La controverse de Bangui.

 

 

     A la manière d'un Donald Trump, le président des États-Unis d'Amérique qui s'est fait le chantre de sa propre communication sur Twitter, le conseiller spécial du président centrafricain, Fidèle Gouandjika, invite depuis trois semaines, chaque mercredi et samedi, les Centrafricains sur son mur Facebook. Celui qui étrenne le titre de ministre d’État, ce qu'il a été durant près de deux décennies sans discontinuer, révèle les dessous de la vie politique de la République centrafricaine. Il s'inscrit ainsi dans la lignée d’un duc de Saint-Simon, chroniqueur en son temps de la vie de Cour sous l'ancien régime.

 

1 – Les témoignages d’un repenti.

     Fidèle Gouandjika s'autoproclame « le gardien de la mémoire collective centrafricaine » et, sans attendre d'écrire ses propres mémoires, s'exhibe en donnant des conférences murales appelées « cours magistraux ». La formule a du succès et compte désormais de nombreux aficionados.

Qu'importe les erreurs de dates ou la chronologie fantaisiste de certains faits, l'homme ne prétend pas faire œuvre d'historien. Il raconte, à sa manière faconde et gourmande, à la mode d'un griot d'autrefois, les comportements criminels ou les attitudes délictuelles des personnalités qui gouvernent aux destinées de la RCA depuis l'indépendance. Il ne le fait pas en observateur extérieur et éclairé, mais en acteur ayant conscience d'avoir participé à toutes les dérives égotiques et les manœuvres dilatoires pour confisquer le pouvoir, tout le pouvoir, au détriment du peuple. Il met en évidence les pratiques quasi mafieuses instruites par la classe politique centrafricaine, la plus bête et la plus corrompue de la terre !

La liste des méfaits est longue : prévarications, détournements de fonds publics, prises d'intérêts, abus de confiance ou d'autorité, abus de biens sociaux, népotisme, favoritisme, tribalisme, corruption passive et active, intimidation, menaces de mort, assassinats, etc. Les régimes politiques qui se succèdent à la tête du pays n'en sortent pas grandis (1). En la circonstance, Fidèle Gouandjika se comporte en polémiste qui fait œuvre utile de salubrité publique. Il invite à une catharsis sociale destinée à purger la société centrafricaine de tous ces parasites, comme un médecin administre un vermifuge à un patient aux intestins encombrés d’ascaris.

 

2 – Les prestations de Gouandjika déclenchent le tumulte des « idiocrates ».

     Las ! Au lieu de prendre le pari d'un silence méprisant ou celui d'ester en justice pour exiger réparation pour quelque dénonciation calomnieuse ou diffamation, les membres de « l'idiocratie » ainsi désignés s'évertuent à couvrir le repenti Gouandjika sous des tombereaux d'injures et d'insultes (2). Se parant des titres de grandes dames ou de beaux messieurs, les uns et les autres s'échinent à nier les conséquences de leurs actes passés : tout le pays vit en dessous du seuil de la grande pauvreté avec moins de 1,20 € par jour ; 90 % du territoire est sous contrôle de différents groupes armés qui disputent à l’État taxes, impôts et trafics de diamant ; ce qui reste de la fonction publique survit, pour son salaire, grâce à la générosité des pays africains voisins ; et les populations ne doivent leur survie qu'à la bienveillante aide humanitaire européenne !

Dès lors, comment prétendre encore gouverner demain ce pays ? Ils sont pourtant nombreux, anciens premiers ministres et ministres, à s'organiser en kakistocratie (le gouvernement des personnalités les plus incompétentes, les plus imbéciles et les plus cupides) pour persévérer.

C'est ainsi, qu'au mépris de la morale et du droit, l'actuel président en exercice, Faustin Archange Touadéra a tenté de modifier la constitution afin de différer la fin de son premier mandat (3). Le Covid-19 est érigé ici en force majeure ! Le président devrait prendre garde à ce que son conseiller spécial ne devienne son Raspoutine.

