idée
d’acquérir un territoire.
Sur cette base,
il y a lieu d’être très prudent dans l’usage des mots, car un affrontement
ethnique ou religieux ne peut pas être péremptoirement assimilé au nettoyage
ethnique si l’on n’est pas certains de la réunion de tous les éléments
constitutifs. Il faut bien identifier les motifs avérés ou non, déclarés ou
subtils, pour lesquels les groupent s’affrontent
réellement.
En revanche, ce
n’est pas parce que les populations prennent la fuite pour échapper à la mort
quand un conflit s’exacerbe que l’on doit conclure à l’absence d’un nettoyage
ethnique. C’est un argument qui aurait dû mériter plus d’analyse pour
convaincre.
La Commission ne
devrait pas aussi oblitérer le fait que c’est le propre des bourreaux, en
contexte de nettoyage ethnique, de créer les conditions de vie difficiles et
insupportables, au point que les victimes n’ont d’autres solutions que celle de
l’exil.
La situation qui
a prévalu en ex-Yougoslavie est encore trop
fraîche dans les mémoires pour négliger les subterfuges dont se sont rendus
maîtres ceux qui défient les valeurs communes d’humanité et les limites tracées
par le droit international, en voulant dissoudre une
communauté donnée.
Dès lors, on peut
considérer que ni la Commission de l’ONU ni les ONG ne peuvent prétendre, une
fois pour toutes, détenir la vérité juridique sur la question de l’existence ou
non d’un nettoyage ethnique en Centrafrique.
Par contre, il
aurait fallu, pour la Commission — si elle voulait éviter la réaction
virulente des ONG — de ne pas tomber dans le piège de la qualification de
nettoyage ethnique dans son rapport sur l’examen de la situation en
RCA.
Cela est d’autant
plus vrai que non seulement la notion n’est en ce moment pas strictement définie
en droit international, mais plus encore, il existe — dans le corpus
du droit international pénal — des qualifications juridiques indiscutables
(pensons aux crimes contre l’humanité) sur lesquels les membres de la Commission
auraient dû exclusivement s’attarder, en espérant qu’une juridiction pénale
mieux outillée qu’elle (et ayant plus de latitude et de temps) puisse, après
coup, élargir le débat technique sur la question de l’existence ou non d’un
nettoyage ethnique.
Quoi qu’il en
soit, le vin est tiré, et le rapport de la Commission est là. Il faut maintenant
espérer que le Secrétaire général de l’ONU en fasse une large publication, car
le document n’est pas encore officiellement publié sur le site de ses
services.
Cela permettra,
quoi qu’on dise, aux chercheurs de s’en faire l’écho, en continuant la réflexion
pour mieux mobiliser la communauté internationale sur la réalité des crimes
commis dans ce pays. Et peut-être le temps est-il venu de donner une
signification autonome et exclusive au nettoyage ethnique, en opérant sa
scission d’avec les autres crimes internationalement
reconnus.
Si cela avait
déjà été fait, peut-être y aurait-il eu une économie de débat sur la liste déjà
longue de concepts
expérimentés par le droit
international — et qui divisent toujours la communauté
internationale.
En tout état de
cause, pendant ce temps, les victimes de la crise en RCA continuent de crier
secours en demandant une réaction robuste et sans complaisance de la communauté
internationale au double point de vue militaire et
judiciaire.
Émile
Ouédraogo
Chercheur en
résidence, Observatoire sur les missions de paix et opérations
humanitaires
Chaire @RDandurand @UQAM
* *
*
Créée
en 1996 et située à l’Université du Québec à Montréal (UQAM),
la Chaire Raoul-Dandurand en études
stratégiques et diplomatiques compte
une trentaine de chercheurs en résidence et plus de 100 chercheurs associés
issus de pays et de disciplines divers et comprend quatre observatoires
(États-Unis, Géopolitique, Missions de paix et opérations humanitaires et
Moyen-Orient et Afrique du Nord). On peut la suivre sur Twitter
: @RDandurand.
Ce
billet est le premier d’une série de trois, qui seront publiés dans les
prochains jours.
Le monde est
actuellement secoué par de nombreux conflits armés. Il ne se passe pas un seul
jour sans que les médias ne nous relatent le triste sort de civils fuyant des
zones de guerre parce qu’ils craignent pour leur vie et celle de leur
famille.
Le conflit
israélo-palestinien, la guerre en Ukraine, les massacres devenus presque
quotidiens en Irak ainsi que la désolation continue des civils en proie aux
conflits en Afrique (la crise en République centrafricaine et le conflit en
République démocratique du Congo et au Darfour, notamment), pour ne citer que
ceux-là, décrivent une violence extrême et sans
borne.
