Centrafrique : Au secours, les Barbares sont de retour !
Le 2 janvier 2019, au seuil de la nouvelle année, j'ai formulé un vœu et un seul à l'intention de nos compatriotes : « Tenez bon ! Gardez la force vitale. »
Cinq mois plus tard, ce souhait paraît encore plus nécessaire que jamais. En effet, à écouter et à lire le cours des événements à Bangui, un nouveau massacre de masse se prépare, avec la complicité du pouvoir. Après l’entrée des loups dans Bangui, au sein du gouvernement inclusif, c’est le tour des barbares de signer leur retour.
1 – Le retour des Barbares.
A la suite de la constitution d'une plateforme politique, regroupant différentes organisations syndicales, associations de la société civile et partis politiques, qui contestent l'entrée des chefs terroristes dans le gouvernement inclusif du Premier ministre Firmin Ngrébada, le pouvoir répond par la création d'une milice privée, « Les Requins de Centrafrique ». Le nom de ce groupuscule barbare, qui se prétend le bras armé du Mouvement Cœurs Unis, prêterait à sourire dans un pays qui n'a pas d'accès à la mer, s'il n'était la traduction symptomatique de la propension anthropophage de ses initiateurs, dont certains n'ont jamais vu l'océan, si ce n'est à travers la vidéo cassette du film « Les dents de la mer » (1).
Le coordonnateur général de ces escadrons de la mort, un certain Luc Bagaza, ne s'embarrasse pas de scrupules. Dans une note du 6 juin 2019 aux relents nazi, il appelle à la violence physique contre les membres de la plateforme « E Zingo Biani » (2), dont d'anciens ministres ou Premiers ministres ! L'intéressé va jusqu'à menacer le Président de la République s'il accordait une audience à ces derniers.
Luc Bagaza, qui se targue par ailleurs d'avoir reçu l'aide logistique de ses amis russes de la société Wagner, en armes et matériels de guerre (drones, caméras de surveillances, bâtons télescopiques à impulsion électrique, valise satellitaire de communication, ...), appelle les coordonnateurs locaux des Requins de Centrafrique à une « blitzkrieg » pour les samedis 15, 22 et 29 juin prochains, à l'encontre des membres de la plateforme et de leurs parents (3) !
Sous d'autres cieux, le nommé Luc Bagaza serait déjà poursuivi pour incitation à la haine, menaces de mort sous condition, détention illégale d'armes et munitions, etc. En RCA, cela n'arrivera pas, sauf si le ministre de la sécurité publique a le courage de dissoudre cette organisation barbare.
Le président Touadéra devrait se méfier : les précédentes milices Karaco et Cocora, créées respectivement par ses prédécesseurs Ange Félix Patassé et François Bozizé, ne leur ont pas réussi.
2 – La nature a horreur du vide.
Les chefs terroristes entrés dans le gouvernement inclusif de Ngrébada sont remplacés par de nouveaux prétendants qui font feu de tout bois.
Il en est ainsi d'un prétendu PRNC (Parti du rassemblement de la nation centrafricaine), qui a fait allégeance à un nouveau chef : Nourd Grégaza, alias Mahamat Nour Nizan, son président fondateur. Ce dernier serait coopté par l'ancien garde du corps du président autoproclamé Michel Djotodia, le « général » Aubain Issa Issaka, dissident du FPRC de Noureddine Adam. Le journal centrafricain en ligne « Djoni Sango » voit la main du ministre français de l’Europe et des affaires étrangères derrière l’ascension de Nourd Grégaza, qui serait son gendre (4) !
Il en va de même du CNCA-PDD (Congrès national centrafricain pour la paix, la démocratie et le développement), nouvel avatar de la classe politique locale.
Mais parce que le vide exerce une puissante force d'attraction sur certains sujets, soumis aux vertiges des hauteurs, d'autres personnalités refont surface, happées par l'air apocalyptique du temps.
C'est l'ancien Premier ministre de Catherine Samba-Panza, Mahamat Kamoun, qui, se revendiquant en héritier du sultan de Ndélé, annonce la création de sa plateforme politique, Bè Afrika Ti E Kwè, qu’il prétend « à l'écart de toutes les idéologies », une autre manière d’embrasser tous les opportunismes (5).
C'est l'ancien Président de l'assemblée nationale centrafricaine, Abdou Karim Méckassoua, destitué par ses pairs en avril dernier, qui se dit « prêt pour le combat » pour la restauration de l'ordre constitutionnel, après s'être inventé victime d'une tentative d'empoisonnement et cible d'une tentative de meurtre ; méfaits pour lesquels il n'a pas porté plainte (6).
