L’après sommet franco-africain de Montpellier.

 

L’après sommet franco-africain de 
Montpellier (8 Octobre 2021)

La réunion de Montpellier  organisée le 8 octobre 2021 fit au moins trois victimes :

-        les jeunes africains intervenant au nom de la société civile qui sont traités comme des traîtres et dont on se moqua plus de leur accoutrement que d'écouter leur message. Le proverbe dit : « montrez du doigt la lune, l'idiot fixe le doigt et ne voit pas la lune » !

-        l'historien camerounais Achille Mbembé est la seconde victime expiatoire, brûlée sur la place publique par ceux-là qui aurait dû ou soutenir ou applaudir l'initiative, Calixthe Béyala, Gaston Kelman et Jean Folly (architecte des solutions informatiques) ; ils jetèrent sur lui anathème et bordée d'injures, à se demander s'ils ont pris la peine de lire les 140 pages de son plaidoyer ;

-        le président français Emmanuel Macron enfin, l'architecte habile de ce sommet, dont les pourfendeurs ci-dessus nommés ne retiennent que l'arrogance et le mépris.

A l'inverse, on doit s'étonner du silence éloquent de la presse française qui, mise à part quelques entrefilets annonçant la réunion et ses résultats, fut d'une totale discrétion, laquelle confine au boycott. Pourquoi ce déferlement de violence, plus morale que physique, à travers les mots plus qu'en actes ? Le passé sans doute.

 

1 – Avant Montpellier.

Le sommet France/Afrique de Montpellier est le premier du genre, puisqu'il ne réunit que les représentants de la société civile et du monde des affaires. Il a été précédé du traditionnel sommet des chefs d’État et de gouvernement, le 17 mai 2021 à Paris, ayant à réfléchir sur les moyens de financer l'économie africaine. On convint ici de mettre à disposition des pays africains, les droits de tirages spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international non consommés par les pays riches ; les restes de la table, somme toute.

-        Le péché originel.

Il tient en une formule : l'intangibilité des frontières africaines héritées du colonialisme. Inscrit dans les statuts de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) à sa création en 1963, cette disposition fut reprise par l'Union africaine (UA) en 1999 et consacre la balkanisation du continent en des entités géographiques informes. Ce péché originel explique les conflits internes actuels au sein des Etats, entre centralisme et autonomie, pour faire court. Il traduit aussi la mainmise des anciennes métropoles coloniales sur leurs pré-carrés respectifs.

-        La tentation néolibérale.

Elle naît à la suite du discours du président français François Mitterrand, lors du sommet France/Afrique de La Baule, qui conditionne l'aide internationale, au multipartisme sur le plan politique, et l'ouverture aux principes du marché au plan économique. Le résultat de cette stratégie est double : la multiplication jusqu'à l'overdose des partis politiques sans doctrine ni vision, et la confiscation des rentes issues de l'exploitation des ressources naturelles au profit des entités multinationales privées. Les conséquences sont innombrables : pauvreté, misère, migrations volontaires, conflits inter communautaires ou confessionnels d’un côté ; multiplication des organisations humanitaires non gouvernementales de l’autre côté.

-        Les réponses de la communauté internationale.

A ces tourments et autres « concernements collectifs », au sens de Serge-Christophe Kolm, la communauté internationale oppose une double réponse : la dévalorisation des leaders locaux tenus pour incompétents et corrompus, auxquels on impose des plans drastiques d'ajustements structurels  et de rigueur budgétaire, dans les services publics de proximité d'une part et, d'autre part, l'envoi de forces militaires étrangères dites de maintien de la paix qui n'ont d'autre souci que le maintien du statu quo (Haïti, Liban, RDC, RCA, Soudan du sud, Mali, etc.)

Pour le continent, c’est le dilemme du prisonnier.

 

2 – Après Montpellier.

L’après sommet de Montpellier est circonspect. Même le principal promoteur n’en parle plus guère. Dans ses vœux de fin d’année 2021, Emmanuel Macron ne s’est pas appesanti sur les résultats de cette rencontre avec la jeunesse du continent africain. Le président français s’est au contraire contenté de la sempiternelle formule classique relative à la stabilité globale des Etats de la région.

-          L’engagement français.

Prenant la parole à la fin du sommet de Montpellier, le président français a pris trois engagements, comme contribution de la France : l’amélioration et à la modernisation des sports en Afrique, le financement de microprojets portés par la société civile africaine, et l’amélioration de la gouvernance ! Soit un engagement global de 100 millions d’euros. On est loin des six milliards d’euros si le pays portait sa contribution à l’aide publique au développement à 0,70 % de son PIB, ou consacrait l’intégralité du montant de la taxe de 1 % sur les billets d’avion à cette occurrence. La France est le moins disant des pays membres du G.7. En la matière, elle fait son Tartufe !

