La RCA et le
spectre du syndrome haïtien.
Le 31 juillet dernier, le Conseil de sécurité de l'ONU a prorogé d'un an l'embargo sur les armes imposé à la République centrafricaine depuis 2013, à l'initiative de la France. Cette décision place la RCA sous tutelle et fait planer sur elle le spectre du syndrome haïtien.
Certes, comparaison n'est pas raison, mais la similitude entre ces deux pays est trop forte pour ne pas y voir quelques ressemblances et tirer des leçons, à défaut de solutions.
1 – Le syndrome haïtien.
Ayiti – de son nom africain – conquiert son indépendance le 18 novembre 1803, lorsqu'une armée d'esclaves, conduite par Dessalines – le patronyme est lui-même un signe du destin – terrasse la plus puissante armée conventionnelle du monde de l'époque, celle de Napoléon. C'est la bataille de Vertières, remportée par l'armée indigène après 11 heures de combat (1).
Les Haïtiens durent s'acquitter de la somme de 150 millions de franc-or, à titre d'indemnisation des colons esclavagistes, pour que l'indépendance du pays soit reconnue par le roi de France, Charles X. Depuis cette date, Haïti résiste !
Il se verra occupé par les Américains, d’abord par les planteurs esclavagistes du sud en 1850 qui financèrent le rétablissement de l’esclavage, puis en 1914, par le débarquement de 30 000 Marines qui occupèrent le pays et tentèrent de rétablir le travail forcé et la ségrégation. Haïti se libérera toujours, après moult révoltes populaires et mouvements sociaux. L’instabilité politique s’installe jusqu’en 1956. En 1957, un pouvoir bicéphale s'installe : le pouvoir politique aux noirs, les plus nombreux, et le pouvoir militaire aux mulâtres. Pour se neutraliser, les forces en présence créent, chacune, sa propre milice : Tontons Macoutes, Chimères, etc.
Haïti s'enfonce dans la dictature, ponctuée de coups d’État, et dans la violence.
Pour départager les forces en présence, l'ONU s'invite en 2004 (MINUSTHA) et opère selon un schéma convenu : désarmement, démobilisation, réinsertion, le fameux DDR ! L'outil est inopérant : les forces en présence sont des gangs, des délinquants en bandes organisées, et non des armées conventionnelles. Les financements des Nations unies servent donc à faire prospérer la violence, au lieu d'être consacrés aux infrastructures et aux services publics de base (éducation, santé, transport, logement). Des milliers, voire des millions, de Haïtiens s'exilent pour vivre mieux.
Le 7 juillet 2021, le président en exercice Jovenel Moïse, qui gouverne depuis 2017 comme un potentat (2), est assassiné par un groupe de mercenaires.
2 – En RCA, le président Touadéra peut être
poursuivi pour crime de haute trahison.
Après le syndrome de l'opération Barracuda, qui renversa l'empereur Bokassa en septembre 1979 pour ramener David Dacko au pouvoir, le Centrafrique est menacé par le syndrome haïtien. Depuis cette date en effet, les régimes politiques qui se succèdent au pouvoir d’État, se sont affirmés, maintenus et ont prospéré par milices privées interposées, jusqu'à la prise du pouvoir par l'alliance Séléka en mars 2013. La situation pré-génocidaire, qui prévaut alors, entraîne l'intervention de l'armée française d'abord (Opération Sangaris), puis l'interposition des casques bleus de l'ONU (MINUSCA). Depuis, un programme DDR est institué, une transition instaurée et des élections démocratiques organisées en décembre 2015.Le président élu, au deuxième tour de scrutin, Faustin-Archange Touadéra, est un ancien Premier ministre du président François Bozizé. C’est un homme du sérail. Réélu, dès le premier tour, aux élections du 27 décembre 2020 pour un second mandat, il gouverne par mimétisme de ses anciens protecteurs (Ange-Félix Patassé et François Bozizé), à travers son parti, le Mouvement des Cœurs unis (MCU), et ses milices privées (les Requins, Talitha Khoum, la Galaxie nationale centrafricaine). Ces dernières sont armées et menacent l’intégrité physique et morale des opposants politiques et de leurs familles. Au lieu de sanctionner et dissoudre, le chef de l’Etat centrafricain cautionne, conforte et entretient, au risque d’être poursuivi pour crime de haute trahison, au titre de l’article 124 de la Constitution du 30 mars 2016 (3).
3 – Pour une stratégie d’émancipation et de
rupture.
A l’inverse, jouissant de leur droit de veto exorbitant au sein du Conseil de sécurité, la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont fait voter le 31 juillet 2021 la prolongation de l’embargo sur les armes, pour une durée d’un an. Cette stratégie va faire prospérer les groupes armés et les milices privées, comme à Haïti !
