La main qui donne est toujours au-dessus de la main qui reçoit.

                                                              (Proverbe africain)

 

 

 

A Bangui, capitale de la République centrafricaine, on nage en pleine confusion. Aux dernières nouvelles, le représentant du Secrétaire général des Nations Unies est le bouc émissaire d'une partie des forces politiques de l'opposition. En particulier, les présidents des partis membres de la coalition de l'opposition démocratique (COD-2020) lui reprochent d'être le partisan d'élections mal engagées. Tirant parti de cette information, leurs thuriféraires sont montés au créneau pour reprocher au chef de la Minusca, qui de l'accuser de vivre sur le dos des Centrafricains, qui de le traiter de corrompu, etc. A leurs habitudes coutumières, les uns et les autres fuient leur propre responsabilité pour rejeter la faute sur autrui. Pourtant, Monsieur Mankeur Ndiaye ne fait que répéter tout haut les exigences de la communauté internationale, telles qu'elles s'expriment au sein du Comité stratégique d'appui au processus électoral (CSAPE). Tout le monde savait, dès le 31 mars 2016, qu'il fallait conduire des élections avant la fin du mandat de l'actuel président en exercice. Pis, en 2014 déjà, le président du Conseil national de transition de l'époque, un certain Ferdinand Nguendet, s'étonnait de l'inexistence d'un fichier électoral en Centrafrique ! Qu'a donc fait l’Autorité nationale des élections depuis ? Le représentant local de l'ONU ne fait que rappeler une évidence : la main qui donne est au-dessus de la main qui reçoit.

 

1 – Vers une modification du code électoral.

Dans l'instant présent, la situation reste suspendue à trois considérations :

-        l'inconséquence et l'incompétence de l'Autorité nationale des élections (ANE) à tenir une programmation rationnelle de ses activités et des échéances électorales (1) ;

-        la déclaration de guerre des groupes armés au peuple centrafricain, lesquels contrôlent depuis trois ans 70 à 80 % du territoire national, et leur propension à la terreur et aux crimes contre l'humanité (2) ;

-        la pusillanimité et l'inertie de l'exécutif, englué dans sa stratégie du « désarmement concerté », mais plus prompt à la jouissance et à la délectation des éléments complémentaires de l'exercice égotique du pouvoir – argent, sexe et culte de la personnalité  (la corruption et la fornication pour parler crûment) - qu'à la conduite des affaires de l’État (3).

 

En convoquant l'assemblée nationale en session extraordinaire, ce 23 septembre 2020, pour discuter de la modification du Code électoral promulgué il y a à peine trois mois, le gouvernement ne fait qu'entériner l'incapacité de l'ANE à tenir la date du 27 septembre 2020 pour la publication de la liste des électeurs autorisés à participer au premier tour des scrutins du 27 décembre 2020. Il y aura donc glissement programmatique. La modification envisagée n'a pas d'autre but que de tenir la date du 27 décembre 2020, quitte à réduire le délai entre la publication de la liste électorale et la convocation du corps électoral. C'est considérer cette échéance comme une date butoir.

Une autre alternative consisterait à faire lecture des dispositions de l'article 36, dernier alinéa, de la Constitution du 30 mars 2016. Il s'agit de prendre la date du 30 mars 2021 comme date butoir afin de remonter le calendrier, en rétro planning. La désignation du nouveau président devrait alors intervenir le 15 février 2021, soit 45 jours avant la fin du mandat de l'actuel président, Faustin Archange Touadéra, durée limite fixée par la loi fondamentale.

Une fois toutes les dates calées, il appartiendra aux forces de la Minusca, comme l'indique le renouvellement de leur mandat, d'appuyer le processus électoral  en assurant la sécurité de tous les candidats et de la campagne électorale, comme s'y sont engagés tous les signataires de l'accord de paix et de réconciliation en Centrafrique de Khartoum.

 

2 – Il faut faire confiance au génie du peuple centrafricain.

C'est à ces conditions qu'on pourra dire si les facilitateurs et médiateurs de la crise centrafricaine ont été à la hauteur de la situation, compte tenu par ailleurs des contraintes liées à la crise sanitaire du coronavirus.