Alors que ces conflits
armés se multiplient et sèment la terreur au sein de la population civile, la
communauté internationale et même les juristes ne sont pas toujours d’accord sur
la nature juridique à donner aux violations du droit international humanitaire
(DIH) et du droit international des droits de l’homme (DIDH) qui font souffrir
les victimes.
Ce texte, qui est le
premier d’une série d’autres billets, cherche à comprendre la signification
juridique du génocide, des crimes contre l’humanité et du nettoyage ethnique,
pour ensuite les appliquer concrètement à deux cas précis, à savoir les
exactions commises par les djihadistes de l’État islamique (EI) en Irak [billet
numéro 2] et les violations résultantes de la crise en République centrafricaine
(RCA) [billet numéro 3].
Le crime de
génocide
Le crime de génocide a
été codifié pour la première fois dans la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide de 1948.
À peine la Convention
est-elle entrée en vigueur que la Cour internationale de justice s’est empressée
de voir en elle l’expression du droit international coutumier. Sur cette base,
le statut juridique du génocide oblige les États même en dehors de tout lien
conventionnel.
Au fil du temps, les
législations internes ainsi que les différents statuts créant des juridictions
pénales internationales ont repris la même définition de 1948, contribuant ainsi
à renforcer l’assise juridique du crime.
Selon l’article 6 du
Statut de la Cour pénale internationale (CPI) — qui
est le dernier texte à vocation universelle à reprendre cette définition —, le
génocide décrit l’un des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en
tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux : a)
meurtre du membre de groupe ; b) atteinte grave à l’intégrité physique ou
mentale de membres du groupe ; c) soumission intentionnelle du groupe à des
conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou
partielle ; d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) transfert forcé d’enfants du groupe à un autre
groupe.
Cette définition du
génocide repose essentiellement sur deux critères qui s’identifient en éléments
objectifs ou matériels et en éléments subjectifs.
Les éléments matériels
du génocide sont composés de cinq types d’actes limitativement énumérés aux
alinéas a) à e) précités. Ces sont des actes par nature physiques (meurtre,
atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale, ou leur soumission à des
conditions d’existence devant entraîner leur disparition) ou biologiques
(mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; transfert forcé
d’enfants du groupe à un autre groupe). Le génocide physique vise la destruction
du groupe par l’élimination physique de ses membres, tandis que le génocide
biologique conduit à l’extinction du groupe à travers les entraves aux
naissances et le transfert forcé d’enfants.
Quant à l’élément
subjectif, il est constitué par l’élément intentionnel du génocide (dolus
specialis). L’intention du génocide est le point
cardinal de la définition du génocide. Il a été dit qu’elle cristallise la
caractéristique la plus intime du crime du génocide. Sans donc la preuve de
celle-ci, il est impossible de conclure à ce crime.
La preuve du dol
spécial est difficile à établir. C’est la raison pour laquelle il existe, en
notre siècle, de nombreux génocide ignorés.
De manière générale,
soit l’intention peut s’établir par des preuves directes (par exemple, la saisie
de documents officiels dans lequel il existe un plan génocidaire), soit elle
peut s’inférer des circonstances et des faits du
crime.
Les preuves directes
étant généralement difficiles à établir, c’est au prisme de la deuxième
hypothèse que les juges arrivent la plupart du temps à se convaincre de la
commission d’un génocide. Ainsi seront pris en compte le contexte du crime ainsi
que le comportement discriminatoire de l’accusé, du nombre impressionnant de
victimes, de l’attaque aux biens du groupe visé, de l’usage des termes
insultants, des blessures subies par la victime, ou encore le caractère
systématique et à grande échelle des violations
commises.
Il n’existe donc pas de
critères précis pour déterminer une fois pour toutes l’existence du dol spécial.
C’est donc de manière casuistique, et à travers chaque situation, que le juge va
se convaincre, au-delà de tout doute raisonnable, de la commission d’un
génocide.
Le crime contre
l’humanité
Le crime contre
l’humanité existait déjà dans le Statut du Tribunal militaire international de
Nuremberg de 1945. Au cours du développement du droit international, il a subi
plusieurs évolutions qu’il n’est pas nécessaire de retracer
ici.
Selon l’article 7 du
Statut de la CPI, dont la définition est considérée comme reflétant l’expression
du droit coutumier, le crime contre l’humanité définit des actes énumérés aux
alinéas a à k du paragraphe 1 de la présente disposition lorsqu’il est commis
dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute
population civile et en connaissance de cette
attaque.