 

3 – La campagne électorale a déjà commencé.

     Les cours magistraux du « professeur » Gouandjika ne visent qu’un seul objectif. Il s’agit de poser les premiers argumentaires de la campagne présidentielle à venir, en ciblant les principaux adversaires politiques de l'actuel président en exercice de la RCA. Il passe en revue les différents régimes politiques depuis Barthélemy Boganda, le père fondateur de la nation centrafricaine, en passant par David Dacko, Jean-Bedel Bokassa, André Kolingba, Ange Félix Patassé, François Bozizé, en particulier ; tous qualifiés d’avoir été les présidents d’une « République bananière » !

Fidèle Gouandjika qui se proclame « docteur sur le tas en politique et économie », ne l’est sans doute pas en droit. En effet, si tel était le cas, il aurait su que les crimes et délits dont il se fait l’écho sont, soit prescrits, soit amnistiés, soit couverts par une action judiciaire éteinte (4).

Seuls demeurent passibles de poursuite les crimes et délits commis à partir de 2010, pendant la présidence du général François Bozizé, dont le président Touadéra était alors le premier ministre, de janvier 2008 à décembre 2013.

Le chef du gouvernement de l’époque, qui n’avait ni démissionné ni ne s’était formellement désolidarisé des méfaits commis, est moralement responsable et juridiquement complice de ces crimes et délits qui « vivent » encore (5).

 

4 – La figure emblématique de l’impunité totale.

     Faustin Archange Touadéra est l’héritier direct des pratiques mafieuses érigées en méthodes de gouvernement par l’ancien président François Bozizé. La preuve, les pratiques dénoncées par Fidèle Gouandjika n’ont pas disparu. Par exemple, aujourd’hui encore, les conseils de ministres programmés à 11 heures, ne démarrent pas avant 13 ou 16 heures !

Pis, les détournements de fonds publics et les mauvais comportements se sont multipliés. Ils ont commencé avec l’affaire du « sextape » du ministre des mines. Ils se sont poursuivis avec les détournements de fonds relatifs à la gestion du PGA des militaires au sein du ministère de la défense nationale. Ils concernent ensuite la corruption du président de la Commission ressources et production de l’assemblée nationale par des sociétés chinoises d’exploration diamantifère.

La Haute autorité chargée de la bonne gouvernance (HACBG) s’est émue de toutes ces dérives dans son rapport annuel rendu public en février 2020. N’ayant ni pouvoir d’injonction ni de sanction, cette institution ne peut qu’en appeler à l’opinion publique. L’impunité est donc totale. Le président en exercice figure en est la figure emblématique : cosignataire de l’accord politique pour la paix et la réconciliation en Centrafrique de Khartoum, qui officialise l’arrivée au pouvoir des responsables des groupes armés, il tombe sous le coup des dispositions de l’article 28 de la constitution (6). Elles devraient le dissuader de se représenter.

La classe politique centrafricaine étant incapable de faire sa « révolution culturelle », par inertie et esprit du lucre, les élections générales de 2020-21 doivent être l’occasion d’abattre le système tel qu’il existe et fonctionne actuellement. Il ne s’agit pas seulement de remplacer des hommes et des femmes qui ont failli. Il est question de renverser une manière de penser, une manière d’être et une manière de faire.

 

Paris, le 10 juin 2020

 

Prosper INDO

Économiste, consultant international.

 

(1) – Mettre sur le même pied d'égalité des régimes aussi différents que ceux de David Dacko, d'Ange Félix Patassé ou François Bozizé, relève d'un simple exercice de style, si ce n'est de la paresse intellectuelle. Il n'y a rien d'équivalent entre l'exécution du capitaine Jean Obrou à la suite d'un coup d'état rat ; le décès du docteur Conjugo à l'occasion d'une manifestation publique ayant mal tournée ; l'assassinat du colonel Grélombé et de son fils, le sergent Martin ; ou le meurtre sous la torture suivi du recel de cadavre du médecin-colonel Charles Massi.

