Centrafrique : y-a-t-il encore un pilote dans
l'avion ?
Y-a-t-il encore un pilote dans l'avion centrafricain ? C'est la question qui vient à l'esprit depuis les dernières déclarations de Fidèle Gouandjika, ministre conseiller spécial du chef de l'Etat, et du député - on ose à peine écrire le mot – Dembélé, 2ème vice-président de l'assemblée nationale.
1 – Des actes de défiance et de
sédition.
Dans une séquence de son dernier « cours magistral » du 12 juin 2020, sans doute fâché des critiques et réactions négatives à son endroit, le ministre conseiller sort de ses gonds. Il met au défi ses supérieurs hiérarchiques de le congédier. En des termes peu amènes et en langage vernaculaire, il cite nommément le président de la République, le président de l'assemblée nationale et le premier ministre. Après avoir été Richelieu sous Patassé, Mazarin sous Bozizé, Fidèle Gouandjika se pose désormais en Régent tutélaire sous Touadéra !
De son côté, dans une intervention sur les ondes de la radio nationale centrafricaine, le deuxième vice-président du parlement, que l'on peine à appeler « Honorable », considère la décision de la Cour constitutionnelle à l'encontre du projet de modification de la loi fondamentale, comme un avis non contraignant pour les députés. Il ramène ainsi la haute juridiction au rang d'un vulgaire organe consultatif !
Face à ces deux dérapages, qui sont autant d'actes séditieux, les têtes de l'exécutif et du pouvoir législatif jouent les singes de Sinzu : ne rien entendre, ne rien voir et ne rien dire !
En la circonstance, le silence du pouvoir est un aveu de faiblesse et de pusillanimité.
2 – Entre tripatouillages, cafouillages et
autres confusions.
Cette absence totale de de réaction de la part des autorités politiques génère plusieurs conséquences :
- les agents électoraux qui doivent entrer en fonction s'adressent directement auprès des sections locales de la Minusca pour prêter serment, et non auprès du tribunal de compétence de leur juridiction ;
- le président de la République, pris dans la bourrasque du Covid-19, invoque la miséricorde divine pour protéger le peuple centrafricain, au lieu de prendre les mesures indispensables recommandées par l’OMS au plan sanitaire (1) ;
- les deux groupes armés 3R et UPC ont signé le 17 juin 2020 un projet de collaboration « qui se veut avant tout politique et vise à explorer les moyens ; qui par des synergies communes ; sont destinées à bénéficier à la communauté peuhl dans son ensemble » (2) ;
- le bureau de l'ANE, comme à son habitude, fait l’âne et reporte sine die le processus électoral qui doit conduire aux élections présidentielles et législatives du 27 décembre 2020, à l'heure même où l'assemblée nationale est convoquée en session extraordinaire pour débattre du projet de loi organique portant composition, organisation et fonctionnement de l’autorité nationale des élections ;
- les députés ainsi réunis décident de boycotter le discours d'ouverture du président de l'assemblée nationale et quittent l'hémicycle, au risque de retarder un peu plus un processus électoral déjà encalminé ;
- pendant ce temps, le président Touadéra se rend, le 10 juin 2020, en voyage privé au Burkina-Faso pour la réalisation d’un projet personnel dans l'immobilier, donnant ainsi corps aux critiques selon lesquelles son centre d'intérêt se trouverait hors le Centrafrique (3);
- le Conseil de sécurité de l'Onu s'enferme dans l'aveuglement d'une situation sécuritaire qu'il croit apaisée, en soutenant mordicus un pouvoir en fin de vie (4).
Tous ces désordres entretiennent tripatouillages, cafouillages et confusions.
3 – Il faut reprendre les choses en
main.
Prenant acte de tous ces désordres, certains réclament une nouvelle transition politique – incongrue –. D'autres proposent l'ouverture d'une nouvelle consultation populaire à la base – anachronique –. En réalité, l’actuelle situation appelle une considération générale et trois hypothèses de travail.
La considération générale porte sur l’incapacité permanente de l’ANE à remplir ses missions : organiser des élections crédibles dans les délais prescrits par la constitution. Depuis la mise en place, en 1990, de la commission électorale mixte indépendante (CEMI), l’ancêtre de l’actuelle autorité nationale des élections, cette structure s’avère dispendieuse au plan budgétaire, inefficace au plan opérationnel, et inutile au plan logistique et organisationnel (5).