Bien évidemment, la situation sur le terrain commandera aux différents candidats de faire preuve de discernement, de créativité et d'inventivité dans la conduite de leur campagne et pour faire connaître leur programme de gouvernement ou projet de société. La distribution des billets de banque et de colifichets, tels que tee-shirt, casquette voire portable à usage unique, ne sera plus adaptée, ni les grands meetings et autres bains de foule, sauf à soumettre la population au risque du Covid-19. En la circonstance, il faut faire confiance au génie du peuple. Tous les peuples ont l'intelligence des circonstances et des enjeux du moment. Et le peuple centrafricain n'est dépourvu ni de génie ni d'intelligence. Le moment venu, il dira sa vérité. On a tort de sous-estimer sa clairvoyance. Il n'appartient pas à un quarteron d'oligarques, fussent-ils anciens chefs de l’État ou ex-premiers ministres, de se substituer au peuple et à ses représentants élus.

Dans l'immédiat, indépendamment des insuffisances avérées de l'Autorité nationale des élections, rien ne justifie le recours à une transition politique (4). Le mandat de l'actuel locataire du Palais de la Renaissance arrive à terme le 30 mars 2021. Tout doit être mis en œuvre, au regard de la constitution, texte fondateur du code électoral selon la hiérarchie des lois, pour que cette date d'alternance soit tenue.

Dans l'intervalle, l'accord de Khartoum sera devenu caduc !

 

Paris, le 21 septembre 2020

 

Prosper INDO

Économiste,

Consultant international.

 

(1)   – La CEMI, ancêtre de l’actuelle Autorité nationale des élections, a été instauré à la suite de la Conférence nationale de 1990 pour conduire et contrôler les processus électoraux en lieu et place du ministère de l’intérieur. C’est un organe paritaire, comprenant des représentants des partis au gouvernement et des partis de l’opposition ainsi que des associations de la société civile. Or depuis sa mise en place, les résultats électoraux et leurs différentes procédures sont contestables et contestés. C’est donc une institution inutile et budgétivore qui n’apporte aucune plus-value au processus démocratique ; elle doit disparaître. La preuve ? Au moment où ce texte paraît, les agents recenseurs occupent le siège de l’ANE pour réclamer le paiement de leurs primes et per diem. La présidente de l’institution est, elle, en mission en Europe !

(2)   – Les termes de l’article 28 de la Constitution du 30 mars 2016 sont clairs : « L’usurpation de la souveraineté par coup d’Etat, rébellion, mutinerie ou par tout autre procédé non démocratique constitue un crime contre le peuple centrafricain. Toute personne ou tout Etat tiers qui accomplit de tels actes aura déclaré la guerre au peuple centrafricain ».

(3)   – Il revient au gouvernement centrafricain de constituer chaque année les réserves budgétaires nécessaires au financement des élections. Au lieu de cela, l’exécutif n’a rien fait et se contente de faire appel aux dons des partenaires techniques et financiers du pays. C’est ce que vient de concéder la République populaire de Chine en offrant des matériels de vote, des ordinateurs, des portables et des véhicules, pour un montant de 800 millions de francs CFA.

(4)   – A supposer qu’il y ait un accord pour recourir à une transition politique, combien durera-t-elle : 1 an, deux ou trois ans ? Est-on assuré que la situation d’ensemble sera moins chaotique ? Est-on sûr et certain que les leaders politiques qui la réclament iront au gouvernement d’union nationale et accepteront de ne pas être candidats aux échéances suivantes ou bien, comme à l’accoutumé, enverront-ils à la table du Conseil des ministres des hommes de paille, irresponsables et incompétents, qui leur rétrocéderont une part confortable de leurs émoluments ? Où est l’intérêt du peuple dans ce schéma. A la place des leaders politiques, je m’interrogerais sur la lassitude des citoyens, membres de la classe moyenne surtout, qui refusent désormais de s’inscrire sur les listes électorales pour aller voter. Il ne suffit pas de s’offusquer de voir le chef de l’UPC, le sanguinaire Ali Darrassa, s’inscrire sur les listes électorales ; tout le monde sait que les « Libérateurs » qui ont accompagné François Bozizé lors de son insurrection militaire du 15 mars 2003, ont bénéficié de certificats de nationalité de complaisance. Il en a été de même avec les ex-Séléka de Michel Djotodia. Les uns et les autres constituent la « légion étrangère » de l’armée centrafricaine !