Il en va de même des différents crimes économiques commis par ou sous chaque régime. En particulier, on ne peut pas reprocher à Barthélemy Boganda d'être resté silencieux ou inerte lorsque les Oubanguiens étaient obligés au travail forcé sur le chantier de la construction du chemin de fer Congo-Océan, entre 1921 et 1934. Le père fondateur de la RCA étant né en 1910, il n’avait que 11 ans lors du démarrage des travaux et était encore étudiant au grand séminaire de Yaoundé à la fin du chantier. Boganda n'a regagné Bangui qu'en 1937. Il ne s'engagera en politique qu’en 1946, après le vote de la loi-cadre de Gaston Defferre, sous la bannière du MRP ! En rupture de ban avec ce parti, il créera son propre parti politique, le MESAN qu’en septembre 1949.

On pourra en revanche reprocher à Fidèle Gouandjika une certaine complaisance vis-à-vis de l'actuel hôte du Palais de la Renaissance, le président Touadéra, un proche parent !

(2) – On parle d’idiocratie pour désigner une société qui valorise et récompense les gens en fonction de leur manque d’intelligence. S’agissant de Fidèle Gouandjika, ses contempteurs n'hésitent pas à le traiter de fou ; ce qui devrait l'absoudre de tout jugement de valeur et condamnation. Ils oublient qu’en Afrique c’est tout le village qui prend soin du fou : il le lave, lui donne à manger et, au besoin, l’attache à un arbre lors de ses crises afin qu’il ne se blesse ou s’en prenne à autrui. De ce statut, Gouandjika lui-même en joue, et se pose presque en devin ; ses études supérieures en Roumanie l'auront peut-être convaincu de quelques dons d'ubiquité ou talent de médium. Lui qui se qualifie spontanément de Roi des transfuges, se voit déjà en conseiller du prochain président de la République … en 2026 ; ce qui laisse supposer que l'actuel président en exercice sera réélu pour un second mandat en 2021 !

(3) – Le vote des députés est intervenu le 30 mai 2020. Le résultat était acquis car chaque parlementaire aura reçu une enveloppe de 2 500 000 francs CFA pour émarger au bordereau du scrutin ! Il se trouve que la Cour constitutionnelle a dès le vendredi 5 juin 2020 émis un avis défavorable au dit projet de loi, renvoyant ainsi les parlementaires et le gouvernement à leurs chères études de droit.

(4) – La mise en cause d’un ancien grand commis de l’Etat, dans l’affaire dite des déchets toxiques, est à la fois une faute morale et une erreur politique. L’intéressé avait saisi la justice et porté plainte contre le périodique La Lettre du Continent, affaire plaidée avec succès par Maître Zarambaud pour le franc symbolique. C’est donc une dénonciation mensongère et calomnieuse, alors que l’action judiciaire est éteinte. D’autant que la personnalité concernée fait partie de ces hommes et femmes qui ont servi la RCA avec rigueur et honnêteté, sans s’enrichir, ouvrir un compte en Suisse ni acheter un château en France ou un pavillon à l’étranger !

(5) – Il appartient à Fidèle Gouandjika d’apporter les éléments de preuve dont il dispose à la connaissance du procureur de la République de Bangui ou à ce dernier d’ouvrir une information judiciaire contre X, pour la manifestation de la vérité, en procédant aux perquisitions nécessaires.

(6) – L’article 28 de la constitution du 30 mars 2016 dispose que « l’usurpation de la souveraineté par coup d’Etat, rébellion, mutinerie ou tout autre procédé non démocratique constitue un crime imprescriptible contre le peuple centrafricain.

Toute personne physique ou morale qui organise des actions de soutien, diffuse ou fait diffuser des déclarations pour soutenir un coup d’Etat, une rébellion ou une tentative de prise du pouvoir par mutinerie ou par tout autre moyen, est considéré comme co-auteur.

Les auteurs, co-auteurs et complices des actes visés à l’alinéa 1 et 2 sont interdits d’exercer toute fonction publique dans les institutions de l’Etat ».