Centrafrique : le départ du ministre des affaires étrangères rétrécit la majorité présidentielle et porte un coup fatal à la politique de désarmement concerté.

 

Clap de fin pour le ministre des Affaires étrangères et des Centrafricains de l'étranger, Charles Armel Doubane, relevé de ses fonctions par un décret du président de la République Faustin Archange Touadéra.

Le ministre, qui n'a pas assisté au défilé du 1er décembre 2018, à l'occasion des cérémonies du soixantième anniversaire de la fête nationale a été remercié. Certes, on attend d'un ministre qu'il apporte sa solidarité à l'action du gouvernement auquel il appartient. Mais le massacre de soixante personnes civiles, dont deux prêtres catholiques, était encore dans toutes les mémoires et aurait pu lui servir d'excuse.

Le mouvement cœurs unis, le parti présidentiel, avait déjà marqué sa désapprobation, en dépêchant une cinquantaine de partisans manifester sous les fenêtres du ministre récalcitrant.

Cette décision vient mettre un terme à une situation ubuesque. Tout le monde sait en effet que le véritable ministre des Affaires étrangères en Centrafrique a son bureau à la présidence de la République, en la personne du directeur de cabinet de Faustin Touadéra.

 

1 – Une majorité présidentielle en perte de vitesse.

 

Il faut cependant le reconnaître, le départ de M. Doubane porte un coup sévère à la majorité présidentielle issue des élections présidentielles de mars 2016. En effet, après l'éviction du gouvernement du fantasque ministre de la défense nationale Joseph Yakité (0,50 % des voix), le retrait du ministre de la sécurité publique Jean-Serge Bokassa (6,06 %) au profit du général cousin du président, la destitution de Karim Méckassoua (3,21 %) de la présidence de l'Assemblée nationale, la prise de distance de Martin Ziguélé (11,43 %), président du Mouvement de libération du peuple centrafricain, et l'éloignement de Charles Armel Doubane (3,33 %), la majorité présidentielle se réduit comme peau de chagrin.

Élu avec 62, 4 % des suffrages exprimés au deuxième tour, le président Touadéra ne pèse plus que  37, 59 %  du corps électoral, soit les 19,05 % de ses partisans du premier tour, auxquels il faut  ajouter les poussières de voix d'une myriade de petits candidats sans envergure, comptabilisant les opportunistes du KNK, le parti de l'ancien président déchu François Bozizé ! (1)

 

Privée de ses premiers et anciens soutiens, la chrysalide Touadéra, qui laissait espérer un printemps centrafricain en mars 2016, est devenue une chenille urticante en cette fin d'année 2018. On comprend dès lors que cette majorité exsangue et étriquée se crispe, se sectarise, s'ethnicise, et se sanctuarise. Malheureusement, cette radicalisation arrive au mauvais moment pour l'hydre à quatre têtes qui dirige actuellement le pays.

 

Ce raidissement survient alors que le Conseil de sécurité de l'ONU prolonge, jusqu'au 19 novembre 2019, le mandat des forces de maintien de la paix de la Minusca, sur la base de la résolution 2848 de l'Organisation des Nations unies. Cette prorogation souffre trois conditions et une menace (2).

 

2 – Une politique machiavélique et fourbe.

 

La radicalisation du mouvement Cœurs unis survient également à un moment où est diffusé, sur les réseaux sociaux, un échange téléphonique entre le président Touadéra et un chef rebelle de l'ex alliance Séléka. Au cours de cet entretien, le chef de l’État centrafricain assure son interlocuteur de sa volonté à ne pas engager les forces armées centrafricaines sur le terrain pour reconquérir les territoires sous contrôle des groupes insurrectionnels et lui propose, pour lui et ses éléments armés, l'intégration dans l'armée nationale !

En sa qualité de Chef suprême des armées, la prise de position de M. Touadéra interroge :

 

-        soit, il est persuadé du non engagement sur le terrain des FACA, et son attitude relève de la haute trahison – on se demande alors pourquoi faire tant de vacarme pour la levée de l'embargo sur les armes, la formation des soldats des brigades amphibies ou des forces spéciales, voire la haine attisée à l’encontre de la France - ;

-        soit le président ment délibérément et souhaite endormir la vigilance ou la défiance de son interlocuteur, auquel cas il met en danger la sécurité de ses concitoyens de la population civile, qui n'auront pas été préparées à prendre les précautions pour leur protection propre.

 

La politique machiavélique de Faustin Touadéra expose la RCA à des lendemains qui déchantent. En se rendant ce jour, lundi 17 décembre 2018, à Paoua pour lancer le processus de DDRR (désarmement, démobilisation, réinsertion et rapatriement), le chef de l’État sait qu'il n'est plus le maître du jeu :

 

-        la Russie s'est abstenue lors du vote du Conseil de sécurité sur la prolongation du mandat de la Minusca, avec la certitude d'avoir mis sous tutelle les pouvoirs publics centrafricains ;

-        la prorogation de la Résolution 2848, qui réaffirme la protection essentielle des populations civiles, ferme la porte à toute conférence de paix portée par les Russes et le président soudanais Omar Béchir ;

-        la Feuille de route de l'Union africaine devient ainsi le seul processus de résolution du conflit, d'où la traduction des chefs anti-Balaka devant la CPI, en attendant le tour des Francis Bozizé, Noureddine Adam, Abdoulaye Hissène, Ali Darrassa, et tutti quanti.

 

Certes, la politique n'est pas une science exacte et, en l'occurrence, les mêmes causes ne produisent pas toujours les mêmes effets. Toutefois, l'actuel président centrafricain doit se souvenir que le précédent coup d'envoi du programme DDRR de 2008, toujours à Paoua, sous l'égide du président Bozizé dont il était le Premier-ministre, avait été un échec cuisant. Il n'ignore pas les causes de ce précédent imbroglio, il en sera de même cette fois ci.

 

 

Paris, le 17 décembre 2018

 

Prosper INDO

Économiste,

Consultant international.

 

(1)   – Il y a là une opportunité que les partis membres de l'opposition démocratique doivent saisir pour inventer et inventorier une nouvelle stratégie de regroupement et de nouvelles modalités d'action. La même situation prévalait également en décembre 2012, sous le second mandat du président déchu François Bozizé, avec les conséquences désastreuses que l'on sait.

(2)   - Les trois conditions sont : la protection des civils, la validation de la Feuille de route de l'Union africaine et l'engagement des pouvoirs publics centrafricains dans le relèvement de l’État, la lutte contre l'impunité et le processus de rétablissement d'une paix durable. La menace est celle portée par le représentant américain au Conseil de sécurité, qui consiste à « rationaliser, revoir et mettre fin aux Missions de l’ONU qui ne favorisent pas une paix durable ».