C'est l'ancien Premier ministre de Patassé, Anicet-Georges Dologuélé, président de l'URCA et signataire de la plateforme « E Zingo Biani », qui s'invite opportunément rue d'Auteuil à Paris, au siège de l'hebdomadaire Jeune Afrique, pour dire tout le mal qu'il pense de la gouvernance de son ancien vainqueur, et réclame au passage le retour à Bangui des anciens chefs d’État Michel Djotodia et François Bozizé (7) !
C'est la ministre de la défense et de la restructuration des forces armées du gouvernement inclusif de Firmin Ngrébada, Mme Marie Noëlle Koyara, qui rend visite à sa collègue de la rue Balard, siège du ministère de la défense à Paris, sans doute pour aplanir les difficultés créées par la francophobie notoire des autorités de Bangui et réclamer quelques subsides.
C'est enfin l'ancien ministre du premier gouvernement Ngrébada et occasionnellement Secrétaire général du parti de la Convergence Kwa na Kwa, Bertin Béa, qui se fait évacuer sur la France, histoire de prendre du recul et soigner un foie malade de la bile versée à l'occasion du retrait de son parti du gouvernement inclusif (8).
C'est surtout Madame Catherine Samba-Panza, anciennement chef de l'Etat de la transition, qui se promène urbi et orbi, au nom du Réseau panafricain des médiateurs femmes de l'union africaine, étrennant un nouveau titre : Présidente honoraire de la République centrafricaine (9) !
Chacune de ces personnalités se pense le meilleur candidat pour la suite des événements et, sans doute, le mieux placer pour combler le vide du pouvoir ; alors qu'ils sont tous les fossoyeurs de la République centrafricaine, partageant avec les chefs terroristes le même profil psychologique, celui de prédateur de l’État !
3 – L'échec annoncé de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation.
Ces déplacements, déclarations et mouvements intempestifs rappelés ci-dessus ont provoqué un résultat inattendu : la réaction compulsive au complot de la part du pouvoir politique qui, craignant pour sa survie à un an et demi des élections générales, a enfanté des petits monstres, les Requins de Centrafrique, pour semer la terreur dans le landerneau oubanguien.
C'est dans ce contexte délétère que le Président Touadéra compte lancer le deuxième volet des Accords de Khartoum : l'organisation des consultations citoyennes et la tenue de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation, sous l'égide de l'Union européenne et de l'union africaine (10).
Les conditions matérielles de l'organisation de ces consultations n'étant pas connues, on peut craindre que les résultats ne soient faussés, en particulier dans les zones sous contrôle des groupes armés.
On voit mal en effet les organisations membres du Front uni pour la défense de la nation se prêter à ces assises si leur sécurité est menacée par les nazillons des Requins de Centrafrique.
On voit mal les représentants de la diaspora et des Centrafricains établis à l'étranger se prêter au jeu malsain, entretenu par les politiciens de Bangui, qui consiste à diviser pour mieux régner, en faisant uniquement appel à leurs séides et acolytes.
On voit mal les anciens présidents déchus, François Bozizé et Michel Djotodia, mettre pieds à Bangui, s'ils devaient d'abord comparaître devant la Cour pénale spéciale (11).
Enfin, dernier avatar de cette situation inextricable, l'ANE (agence nationale des élections) vient opportunément lancer l'avertissement selon lequel il ne disposerait pas encore des moyens financiers nécessaires à l'organisation des scrutins présidentiels, législatifs et territoriaux de décembre 2020, besoins de financement évalués à plus d'un milliard de francs CFA.
Comme on voit mal le gouvernement inclusif centrafricain faire l'avance de ces fonds, le rappel de l'ANE est un appel du pied à la communauté internationale pour abonder une caisse où les prédateurs de tout acabit, signalés plus haut, viendront puiser leurs écots.
Paris, le 12 juin 2019.
Prosper
INDO
Économiste,
Consultant
international.
(1)
– « Les dents
de la mer » est un film d’horreur américain réalisé par Steven Spielberg en
1975, qui connut le succès en obtenant trois Oscars. Le film raconte l’histoire
d’un squale tueur.
(2)
– « E Zingo
Biani » est la traduction approximative du terme Renaissance, dont le Front
uni pour la défense de la nation – mouvement regroupant plusieurs entités
syndicats, associations et partis politiques – en fait son mot d’ordre. C’est le
nom de l’hymne national de la République centrafricaine créé par Barthélemy
Boganda le 1er décembre 1958, que l’on aurait pu traduire par
« Sidou » - sortir du trou ou résurrection, voire sortir du
néant ! Parmi les responsables de ce mouvement apparaît le nom de M.
