Centrafrique : hold-up à l'assemblée
nationale
et la France
de retour, sur la pointe des pieds !
La scène est digne des westerns de notre enfance. On
pense à « L'homme qui tua Liberty Valance », le film de John
Ford.
En plein hémicycle, ce vendredi 26 octobre 2018, le
député Alfred Yékatom alias Romboht, sans doute énervé par l'invalidation de la
candidature de son collègue Thierry Vakat, exhibe un pistolet et tire deux coups
de feu en l'air. Les parlementaires s'égayent hors de l'enceinte de la
représentation nationale.
Il faut l'intervention des forces de l'ordre pour
ramener le calme.
La séance reprend et, après le désistement du député
Timoléon Mbaïkoua, du MLPC, parti membre de la coalition présidentielle, le
nommé Laurent Ngon-Baba est élu nouveau président de l'assemblée nationale en
remplacement d'Abdou Karim Méckassoua, destitué. L’heureux élu représente le
parti Kwa na kwa de l’ex-président Bozizé, l’autre aile de la majorité
présidentielle.
1 – Retour
sur les épisodes précédents.
Le 23 octobre 2018, 95 députés de la majorité
présidentielle (KNK, MLPC, RDC et Cœurs unis) introduisent devant le bureau de
l'assemblée nationale une procédure en destitution à l'encontre de leur
président Abdou Karim Méckassoua. Ils accusent ce dernier de « manquements
graves aux devoirs de sa charge ».
Le mis en cause promet ne pas se contenter de jouer
l'agneau sacrificiel, une métaphore surprenante dans la bouche d'un Mahométan,
alors que l’on vient de fêter la Tabaski.
Le 26 octobre donc, le scrutin a lieu après
différentes explications de vote, dont un remarquable plaidoyer de la députée
Béatrice Epaye, très à la hauteur des circonstances.
Le président Méckassoua, lui, se défend mal. Il fait
du juridisme là où il faut pointer un doigt accusateur. Il joue en défense et
est battu : 98 députés votent la destitution contre
41.
A
l'occasion d'une réunion publique impromptue qu'il tient dans sa
circonscription, à l’issue de ce vote, Karim Méckassoua attire l'attention de
son petit auditoire sur le fait que son soutien est venu de ses collègues
chrétiens, et non des musulmans ; exit donc le procès de conflit
interconfessionnel (1).
2 – Un
musulman converti remplace un croyant d'adoption.
Dans une récente chronique, nous posions cette
question simple : à qui profite le crime ? La réponse devient
évidente.
Ourdi dans les couloirs du Palais de la Renaissance
où, prétend-on, le carnet de chèques était de sortie, la procédure de
destitution fut pilotée par le premier-ministre Simplice Sarandji avec la
complicité du président de la Commission de l'intérieur, des lois et des
affaires administratives de l’assemblée nationale, l'honorable député Laurent
Ngon-Baba.
Les observateurs voient dans cette opération
l'élimination d'un adversaire politique du président de la République, dans la
perspective des élections présidentielles de 2021. Vite
dit !
Il s'agit surtout de la mise à l'écart d'un gêneur,
très à cheval sur les prérogatives du parlement, en particulier dans
l'application de l'article 60 de la Constitution de mars 2016, qui stipule
l’autorisation préalable de l'assemblée nationale avant la signature de toutes
les conventions d'attribution de concessions ou d'exploitation des ressources
naturelles du pays (2).
Désormais, l'exécutif pourra s'affranchir de ce
contrôle a priori et s'en donner à cœur joie (3).
3 – Bonnet
blanc et blanc bonnet.
Pour ceux qui avaient encore des doutes, rappelons que
le système politique centrafricain est vermoulu depuis quatre décennies.
L'ensemble du personnel politique en place se connaît et se fréquente depuis
1993. Les uns et les autres ont participé et contribué à la chute du régime du
général André Kolingba. Ils sont donc aux affaires depuis cette date et, plus
régulièrement, depuis décembre 2003.
Ainsi, le nouveau président de l'assemblée nationale
côtoie son prédécesseur depuis les gouvernements Ange-Félix Patassé. Plus
précisément, Laurent Ngon-Baba a été :
-
ministre délégué aux
affaires étrangères (1999) ;
-
ministre de la fonction
publique (2003) ;
-
ministre de la justice,
garde des sceaux (2006) ;
-
ministre chargé du
secrétariat du gouvernement (2009)
-
ministre chargé du SG du
gouvernement et des relations avec le parlement
(2011) ;
ces deux derniers postes étant effectués dans le
gouvernement du premier-ministre d'alors, Faustin Archange Touadéra, alors que
Karim Méckassoua avait rang de ministre d’État, dans les mêmes
gouvernements.