Le premier scénario s’inscrit dans le cadre d’une élection présidentielle qui se tient dans les délais prescrits, c’est-à-dire le 20 décembre 2020, l’agence nationale des élections réussissant à surmonter ses handicaps initiaux, sous le forceps du comité stratégique d’appui au processus électoral (CSAPE).
Le second scénario de travail repose sur l’hypothèse – prévisible - où le président sortant est candidat à sa propre réélection. Dans cette configuration, si les élections présidentielles n’ont pas lieu avant le terme de son mandat, le 30 mars 2021, l’actuel président doit se démettre. Il est fait application des dispositions de l’article 47 de la constitution. Le président de l’assemblée nationale assure l’intérim du chef de l’Etat et doit conduire les élections dans les 45 jours au moins de sa prise de fonction, son mandat de député n’arrivant à son terme qu’au 30 mai 2021. Si à cette date, un nouveau président n’est pas élu, l’intérimaire préside mais ne gouverne plus ; il appartient alors au premier ministre, chef du gouvernement, de conduire le pays aux élections présidentielles.
Le troisième scénario de travail concerne l’hypothèse – saugrenue - où le président sortant n’est pas candidat à sa propre réélection. Dans cette occurrence, il reste en place mais ne gouverne plus. L’essentiel des pouvoirs réglementaires est confié à un premier ministre de consensus, désigné par l’ensemble des partis politiques représentés à l’assemblée nationale, lesquels fixent également la date butoir pour l’élection d’un nouveau président de la République et d’une nouvelle assemblée nationale, par exemple, le 31 juillet 2021 par exemple. Cette disposition permet d’éviter une crise politique majeure. C’est ce que préconise la Cour constitutionnelle.
C’est à l’évidence la seule manière de sortir du désordre ambiant actuel !
Paris, le 30 juin 2020
Prosper INDO
Economiste,
Consultant international.
(1) – Priant le Seigneur, « Dieu après qui
il n’y a pas d’autre Dieu, Toi qui m’a choisi pour présider aux destinées de la
République centrafricaine, ce beau pays », le président Touadéra, dans une
supplique que ne renierait pas le Cardinal Nzapalainga, invite les
Centrafricains à prier Dieu de « guérir notre pays de tous les maux qui le
minent et de ce fléau qu’est le Covid-19 ». Dans un Etat laïc cette
supplique sonne comme un aveu d’impuissance. En l’occurrence, la miséricorde
divine a un nom scientifique, la sélection naturelle !
(2) – C’est un retour aux traditions de l’époque
esclavagiste des sultans Rabah et Senoussi, d’autant que les deux signataires de
cette déclaration d’entente affirment par ailleurs que cette alliance a pour but
de mettre « en commun des expériences liées à l’élevage ; notamment
avant la prochaine période de transhumance et en corrélation avec la mise en
place des USMS ; devrait sans nul doute apporter des solutions locales et
améliorer le contexte sécuritaire qui chaque année connaît à cette période des
pics sensibles ». On pensait que cette question était déjà réglée avec la
mise en place d’une unité spéciale de protection des transhumances (cf. Prosper
INDO : Le bétail c’est aussi de l’argent).
(3) – En dépit de la pandémie du coronavirus et
de la fermeture des frontières internationales, le président Touadéra s’est
rendu en jet privé au Burkina Faso, pays affecté par le terrorisme, pour
l’acquisition d’une propriété immobilière, dont le caractère spéculatif
n’échappe à personne, en contrepartie d’attribution de marchés publics au
bénéfice de la société burkinabè de BTP, EBOMAF !
(4) – La dernière réunion du Conseil de sécurité
consacrée à la RCA (cf. lettre du secrétaire général du 29 juin 2020 au
président de l’assemblée générale des Nations unies), a connu quelques
rebondissements, eu égard à la prise de position ferme de certains membres non
permanents, comme la Belgique, qui ont appelé à la mise en œuvre des sanctions
prévues à l’article 35 de l’accord
de Khartoum du 6 février 2018. Cette recommandation laisse espérer des actions
vigoureuses à l’encontre de certains groupes armés, dont le 3R, qui ne
respectent pas leurs engagements.
(5) – De fait, l’inutilité de l’ANE est actée
par la création début 2020 d’un comité stratégique d’appui au processus
électoral (CSAPE), présidé par le premier ministre, qui comprend en outre les
représentants diplomatiques de la France, de la Russie, de la Chine,
etc.
(suite… à la prochaine livraison)