La corruption centrafricaine au révélateur du diamant.

 

Le rapport de l'Institut Lavoisier de Bangui vient de livrer les résultats des investigations entreprises dans la région de l'Ouham où des sociétés chinoises de prospection diamantifère sont mises en cause. Il vient confirmer les conclusions de l'enquête parlementaire diligentée par l'Assemblée nationale, document contesté par le ministre des Mines qui lui dénie tout caractère scientifique, et lui reproche d'être fondé uniquement sur « des observations visuelles et des témoignages occultes ».

Le « rapport Lavoisier » apporte des preuves irréfutables d'un « désastre écologique » : les eaux de la rivière Ouham présente un taux de mercure quatre à vingt-six fois supérieur aux normes internationales admises. Ces résultats appellent trois observations :

 

1 – Le ministre des mines ne peut plus nier l'évidence et se contenter de demander aux entreprises mises en cause « la réhabilitation des sols et les forages d'eau potable », alors que c'est l'ensemble de la chaîne alimentaire de la région qui est contaminée. C’est toute la filière minière qui doit faire l’objet d’un audit. On pense au cratère à ciel ouvert que sont devenues les mines d’uranium de Bakouma, après le retrait du groupe français Areva.

2 – Le Premier ministre, qui a publiquement mis en cause la probité intellectuelle, l'intégrité morale et l'honneur du Révérend Père Aurélio, devrait présenter des excuses publiques au curé de la paroisse Saint Michel de Bozoum, pour respecter le parallélisme des formes. En effet le R.P Aurélio, qui a révélé cette affaire à la demande de ses paroissiens, n'a fait qu'obéir au devoir de sa charge pastorale. M. Ngrébada devra tirer les conséquences politiques de ce scandale d’Etat.

3 – Le président de l'Assemblée nationale, confronté à l'aveu public du député Jean-Michel Mandaba, bénéficiaire d'une enveloppe financière de 40 millions de francs CFA, devrait prendre des mesures conservatoires à l'égard de ce parlementaire corrompu, en attendant la comparution de ce dernier devant l’autorité judiciaire compétente.

 

I - L'affaire de l'Ouham est un crime d’État.

 

La contamination de la rivière Ouham traduit l'état de déliquescence avancée des autorités politiques centrafricaines. Il a en effet été démontré, par la presse locale, que cette affaire s'appuie sur une large corruption, à travers des pots de vin (l’enveloppe financière versée au président de la Commission ressources et production de l’Assemblée nationale), des menus services (confection des kits de campagne du Mouvement des Cœurs Unis), ainsi que des avantages en nature (construction de deux villas qui seraient mises à la disposition de certains notables, dont le ministre des Mines).

En l’absence de toute stratégie politique de gestion rationnelle des ressources naturelles du pays, l’exploitation du diamant est ainsi le révélateur de l’abaissement moral des élites centrafricaines, poussées par la cupidité et la tentation de l’enrichissement personnel à tout prix (1).

 

L’affaire des diamants de Bozoum n’est que l’aboutissement d’un long processus de désintégration de la société centrafricaine :

-          après la stupide acquisition des bus d’occasion brésiliens par la mairie de Bangui, par l’entremise d’un intermédiaire togolais, c’est toute la gestion du président de la délégation spéciale de Bangui qui est aujourd’hui épinglée, concussion, favoritisme, népotisme et clientélisme, détournements de fonds publics et prévarication sont à l’ordre du jour, au point de susciter l’intervention du ministère de tutelle, celui de l’administration du territoire et de la décentralisation (8 août 2019) ;

-          la municipalité de Bimbo n’est pas en reste, après le vol de congélateurs destinés aux services sociaux de la commune (hôpital, orphelinat, prison pour femmes) et les détournements des taxes de la collectivité territoriale ;

-          à la présidence de la République, des dons de sacs de riz offerts par le Programme alimentaire mondial, ont été détournés de leur destination première pour être livrés aux étudiants de l’université de Bangui, alors que la date de préemption de ces denrées alimentaires était périmée ;

-          au ministère de l’intérieur et de la sécurité publique, c’est l’externalisation auprès d’un mandataire privé de la confection des documents administratifs (carte nationale d’identité, passeport ou permis de conduire) qui fait problème ;

-          au ministère des affaires étrangères, l’attribution massive et frauduleuse de passeports diplomatiques à des personnalités douteuses est devenue une rente juteuse ;

-          au ministère de l’administration du territoire et de la décentralisation, des infirmiers ou instituteurs à la retraite peuvent acquérir les postes de préfet ou de sous-préfet, comme si ces fonctions étaient devenues des charges ministérielles ; etc.

 

La corruption revêt une telle ampleur que les institutions, mises en place dans le cadre de la constitution du 30 mars 2016, sont désormais amenées à avouer leur incompétence ou leur incurie, à l’exemple de la Haute autorité chargée de la bonne gouvernance (HACBG). Elles n’ont ni pouvoir d’injonction ni pouvoir de sanction (2).