C'est donc blanc bonnet et bonnet
blanc.
Avant la chute de Karim Méckassoua, qu'il contribua à
installer au perchoir de l'assemblée nationale, le président Touadéra a accordé
une interview le 22 octobre 2018, dans laquelle il déclarait : « je ne
suis pas éternel, et je ne suis peut-être pas le plus intelligent des
Centrafricains » ! Éclair de lucidité ou confession d'un vaniteux
narcissique qui découvre que le roi est tout nu ?
Il semble que le chef de l’État mesure enfin l'ampleur
de sa tâche et la complexité de sa mission. Il serait
temps !
4 – Au
suivant de ces messieurs !
Mais le pouvoir a tort de pavoiser. Il vient tout
juste d'ouvrir la boîte de Pandore. Il lui faudra désormais
« destituer » toutes les hautes personnalités coupables de manquer aux
devoirs de leurs fonctions : le ministre des mines, le ministre du
commerce, le ministre des transports et de l'aviation civile, l’édile de la
ville de Bangui, jusqu'au premier-ministre qui devra désormais surveiller ses
sautes d'humeur belliqueuse et son atavisme tribaliste (4). Ces prurits doivent
être purgés, grattés et asséchés,
si on veut aller à la paix et à la réconciliation
nationale.
Trois priorités demeurent :
-
la première consiste à
régler le sort des députés qui ont introduit des armes dans l'hémicycle de
l'assemblée nationale. Le bureau de l'assemblée nationale devrait lever leur
immunité et soumettre leur cas à la justice, réglementaire et
pénale.
-
La seconde priorité
concerne le devenir du nouveau président de l'assemblée nationale, devenu
subrepticement El Adj Moussa Laurent Ngon-Baba. Jusqu'alors, il présidait le
Comité national de pèlerinage à La Mecque. Cette charge, sans doute bénévole,
est incompatible avec ses nouvelles responsabilités. Il doit donc démissionner,
la République centrafricaine étant un État laïc.
-
La troisième priorité vise
à la transformation du système politique centrafricain. Notre cher compatriote
Clotaire Saulet Souroungba propose l’autodissolution des partis politiques
actuels et leur regroupement en 5 ou 6 grandes formations, contre financement
public. C'est un vœu pieux. Les partis politiques étant agréés par le ministère
de l'administration du territoire, sur des critères retenus aux articles 14 et
31 de la Constitution, il appartient au responsable de ce département de
s'assurer de la régularité de ces inscriptions et de lutter contre les agréments
de complaisance, lesquels se négocient à chéquier ouvert. Tel est le drame de la
RCA (5).
5 –
France-Centrafrique : Jeu de dupes ou coup de
poker ?
A
la suite de la destitution de Karim Méckassoua, présenté par le pouvoir comme le
protégé de la France, pays objet d’une campagne de haine et de dénigrement, le
ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, se présente à
Bangui pour un court séjour, du 1er au 2 novembre 2018. C’est une
première pour un ministre français depuis l’élection d’Emmanuel Macron en mai
2016. Deux ans pour renouer des liens distendus ! Mais le ministre français
ne vient pas les mains vides : il promet 29 millions d’euros d’aide
publique et 1 400 fusils mitrailleurs. De quoi solder 10 mois de
traitements et pensions dans la fonction publique, et équiper une brigade
entière des forces armées centrafricaines (même si en l’occurrence il s’agit des
fameux Famas, fusils d’assaut de fabrication française, mis au rebut par Paris
qui préfère désormais le fusil d’assaut allemand
HK) !
Aux dernières nouvelles, malgré la campagne insidieuse
de certains médias centrafricains qui professent l’échec de M. Le Drian, la RCA
n’a pas, au nom de sa souveraineté retrouvée ou reconquise, rejeté ce don. Elle
a au contraire dit oui, fidèle en cela à la doctrine du « Mô tè ka, mô tè
gué » (6), si coutumière des autorités centrafricaines depuis des
lustres.
Ce réveil tardif français ressemble à un coup de
poker. En effet, sur le terrain, les choses vont de mal en pis et la
décomposition de l’Etat centrafricain se précise :
-
Selon le programme
alimentaire mondial, près de la moitié de la population centrafricaine, soit 2
millions de personnes, subit une crise humanitaire
majeure ;
-
De son côté, l’ONG Enough
Project pronostique le déclenchement d’une crise politique et sécuritaire de
grande ampleur, plus sanglante que par le passé « car les mécanismes
traditionnels et diplomatiques de maintien de la paix sont accaparés par ceux
qui profitent de la guerre et leurs alliés » ;
-
Profitant du désordre
ambiant, les Russes tissent leur toile d’araignée, en créant une nouvelle
station de radio dédiée Radio Longo Songo, et en proposant une nouvelle
conférence de conciliation le 15 novembre 2018 à Khartoum (Soudan) dont
l’objectif de sortie de crise est la transformation de la République
Centrafricaine en une fédération, avec la constitution d’un Etat du Dar El Kouti
(7).
