La République Centrafricaine à la croisée des chemins.

 

 

Il y a deux ans de cela, je pronostiquai à l’occasion du deuxième tour des élections présidentielles en Centrafrique que nous avions à choisir entre la peste et le choléra. Nous avons choisi le choléra, un moindre mal, pensions-nous. A ce jour, il aura commis beaucoup de dégâts.

 

A une semaine de la réunion des Etats membres du Conseil de sécurité de l’ONU pour étudier les conditions de prorogation ou non du mandat des forces de maintien de la paix en Centrafrique (Minusca), le moment semble propice à une mise en perspective de la situation du pays.

 

I – Il faut lever l'hypothèque russe.

 

Depuis plusieurs mois, les partisans du président Faustin Touadéra nous bassinent avec la bienveillante coopération russe, même si, faut-il le rappeler, les instructeurs militaires russes envoyés à Bangui relèvent d'une société privée.

Cette semaine encore, le Délégué général du mouvement présidentiel Cœurs Unis a réuni une centaine de personnes Place Marabena, dans le 5ème arrondissement de Bangui, pour exhorter le chef de l’Etat centrafricain et son gouvernement à envoyer des représentants officiels aux pourparlers de Khartoum (Soudan).

Leur mot d'ordre était simpliste mais mensonger : « Pendant que les forces étrangères ralentissent délibérément les négociations pour la paix, les Centrafricains lambda sont en train de mourir » !

Certes, il faut critiquer la passivité, voire le retrait des soldats mauritaniens de la Minusca qui ont permis le massacre de 60 personnes, dont deux prêtres, lors de l’attaque perpétrée par les éléments armés de l’UPC contre l’église d’Alindao. Ce désengagement survient, jour pour jour, un an après le même comportement de ce contingent à Kaga-Bandoro face aux milices islamistes du MPC d’El Khatim.

On oublie cependant de préciser que les forces de maintien de la paix, en particulier les Marocains, ont payé un lourd tribut pour protéger les populations civiles (1).

Au lieu de leur rendre justice et témoigner reconnaissance à ces morts, on manipule les hommes et les informations, tels que :

 

-        la réunion du 28 août 2018 à Khartoum, dont les conclusions étaient une amnistie générale et la création d'une fédération – soit une partition déguisée – a volé en éclats dès sa signature ;

-        le chef de l’État soudanais est sous le coup d'une sanction de l'ONU, et que des accords signés sous sa férule ne seraient pas validés par la « communauté internationale », quoi qu'on pense de celle-ci ;

-        la fédération de Russie, qui se donne en exemple à suivre, a obtenu l'autorisation du Conseil de sécurité de l'ONU pour fournir des armes aux forces armées centrafricaines – ce qui a été fait – prétend avoir formé 1 300 soldats, soit une division. Pourquoi ces derniers ne sont-ils pas déployés sur les points chauds du moment ?

-          en faisant le point sur les aides déjà reçu par la RCA, on relève,

 

En somme, l'invocation de l'embargo sur les armes des Nations Unies est un prétexte fallacieux à l'inaction, une excuse irrecevable pour masquer l'incompétence et l'irresponsabilité des autorités publiques centrafricaines. Comme les Français hier, les Russes s'en rendront très vite compte (2).

 

II – Pourquoi l’Église catholique est la cible du gouvernement et des séditieux.

 

Depuis la Conférence épiscopale des évêques centrafricains et la prise de parole du Cardinal Nzapalainga, l'église catholique est la cible conjointe du Premier ministre Simplice Sarandji et du bureau politique du FPRC de Noureddine Adam et Abdoulaye Hissène. Cette convergence n'est pas fortuite.

On se rappelle qu'au début de la rébellion, les troupes armées de la Séléka visaient indistinctement les églises, les mairies et tous les services publics. Cette politique de la terre brûlée a eu deux conséquences inattendues :

 

-        donner naissance aux milices anti-Balaka, à ossature majoritairement chrétienne (3),

-        resserrer les liens entre chrétiens et musulmans au sein d'une plate-forme religieuse pilotée par Monseigneur Nzapalainga, le Pasteur Guérékoyamé et l'Imam Kobina.

 

C'est dans ce contexte que le Pape François a pu se rendre à Bangui et procédé à l’ouverture de la Porte Sainte, faisant souffler sur le pays le calme et l’esprit de concorde. On ne manquera pas de signales les efforts soutenus de la congrégation San Egidio qui aura, par deux fois au moins, réuni à Rome les protagonistes de ce conflit pour une sortie de crise ; sans succès cependant. Ces derniers se comportent toujours en « rentiers du chaos », considérant chaque conférence comme une occasion d’enrichissement personnel.