-          Le parapluie européen.

Pour répondre aux besoins de l’Afrique et, concurremment, faire échec aux tentatives de nouveaux partenaires ou acteurs qui investissent massivement dans le continent (Chine, Brésil, Inde, Turquie, Russie), l’Union européenne promet 150 milliards d’euros d’investissements financiers, publics et privés, dans les infrastructures : énergies renouvelables, transports, production de vaccins, éducation et internet. C’est le projet Global Gateway destiné à faire concurrence à la stratégie chinoise des Nouvelles routes de la soie. Sa déclinaison est prévue à l’horizon 2030 et les modalités de sa mise en œuvre sont envisagées à partir de ce jeudi 17 février 2022 à Bruxelles. Or, avant même la tenue de ce conciliabule, la France s’était déjà engagée au côté de la Chine pour porter six projets en Afrique, d’une valeur de 1,2 milliards d’euros, dont le projet d’assainissement des eaux usées de Dakar, au Sénégal ! La France se sert du parapluie européen pour avancer masquée.

-          En finir avec les injonctions paradoxales.

Ces injonctions prennent la forme de l’adage bien connu : faites ce que je dis, pas ce que je fais. Le dernier exemple en date prend la forme d’un conseil adressé à des pays comme le Maroc, le Kenya ou l’Ethiopie, auxquels l’Europe demande de se lancer dans la culture du cannabis à vocation médicale ou du chanvre biologique, comme si la vocation exclusive des pays africains est l’économie de rentes. On rappelle qu’en Afrique équatoriale française, l’administration coloniale avait interdit la culture du chanvre pour favoriser le cigarettier Bastos, à une époque où seuls les vieux en bourraient leur pipe, le soir venu, pour lutter contre leurs crises chroniques d’insomnies !

 

3 – Quelle stratégie pour demain.

Les crises politico-sécuritaires en RDC, au Sud-Soudan, en RCA, au Mali, en Guinée, au Burkina-Faso ou en Ethiopie, voire au Mozambique, viennent contredire la stratégie géopolitique et géostratégique de la France et de l’Union européenne sur le continent.

-          Voilà pourquoi Achille Mbembé a tort :

C’est à croire qu’Achille Mbembé a succombé au charme machiavélique et manichéen du président Emmanuel Macron. Il aurait dû se méfier. De l’Afghanistan à l’Irak, en passant de la Lybie à la Syrie, l’Occident présente toutes les caractéristiques toxiques de son homophone ; il corrompt et tue tout ce qu’il touche. C’est la logique de l’esprit impérial, sa marque de fabrique ! Pourtant, Achille Mbembé lui-même le reconnaît : il en est des peuples et des nations comme de tous les vivants, la fonction de respiration est essentielle ; d’où sa revendication pour un « droit universel à la respiration ». Au moment où le sommet UE/UA de Bruxelles tire à sa fin, ce vendredi 18 février 2022, il est temps de réclamer ce droit pour l’Afrique.

-          Dès lors,  Achille Mbembé a raison :

Le 20 août 2020, sous le titre Respiration, j’écrivais ceci : « La République du Mali était dans la même configuration que Georges Floyd. Malgré la présence depuis 2014 de la mission intégrée des Nations unies pour la stabilisation du Mali (MINUSMA), et des éléments militaires français de l’opération Serval (2002) puis Barkhane (2013), le peuple malien étouffait mais a refusé de mourir. Après deux mois de manifestions populaires, réclamant sans succès la démission du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), l’armée a pris le pouvoir pour permettre au peuple de souffler. Respiration ! C’est ce qui s’est passé aussi en Guinée d’abord, au Burkina-Faso ensuite.

Dans ce contexte, le moment est venu, pour ses trois pays, de former la Fédération des Etats riverains du fleuve Niger ; les autres Etats membres de la CEDEAO les rejoindront par aspiration. Pour les autres pays du continent, les regroupements se calqueront dans un premier temps autour des « bassins de médiation » que sont l’Atlas, le Congo, le Nil et le Zambèze d’une part, et dans un second temps, en une entité unique autour des principes qui fondent l’Afrique : égalité, solidarité et hospitalité.

L’heure est venue de penser l’Afrique comme une entité globale, au plan géopolitique et géostratégique, dans l’esprit du « Bloc de Casablanca », et d’en finir avec l’esprit servile qui anime le « Groupe de Monrovia », dont la Côte d’Ivoire est encore aujourd’hui la figure de proue.

 

Paris, le 20 février 2022

 

Prosper INDO

Economiste,

Consultant international.