L’impunité, c’est la caractéristique principale de l’Etat centrafricain. Sur le terrain, les choses vont de mal en pis. A Bambari, la tension entre les FACA et l’UPC tourne au vinaigre après l’agression mortelle d’un membre du groupe armé par un soldat des forces armées centrafricaines. A Kaga-Bandoro, les braquages sont en recrudescence. A Sarki, commune de la sous-préfecture de Koui, c’est un jeune homme de 18 ans qui est froidement abattu à bout touchant par un milicien du groupe armé les 3R. Au quartier KM5 de Bangui, le ton monte entre les commerçants et les groupuscules d’autodéfense, obligeant les sections civiles et politiques de la Minusca à se substituer aux autorités locales pour négocier un modus vivendi.

 

II – La posture du Singe de Confucius.

 

A ce stade de gangrène généralisée, il sera difficile au président Touadéra de prendre la posture des 3 Singes de la Sagesse confucéenne: « ne rien dire, ne rien voir, ne rien entendre » ! Il ne le peut plus, pour les raisons suivantes :

 

-        Le député Martin Ziguélé, président par ailleurs du MLPC, dans le même temps où il déclare soutenir l'accord de Khartoum et le président Touadéra, nie toute alliance avec le MCU, son partenaire dans la majorité présidentielle ! Cela sent la fin d’un règne.

-        Les groupes armés signataires des accords de Khartoum, mis en cause par le président du MLPC qui conteste à leurs chefs leur appartenance à la nation centrafricaine, sont en pleine recomposition et se disent prêts à la confrontation !

-        Les partisans du président déchu François Bozizé, confortés par l'échec du pouvoir de Bangui, pronostique et prépare dans le cadre du 10ème anniversaire de leur parti, le Kwa Na Kwa (KNK), le retour de leur leader. C'est dans cette perspective que le parti organisera son 3ème Conseil national du 12 au 18 août 2019, à Bangui et Bossangoa.

-        Les acteurs de la société civile et les partis politiques de l’opposition démocratique, réunis au sein de la coalition E Zingo Biani, ont dépêché leur porte-parole un peu partout pour sonner l’hallali du pouvoir.

-        Le mouvement Cœurs unis, le parti du président cornaqué désormais par l’ancien Premier ministre Simplice Sarandji, a déjà lancé sa campagne électorale en créant des postes de délégué du MCU dans toutes les principales capitales d’Afrique et ville de France, sans la honte de la situation misérable des populations civiles centrafricaines et sans la peur du qu’en dira-t-on, lui qui s’est fait verser une rente d’un milliard de francs CFA pour quitter ses fonctions à la Primature !

 

Tous sont sur la ligne de départ des futures élections générales, prévues fin décembre 2020, sans se préoccuper de ce que sera la République centrafricaine dans un an. Il ne leur vient pas à l’esprit qu’ils pourraient hériter de la dépouille d’un pays en lambeaux, et dont l’avenir est désormais hypothéqué, par les dettes publiques accumulées auprès des bailleurs de fonds internationaux d’une part, et la braderie des terres et ressources naturelles de l’ensemble du territoire par baux emphytéotiques d’autre part.

Cette absence de vision prospective laisse entrevoir, comme par le passé, la multiplication des candidatures fantaisistes et éphémères, au lieu de constituer des alliances politiques, sur la base d’un projet de société et d’un programme de gouvernement, susceptibles de rassembler la majorité de peuple centrafricain (3).

Dans ces conditions, la prochaine Commission Justice, Vérité et Réconciliation, prévue par l’accord de Khartoum, sera un leurre de plus ou un échec supplémentaire.

 

Au regard de tous ces éléments, le 13 août 2019, date du 59ème anniversaire de l’indépendance de la République centrafricaine, marquera sans doute un tournant.

 

Il appartiendra au président Touadéra d’en faire un acte rédempteur ou de signifier un acte de décès (4).

 

Paris le 9 août 2019.

 

Prosper INDO

Economiste,

Consultant international.

 

(1)   – L’appel d’Anvers, lancé par le président Touadéra, qui demande aux majors du diamant De Beers et Alrosa d’investir en RCA en échange d’un nouveau code minier plus protecteur et rémunérateur participe de cette stratégie d’enrichissement rapide des élites.

(2)   - La Haute autorité chargée de la bonne gouvernance figure, avec le Conseil national de la médiation, le Haut conseil de la communication, la Haute cour de justice et l’Autorité nationale des élections, parmi les institutions prévues par la Constitution (Titre IX à XIV) appelées à renforcer l’état de droit, la bonne gouvernance et la démocratie en Centrafrique. Ils tiennent l’exécutif et le législatif de leurs rapports annuels, en qualité de destinataires in fine. Le président de la HACBG l’a confirmé lors de son point de presse du 2 août 2019. Il ne lui reste plus qu’à rendre public ces documents, devant l’inaction des pouvoirs publics.

(3)   – La logique ici est simple : on se compte au premier tour (par quartier, tribu, ethnie ou région), et on avise au deuxième tour, en soutenant le plus offrant !

(4)   – « Le pouvoir sans la connaissance, c’est la chienlit ; le pouvoir sans l’action, c’est l’immobilisme ».