La liste des actes
visés à l’article 7 est longue, mais elle n’est pas exhaustive. Elle comprend,
entre autres, le meurtre ; l’extermination ; la réduction en esclavage
; la déportation ou transfert forcé de population ; la torture ; le
viol ; la persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable
pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel,
religieux ou sexiste […] ou en fonction d’autres critères universellement
reconnus comme inadmissibles en droit international,
etc.
De manière générale, la
jurisprudence estime que les crimes contre l’humanité couvrent des faits graves
de violence qui lèsent l’être humain en l’atteignant dans ce qu’il est le plus
essentiel : sa vie, sa liberté, son intégrité physique, sa santé, sa dignité. Il
s’agit d’actes inhumains qui, de par leur ampleur ou leur gravité outrepassent
les limites tolérables par la communauté internationale, qui doit en réclamer la
sanction.
Par-delà ce qui
précède, la nécessité d’une attaque contre la population civile ayant le
caractère «généralisé ou systématique», constitue en droit positif, aussi bien
l’élément contextuel que l’élément objectif déterminant dans la preuve des
crimes contre l’humanité. Les deux caractéristiques sont alternatives, et non
cumulatives.
La jurisprudence du
Tribunal pénal international pour la Rwanda définit l’attaque «généralisée» en
se fondant sur des éléments quantitatifs, à savoir que le caractère généralisé
résulte du fait que l’acte présente un caractère massif, fréquent, et que, mené
collectivement, il revêt une gravité considérable et est dirigé contre une
multiplicité de victimes.
Quant au caractère
«systématique», il consiste dans la répétition délibérée et régulière de
comportements criminels similaires, évitant de fait des condamnations ayant un
caractère fortuit.
Le nettoyage
ethnique
Le nettoyage ethnique
est aussi désigné par diverses expressions : «purification ethnique» et
«épuration ethnique» (en français) ; «ethnic cleansing» (en anglais) ; «ethnische
sauberung» (en allemand) ; «limpieza éthnica» (en espagnol) ;
«pulizia etnica» (en
italien.
En l’état actuel du
droit international, il n’existe pas de crime connu sous le nom de nettoyage
ethnique. Ce sont les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le
génocide précités, qui sont officiellement
reconnus.
Quant au nettoyage
ethnique, il a été rendu populaire en la faveur de la crise qui a décimé
l’ex-Yougoslavie, dans les années 1990. Utilisé par les diplomates et les
militaires pour décrire les violations qui y étaient commises, il n’a jamais été
codifié dans une convention internationale, à l’exception de l’accord de
Dayton.
C’est en 1992 qu’un
rapport du Conseil de sécurité de l’ONU l’a défini pour la première fois comme
une pratique contraire au droit international, et qui consiste à rendre une zone
ethniquement homogène en utilisant la force ou l’intimidation pour faire
disparaître de la zone en question des personnes appartenant à des groupes
déterminés.
De manière générale,
trois éléments précis sont à déduire de la définition : l’identité ethnique du
groupe, l’acte de déplacement ainsi que l’acquisition du territoire par la
force.
Quoi qu’il en soit, le
nettoyage ethnique a une finalité territoriale, et c’est là son élément
déterminant. La purification ethnique vise à prendre possession d’un territoire
en déplaçant ou en assimilant par la force le groupe ethnique qui
l’occupait.
Depuis le rapport de
l’ONU précité, c’est essentiellement par l’intermédiaire du crime contre
l’humanité, et exceptionnellement par le crime de génocide, qu’on essaye
d’assurer une répression pénale de la purification
ethnique.
La plupart du temps,
les actes de nettoyage ethnique sont sanctionnés par le crime contre l’humanité
en raison du fait qu’ils sont commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou
systématique dirigée contre une population civile. Qui plus est, les actes de
déportation ou de transfert forcé de population — qui sont considérés comme les
manifestations visibles du nettoyage ethnique — sont expressément
criminalisés en tant que crime contre l’humanité.
L’intérêt de bien
appréhender les contours juridiques de ces trois catégories d’infractions
resterait théorique si elle n’avait pas donné lieu à une pratique internationale
qui reste d’actualité, et qui révèle, plus de 20 ans après la crise yougoslave,
la difficulté de se faire une idée exacte de ce qu’est le nettoyage ethnique, en
comparaison avec le génocide et le crime contre
l’humanité.
Alors
que les minorités d’Irak vivent une des pires situations de leur histoire, et
que la République centrafricaine est secouée par des exactions sanglantes, la
question de la qualification juridique de ce qui s’y passe est, bien que
critiquable, déterminante : de cela découlera l’intervention — ou
l’inaction — de la communauté internationale.
Émile
Ouédraogo
Chercheur en
résidence, Observatoire sur les missions de paix et opérations
humanitaires
Chaire @RDandurand @UQAM