Principal invité à ce raout, en même temps que le
président de l’Union africaine, dont la feuille de route est ainsi bafouée,
quoique soutenue par la France, le président centrafricain, isolé et
affaibli.
En effet, ayant refusé de participer au dernier sommet
des chefs d’Etats et de gouvernements de la Cémac du 23 octobre 2018, une faute
morale et une lâcheté diplomatique, Faustin Touadéra se verra tordre le bras par
ses nouveaux amis pour signer cet accord, pris au piège de ses propres
contradictions (8).
Espérons que le bref séjour du président centrafricain
à Paris, à l’occasion des commémorations du centenaire de la fin des hostilités
de la Grande Guerre de 1914-18 – véritable raison du déplacement du ministre Le
Drian à Bangui – remettra les choses dans leur contexte, en souvenir de la
conduite mémorable du lieutenant Koudoukou (9).
Paris, le 12 novembre 2018
Prosper INDO
Economiste
(1) – Le scrutin étant un vote à bulletin
secret, cette assertion ne peut être vérifiée et on doute que le député Karim
Méckassoua puisse administrer la preuve de cette affirmation.
(2) – Prosper Indo : Danger pour la
démocratie et la République centrafricaine, art. du
16/09/2017.
(3) Pour preuve de cette précipitation, le vote
par l’assemblée nationale ce lundi 6 novembre 2018 d’un accord engageant la RCA
comme pays membre de l’African export-Import Bank (AFREXIM BANK) contre la
remise d’un million d’unités de compte, soit 850 millions de francs CFA. Créée
en 1993 par l’Egypte, l’Afrexim Bank est sur le même créneau que la BAD et la
BDEAC !
(4) – Aux dernières nouvelles, fort du succès
obtenu à l’assemblée nationale, le pouvoir vise désormais la levée de l’immunité
parlementaire du député Karim Méckassoua et de ses soutiens, tels que les
députés Yékatom, Nzingas, Vackat, Sanzé, etc. D’autres députés subiraient des
actes d’humiliation ou d’intimidation, comme Madame Epaye. Le président Touadéra
commettrait une erreur en persistant dans cette voie ; c’est la stratégie
de radicalisation suivie par François Bozizé en 2011, fort de l’arrivée des
soldats sud-africains pour assurer sa sécurité. On connait la
suite…
(5) Au moment où notre compatriote avance cette
proposition d’autodissolution, l’association Cœurs Unis se transforme en
mouvement politique en soutien au président Touadéra, (Cqfd).
(6) – Expression en langue Sango que l’on peut
traduire par l’adage « manger à tous les râteliers ». Cette stratégie
permet de dîner avec les ennemis de ses amis, et inversement.
(7) – Accepter un tel accord reviendrait à
entériner la dislocation de la République centrafricaine ; c’est rompre
l’unité du pays, renoncer à l’héritage du président Barthélemy Boganda et
tourner le dos à sa vision politique d’une République des Etats-Unis d’Afrique
centrale. Cf. Prosper Indo : in La partition en ordre de marche, en
pièce jointe.
(8) - Ce « boycott » est une lâcheté
diplomatique parce que la politique de la chaise vide est un aveu de faiblesse
dans le cadre des relations internationales ; c’est aussi une faute morale
car le président Touadéra ne peut oublier, en tant qu’ancien premier ministre,
la contribution des pays voisins pour solder les arriérés des traitements et
salaires des fonctionnaires centrafricains ces dernières années, ainsi que leur
contribution militaire à toutes les différentes opérations de maintien de la
paix, de l’Union africaine ou de l’Onu. De plus, s’agissant d’un pays enclavé,
la RCA est totalement dépendant de la bonne volonté de ses voisins pour son
commerce avec l’extérieur. La République centrafricaine n’est pas Cuba !
(9) – Formons le vœu que les chefs d’Etats
africains qui ont participé à ces cérémonies de commémoration ont plaidé pour
que les carrés des militaires africains tombés au champ d’honneur pendant la
Grande Guerre soient entretenus avec tous les soins et égards que mérite le
sacrifice de leur vie ; ce qui n’est pas le cas en maints
cimetières !