 

Deux ans après la prestation de serment du Président Touadéra à la tête de la magistrature suprême du pays, l'imam est désavoué par une partie des musulmans sous la pression des islamistes acquis à la cause des groupes insurrectionnels, et le pasteur est réduit au silence, ayant fait allégeance et cause commune avec ses « frères en Christ » méthodistes aujourd'hui au pouvoir.

L'église catholique, seule en première ligne pour porter la bonne parole et la contradiction aux fauteurs de troubles, est devenue la cible privilégiée des uns et des autres.

 

Deux raisons, historique et politique, à cela :

 

-        pendant la conquête coloniale française de l'Oubangui-Chari, entre 1895 et 1911, alors que la Mission Émile Gentil pactisait avec les mahométans, le sultan Senoussi et le mbang Gaourang, l'église catholique était la seule à s'opposer aux esclavagistes, achetant à ces derniers les victimes des razzias pour les rendre à la liberté (4) ;

-        depuis la chute de Michel Djotodia, le chef de l’État autoproclamé de l'ex-alliance Séléka, les paroisses catholiques sont devenues le refuge de tous les déplacés internes ; les chrétiens à Alindao, Bambari, Kaga-Bandoro ou Ippy ; les musulmans à Bangassou, Bataganfo, Bocaranga, Bouca, etc.

 

Dans ce grand bourbier qu'est devenu le Centrafrique, où les élites sont très instruites – elles se parent du titre de docteur en mathématiques, géographie, histoire, droit ou philosophie – mais manquent cruellement d'éducation et de moralité, seule l'église catholique tient encore debout et ne renonce. Voilà pourquoi les sept prêtres tués depuis le début de cette année ont souffert le martyr de leur foi et de leur action courageuse.

 

Entendre le pasteur Sarandji – une autre manière de peler les bellâtres - psalmodier la parole de Jésus, « il faut rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu », pour défendre la laïcité, est aussi incongru et surprenant que lire le communiqué du bureau politique du FPRC invoquer le pardon de leurs victimes, une vertu évangélique qui n'existe pas, à notre connaissance, dans la charia.

 

III – En guise de conclusion.

 

Au lieu de tirer à boulets rouges sur l’épiscopat centrafricain, il est grand temps, pour les autorités au pouvoir, de revenir à la raison en privilégiant le dialogue avec les partis politiques démocratiques et mouvements de la société civile dans le cadre de la feuille de route de l’Union africaine ; de renoncer à la stratégie sectaire et tribaliste du Mouvement cœurs unis et de son Délégué général  qui tiennent à l’écart les compétences multiples du pays ; d’aider enfin les forces de maintien de la paix de l’ONU à se comporter conformément à leur mandat en instituant des réunions quotidiennes entre la Minusca et les forces de sécurité intérieure.

 

Sur le plan des relations extérieures, tenter d’opposer les membres du Conseil de sécurité les uns contre les autres est suicidaire, surtout lorsque ces derniers disposent du droit de véto. Ainsi, la stratégie de dénonciation calomnieuse du partenaire français, pour répondre au pouvoir d’influence du conseiller russe du chef de l’Etat, est contre-productive. En effet, dans un pays de 4,5 millions d’habitants, où 1,3 millions d’enfants sont malnutris, hypothéquant ainsi fortement l’avenir du pays pour les dix années à venir, la sollicitude de nos partenaires techniques et financiers internationaux est indispensable. Sauf à penser que la Russie peut, à elle seule, prendre la relève. Ce n’est pas gagné !

 

 

Paris, le 8 décembre 2018

 

Prosper INDO

Economiste.

 

 

 

(1)   – Ce respect dû aux morts ne dispense pas de critiquer le comportement des soldats du contingent mauritanien lors de l’attaque de la paroisse catholique d’Alindao. La Minusca doit mener une enquête de commandement sur cette affaire et retirer l’ensemble de ce contingent de son dispositif en RCA. On ne comprend pas qu’un pays, la Mauritanie, dont les troupes sont mobilisées dans le cadre du G.5 Sahel au Mali, puisse distraire des soldats pour des opérations extérieures connexes.

(2)   – « A toujours vouloir imiter les autres, hier les Français et aujourd’hui les Russes, autant leur confier le pouvoir ; ils le feront toujours mieux que nous ». A ce sujet, on pourra lire avec profit le dernier ouvrage de Felmine Sarr : « Afrotopia », Editions Philippe Rey, Paris, 2016.

(3)   – Il convient de s’interroger sur l’armement de ces milices, constitué pour partie de vieux tromblons artisanaux, pour partie des armureries des FACA pillées par les 700 soldats déserteurs à la suite du président déchu François Bozizé, et pour une dernière fraction, par les armes privées confisquées par Ange-Félix Patassé en 1993 lorsqu’il fut élu président de la République.

(4)   – C’est ainsi que se créèrent les Villages Liberté. Cf. Victor Bissengué et Prosper Indo : Barthélemy Boganda, Héritage et Vision, Edition L’Harmattan, Paris, 2018.