Bangassou, la ville martyre pleure ses morts.

 

On ne compte plus les morts à Bangassou, chef-lieu de la préfecture du Mbomou situé à quelque 700 kilomètres de Bangui, au sud-est de la République Centrafricaine, à la frontière avec la République démocratique du Congo (1).

A la suite de l'attaque de la ville, le samedi 13 mai 2017, par un groupe armé non identifié prétendument anti-Balaka, le bilan varie du simple au quadruple : 26 tués selon la Minusca qui déplore la mort de 6 Casques bleus ; 115 cadavres dénombre de son côté la section locale de la Croix-Rouge !

 

Cet événement grave, au lourd bilan, s'inscrit en marge du retrait des militaires ougandais, appuyés par les Forces spéciales américaines, qui avaient été dépêchés dans la région en 2010 pour combattre les rebelles de l'armée de libération du Seigneur (LRA) de Joseph Kony.

Ce drame vient s'ajouter, comme en représailles, aux attaques meurtrières perpétrées semble-t-il par les éléments rebelles de l'Union du peuple centrafricain (UPC) d'Ali Darass, une semaine plus tôt, à Alindao, dans la région de la Ouaka, dans le centre du pays.

 

Deux semaines avant ces événements, le président du Comité consultatif du programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR), le ministre conseiller à la présidence Willybiro-Sakho, se félicitait de réunir l'ensemble des 14 groupes rebelles que compte la RCA autour de la table de négociations de sortie de crise. Apparemment, la mise en place par la Banque Mondiale d'un fonds à hauteur de 45 millions de dollars, destinés à financer le dit programme, a aiguisé les appétits. De nouveaux groupes armés, par l'odeur des billets de banque alléchés, se créent ou se perpétuent dans l'ignominie (2).

 

Il est à craindre que la résurgence de ces attaques armées ne s'accélère et s'amplifie, signant l'échec de la stratégie de « désarmement concerté » prôné par le président Faustin Archange Touadéra, comme nous l'avions toujours pronostiqué et redouté. Le si bien nommé chef de l’État n'est donc pas le protecteur inspiré qu'attendait le peuple centrafricain.

Ces nouvelles meurtrissures témoignent de l'impuissance du « gouvernement de remerciement » du Premier-ministre Simplice Mathieu Sarandji, empêtré dans les dérives égotiques de ses ministres.

 

Le temps est venu d'une décision politique rapide et ferme : la mise à l'écart d'un cabinet en état de décomposition avancée, la constitution d'un gouvernement de Salut public et l'instauration de l'état d'urgence sur toute l'étendue du territoire pour mettre un terme à ces actes sanguinaires et barbares.

 

Paris, le 20 mai 2017

 

Prosper INDO

Économiste,

Président du CNR

 