Lakosso. Ce dernier n’est pas à sa première manifestation d’exigence de l’état
de droit. Sous le président Patassé, il avait été condamné à 7 mois de prison et
150 000 francs d’amende pour offense au chef de l’Etat et atteinte à la
sûreté de l’Etat ! L’intéressé avait juste organisé un sondage sur le vif,
un radio trottoir, qui appelait à la démission du
Président.
(3)
– Cf. le communiqué
du mouvement en date du 04 juin 2019, relayé par un journal local qui émarge aux
fonds spéciaux de la Présidence de la République ainsi qu’aux subventions de la
société russe Wagner, est un appel au meurtre. En effet, le 15 juin 2019 est le
jour choisi par le Front uni pour la défense de la nation pour son premier
meeting. Si le groupuscule « Les requins de Centrafrique » met demain
sa menace en exécution, alors le Président Faustin Touadéra, son Premier
ministre Firmin Ngrébada, son conseiller spécial Fidèle Ngouandjika, sont
conseiller politique Georges Dibert, et son ministre de la sécurité publique
Linguissara, devront comparaître devant le tribunal de l’histoire. Ils
rejoindront les « 700 individus et leurs parentèles organisées en
entreprises mafieuses », cités dans ma précédente tribune, qui ont pris la
RCA en otage. A cette liste, il conviendra désormais d’ajouter les Kossimatchi,
Sarandji, Koyara, Moloua, Dondra, Mbata, Grégaza, Mbokoto-Madji, etc. A
l’arrivée, le Centrafrique aura besoin d’une vaste
épuration.
(4)
– On voit désormais
« le mal français » partout en Centrafrique, surtout parmi les
partisans du président Touadéra : être traité de « pro-français »
devient l’insulte suprême et fait de vous la cible à abattre, comme le ministre
de la sécurité publique Linguissara ou l’ancien président de l’assemblée
nationale Karim Méckassoua…Le nommé Nourd Grégaza serait ainsi, non seulement le
gendre de M. Yves Le Drian, mais également un ancien repris de justice des
prisons françaises, toujours selon ses détracteurs. Il est vrai qu’en
Centrafrique tous les casiers judiciaires sont vierges, l’impunité
aidant !
(5)
– Le mouvement
« Centrafrique pour tous » a été porté sur les fonts baptismaux par
MM. Mahamat Kamoun et Anicet Guyama Bassogo lors d’une conférence de presse
organisée par ces derniers le 6 juin 2019 à Bangui.
(6)
– Interview de M.
Abdou Karim Méckassoua accordée au journaliste Priscilla Wolner dans l’émission
« Bienvenue chez Priss » sur YouTube. L’entretien est reproduit in
extenso dans Centrafrique Presse.
(7)
– Jeune Afrique
n°3048 du 9 au 15 juin 2019, pp. 32 à33.
(8)
– Le Secrétaire
général de la Convergence Kwa na Kwa a été amené à démissionner du gouvernement
inclusif de Firmin Ngrébada, à la demande du président déchu François Bozizé,
lors de l’entrée des chefs rebelles dans le dit
cabinet.
(9)
– Le titre et cette
fonction n’existant pas dans la constitution de la RCA, on peut penser qu’il
s’agit d’une marque abusive de révérence protocolaire du journaliste du site
Journaldesnations.net, à l’occasion du séjour à Kinshasa, du 9 au 10 juin 2019,
de l’ex-chef d’Etat de la transition en Centrafrique.
(10)
– On signale ici
pour mémoire le plaidoyer résolument favorable du président du Mouvement de
libération du peuple centrafricain (MLPC), M. Martin Ziguélé, en faveur des dits
Accords de Khartoum. Nul n’a oublié qu’il fut le Premier ministre qui signa
l’entrée dans Bangui des troupes armées du mouvement de libération du Congo
(MLC) du chef rebelle congolais, Jean-Pierre Bemba, en juin 2001, à la suite de
la tentative de coup d’Etat de la Fête des Mères du 27 mai 2001, attribuée au
général André Kolingba. Chassez le naturel, il revient au
galop !
(11)
– Les chefs d’Etat
déchus, Michel Djotodia et François Bozizé, auraient tout intérêt à regagner
Bangui et à se mettre à la disposition de la Cour pénale spéciale, à l’exemple
de l’ex-empereur Jean-Bedel Bokassa, qui accepta de comparaître devant ses
juges, accepta sa condamnation et purgea sa sanction pénale, lavant ainsi
l’honneur de son nom et la réputation de sa famille ; en foi de quoi Jean
Serge Bokassa, son fils, aujourd’hui député, réalisa un score honorable de 6 %
de voix aux dernières élections présidentielles, loin devant la palanquée des
ministres du « gouvernement de remerciement » du Premier ministre
Simplice Sarandji, et du président de l’assemblée nationale d’alors, un certain
Karim Méckassoua, recalé avec 1,5 % des voix !
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