Pour justifier cette « politique de l’inimitié » à l’endroit du peuple centrafricain, le ministre français de l’Europe et des affaires étrangères, Yves Le Drian, a cette formule : « En RCA, il y a une forme de captation du pouvoir, et en particulier le pouvoir militaire, par des mercenaires russes ». En guise de représailles, la France prend deux mesures fortes, qui sont autant de sanctions :
- elle met fin à la coopération militaire ;
- elle suspend la coopération économique et réduit drastiquement son « aide financière » au budget de l’Etat centrafricain.
Le gouvernement de M. Henri-Marie Dondra, le nouveau Premier ministre nommé le 15 juin dernier, aurait tort de croire à la bienveillance de Paris en faisant profil bas et le dos rond. C’est négliger la personnalité narcissique du président français, qui se pense irrésistible, physiquement, intellectuellement et psychologiquement. Déjà, le gouvernement français met en œuvre son pouvoir d’influence au sein de la communauté internationale et sa stratégie de déstabilisation à travers la « mafia des médias ».Il importe désormais de rompre avec « l’esprit servile » qui anime les autorités politiques centrafricaines depuis si longtemps (4).
La stratégie de la rupture suppose, après le prolongement de l’embargo sur les armes, de demander le non renouvellement du mandat de la MINUSCA, qui arrive à échéance en novembre 2021. Au demeurant, la RCA ne dispose plus du droit de vote au sein des Nations unies, et sa ministre des affaires étrangères est interdite de prise de parole devant le Conseil de sécurité. Il convient de ne pas oublier que l’adhésion à l’organisation des Nations unies est un acte volontaire. Ce denier n’est ni immuable, ni perpétuel, ni intemporel.
La stratégie de l’émancipation appelle une révolution des consciences : la coopération avec la France, pour historique et symbolique qu’elle soit, n’est pas une condamnation à la servitude et à la vassalisation. Dans les conditions actuelles, le refus de Paris à toute forme de collaboration s’apparente à une aide tacite aux ennemis du peuple centrafricain qui veulent prendre le pouvoir par les armes. Cette complicité objective implique de rompre les relations diplomatiques avec l’ancienne puissance coloniale et avec son bras séculier dans la région, le Tchad. Mais cette rupture serait « un cautère posé sur une jambe en bois » si elle ne s’accompagne pas d’une mesure forte, le retrait de la République centrafricaine de la zone franc CFA, quitte à créer sa propre monnaie, en attendant que la CEMAC ne se saborde et intègre la CEEAC, avec l’ensemble de ses institutions (5).
Paris, le 24 août 2021
Prosper INDO
Economiste,
Consultant international
(1) – Au contraire d’Austerlitz, de Wagram ou de
Waterloo, la bataille de Vertières ne figure dans aucun livre d’histoire, ni au
fronton de l’Arc de Triomphe, place de l’Etoile à Paris.
(2) – A la fin du mandat du président Jovenel
Moïse aucune des institutions de la République ne fonctionnait
régulièrement ; que ce soit la Cour constitutionnelle, l’Assemblée
nationale ou le Sénat. Elevé à la dignité de Grand protecteur de la Grande Loge
maçonnique d’Haïti, Jovenel Moïse est le cinquième président assassiné dans
l’exercice de ses fonctions.
(3) – L’article 124 est ainsi rédigé :
« Le président n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses
fonctions qu’en cas de haute trahison. Sont considérés comme crimes de haute
trahison, la violation du serment, les homicides politiques, l’affairisme, la
constitution et l’entretien de milice, le refus de doter les forces de défense
et de sécurité de moyens nécessaires à l’accomplissement de leur mission, la
violation de l’article 23, la non mise en place des institutions de la
République dans le délai constitutionnel, toute action contraire aux intérêts
supérieurs de la Nation ».
(4) – L’esprit servile n’est pas le contraire de
l’esprit impérial, tel que défini par Robert Gildéa dans son ouvrage
éponyme ; il en est la conséquence ultime. Le concept d’esprit servile
renvoie ici à la propension manifeste des pouvoirs publics centrafricains à
recourir à la figure tutélaire du Commandeur, la France hier, la Russie
aujourd’hui … La RCA pourrait éventuellement s’inspirer et tirer des leçons de
l’expérience malienne du président Modibo Keïta entre 1965 et 1967, expérience
stoppée par le coup d’état militaire du Colonel Moussa
Traoré !
(5) – cf. Bissengué Victor et Indo
Prosper : La RCA à la croisée des chemins, Ed. L’Harmattan, Paris,
2019.