(1)   - Bangassou fut l'un des premiers chefs de terre, avec Rafaï, à se convertir à l'islam à l'époque de Rabah et de son lieutenant Sénoussi. La ville fut constituée en sultanat dès la fin du 18ème siècle, bien avant la colonisation française (1890). Après l'accord de 1893 entre la France et le Roi des Belges, les tribus Yakoma du Haut-Oubangui – Abira, Dendi, Bongo, Mbindo, etc.- rejoignirent les missions Crampel (tué en 1891) et Marchand pour chasser les « sénoussistes » du territoire. Les sultans Bangassou, Rafaï et Zémio, furent mis à contribution en fournissant les porteurs nécessaires à la marche en avant des deux colonnes, le lieutenant Grunfelder, successeur de Crampel, vers Ndélé et Marchand vers Fachoda. Les troupes de Sénoussi furent défaites et le lieutenant de Rabah tué le 12 janvier 1911. Un haut lieu de cette expédition demeure les vestiges de Fouroumballa, sur les bords de la Kotto, en aval des chûtes de Kembé. Ne pouvant remonter la rivière à cet endroit, la baleinière de l'expédition fut découpée au chalumeau et ses différentes pièces transportées à dos d'hommes jusqu'à Fouroumballa où elle sera remontée ! A l'indépendance, Bangassou devint le verrou sud du territoire centrafricain, protégeant aussi bien les réfugiés soudanais (1963) que les missionnaires belges fuyant les rebelles Maï Maï du Congo (1965/67). Pendant cette période, la garnison de la gendarmerie mobile de la ville était l'une des plus puissantes du pays. Pour preuve de son importance stratégique, un canon d'artillerie était implanté à la résidence du Préfet, tenant dans l'axe de son champs de tir la route conduisant à Ndu, au Congo, et protégeant le bac qui assure la navette entre les deux rives du Mbomou. Bangassou était également zone de douane entre la RCA et la RDC, pour le commerce de l'huile de palme, le café, la viande bovine, etc. La ville perdit sa puissance économique et politique dans les années 2000, et plus précisément en 2008 lorsque, informé de l'arrivée sur son territoire des troupes de la rébellion ougandaise LRA de Joseph Kony, le régime du président François Bozizé joua les Ponce-Pilate en accordant le droit de poursuite à l'armée ougandaise. C'est en effet le 12 février 2008 que les autorités soudanaises firent connaître au gouvernement centrafricain que plusieurs centaines des rebelles ougandais de l'Armée de la résistance du Seigneur avaient déserté leur point de ralliement à Ri-Kwamba, en territoire ougandais, et convergeaient vers la frontière centrafricaine. Le renseignement fut confirmé à l'agence de presse Reuters par le vice-gouverneur de la province de l’Équateur occidental. Le président François Bozizé était donc informé de la progression de cette colonne, en sa qualité de ministre de la défense nationale, de la restructuration des forces armées et des anciens combattants. Le ministre délégué à la défense nationale, le colonel Jean Francis Bozizé, l'était également, tout comme le général Gambi, alors ministre de l'Intérieur. On imagine mal le Premier-ministre d'alors, Faustin Archange Touadéra, tenu à l'écart de ce dossier. Les uns et les autres ne firent rien pour intercepter cette colonne. La LRA s'installa durablement en Centrafrique et fera sa jonction avec la Séléka du chef d’État de la transition, Michel Djotodia, en 2014. On connaît la suite ! Aujourd'hui, le Premier-ministre d'hier est Président de la République, le ministre de l'Intérieur de naguère n'est autre que son conseiller militaire, et le fils Bozizé a pris la tête des anti-Balaka. La science est formelle : les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets.

(2)   - Le programme DDRR en cours est voué à l'échec, comme les éditions antérieures, si l'enjeu consiste toujours à distribuer quelques billets de banque en contrepartie de la remise des armes et autres vieux tromblons. Le précédent créé par le programme des départs volontaires assistés (DVA), initié dans les années 1986/89 par la Banque Mondiale, déjà, doit inciter à la prudence et à la circonspection. Le programme DVA avait en effet décapité les services publics et administrations de l’État de leurs agents les plus expérimentés, en particulier ceux formés sous l'administration coloniale. Le même programme à a précarisé les personnels des catégories C et D qui ont été indemnisés avec des queues de cerises. Le programme DDRR ne pourra réussir qu'à deux conditions : créer une agence nationale de revalorisation des personnels militaires et « anciens combattants » (ANR), doté de l'autonomie budgétaire et géré à parité par le gouvernement centrafricain et les partenaires techniques et financiers de la RCA ; l'ANR aura pour missions, d'une part, d'assurer la formation des éléments démobilisés des groupes armés et des FACA dans les métiers du bois, de l'agriculture ou de l'élevage et pêche, des bâtiments et travaux publics, de la mécanique générale, etc. ; et d'autre part, d'accompagner les personnes ainsi formées dans leurs démarches de recherche d'emploi ou dans leur installation ; enfin, d'apporter aide et concours à la réinsertion de leurs conjoints ou familles (logement, scolarité). L'agence nationale de reconversion disposera donc d'un pôle formation et d'un pôle recherche d'emploi ou réinsertion professionnelle dans l'économie formelle.