Le 3ème Conseil national du KNK, un symposium pour rien ? Voire !

 

Le troisième Conseil national du parti politique Kwa na Kwa (KNK) s'est ouvert le 12 août 2019, à la veille du cinquante-neuvième jour anniversaire de la proclamation de l'indépendance de la République centrafricaine. Le congrès du parti de l'ancien président déchu François Bozizé a donné à voir et à entendre une classe politique bête et méchante.

 

1 – François Bozizé n'a pas besoin de passeport diplomatique pour regagner Bangui.

 

La séquence d'ouverture de ce rassemblement militant est digne du scénario du film de Ettore Scola : Affreux, sales et méchants, avec Nino Manfredi en patriarche autoritaire, lubrique et pervers.

- Plan 1, le ministre conseiller spécial du président de la République, ancien membre et ancien ministre de François Bozizé, est venu vanter les mérites de son nouveau patron Faustin Touadéra. Il est hué, conspué, copieusement sifflé et bientôt invité à ne pas terminer son discours.

- Plan 2, le secrétaire général du KNK, récent membre démissionnaire du gouvernement du président Touadéra, prend la parole et houspille son ancien collègue et partenaire assis au premier rang des invités. Il le traite de menteur et traîne dans la boue l'actuel chef de l’État, ancien Premier ministre du désormais ex-président François Bozizé qui l'aurait fabriqué à partir de rien. Ngouandjika ne bronche et Béa enfonce le clou. Il accuse le pouvoir de forfaiture en refusant d'accorder un passeport diplomatique à l'ancien chef de l’État ; ce qui le condamne à un exil inexorable, contraire aux dispositions de l'article 5 de la constitution centrafricaine.

Au passage, et avant le vote des militants, le secrétaire général du KNK livre sa profession de foi. Désormais, le parti fait partie de l'opposition au régime !

- Plan 3, le président du PATRIE, qui fait désormais bande à part après avoir servi trois chefs d’État consécutifs, s'érige en donneur de leçon de morale politique. Comme un ventilateur qui brasse l'air sans l'assainir, il distille sa diagnose nouvelle : « les idées que nous défendons doivent arriver au pouvoir ; les imprécateurs d'aujourd'hui, qui défendent leur pitance, sont les traites de demain ; le président qui sera élu demain ne disposera pas de majorité parlementaire (sic) ; le PATRIE travaillera avec l'ambition de construire une nation forte, avec une armée puissante, de grandes écoles pour former ses élites ; une nation prêchant la paix mais prête à faire la guerre ; une nation qui saura châtier les fauteurs de trouble ; etc. » (1) Des accents guerriers pour fustiger l'immobilisme actuel du pouvoir, mais sans dire par quelle voie et par quels moyens il compte sortir le pays de l'ornière !

 

Bref, un symposium pour rien ? Pas pour tout le monde. Surtout pas pour le grand absent, le président fondateur du KNK, qui se voit décerner à cette occasion l'auréole du martyr.

 

La situation de François Bozizé mérite cependant quelques précisions. Il n'a pas été contraint à l'exil. Le général Bozizé a déserté le 15 mars 2013 en amenant sa garde prétorienne, laissant les populations civiles à la merci des rebelles de l'alliance Séléka de Djotodia et Noureddine Adam.

Le président déchu n'est pas condamné à l'exil. Si l'Onu lui interdit de voyager, urbi et orbi, il peut cependant rentrer dans son pays. Pour cela, il n'a pas besoin de passeport diplomatique. Il lui suffit de demander et d'obtenir un laisser-passer délivré par l'ambassadeur représentant la RCA auprès des autorités ougandaises à Kampala. L'absence de passeport diplomatique est un faux prétexte pour obtenir des garanties extra-judiciaires aux fins d'échapper à la justice (2).

 

2 – Le cœur du problème centrafricain est ailleurs.

 

Comme dans un atome, le cœur du problème centrafricain est dans l'évanescence et la (volatilité) de la classe politique. Il existe trois catégories d'hommes politiques :

 

-        les hommes d’État, ils ont une tête bien faire, un cœur bienveillant et des nerfs solides, capables en toute circonstance de privilégier l'intérêt général ;

-        les politiciens, ils ont de l'estomac et une seule ambition, la propension de leur propre ventre, laquelle est démesurée ;

-        les colleurs d'affiche, les militants, personnalité volontaire mais versatile, taillable et corvéable à merci, qui a du cœur à l'ouvrage mais pas la tête froide.

 

En République centrafricaine, les premiers sont rares, voire unique ou inexistant. Les seconds sont par contre pléthoriques et se déplacent en bancs clupéiformes, comme des poissons d'élevage auxquels ont délivrent des pitances à heure fixe. Les derniers sont peu nombreux mais se saignent aux quatre veines pour rester la tête hors de l'eau, en pure perte.

Le pays ressemble au « monde inverti » de Christopher Priest, avec ses guildes, ses apprentis et ses passagers. Les uns connaissent la destination finale. Les autres s'escriment en diverses engeances pour apprendre le maniement des manettes en attendant, chacun son tour, la disparition de leur maître. Quant aux troisièmes, ils doivent demeurer assis et subir le temps qui passe, inexorablement, et le paysage qui défile, triste plaine. Plus le temps passe, plus les éléments subjectifs prennent le pas sur les éléments objectifs. Quiconque descend du train en marche se transforme tout de suite en monstre et ne peut rattraper le convoi. Il est perdu !

 

Pour sortir d'un tel cauchemar et échapper à un sort si funeste, changer les hommes ne suffit pas, il faut inventer une nouvelle organisation, une nouvelle société et un autre environnement. Le système à créer et à faire naître doit privilégier l'émergence des hommes d’État, forger l'âme des militants et mettre les politiciens au rebut, la place tragique des renégats !

 

Paris, le 14 août 2019

 

Prosper INDO

Économiste,

Consultant international.

 

(1) – Le PATRIE et son président ont siégé dans trois gouvernements sous la transition politique, entre janvier 2013 et Janvier 2015, sans que ces ambitions ne se soient manifestées. Cf. Crépin Mboli-Goumba : La nation centrafricaine et les récifs, Ed. L'Harmattan, Paris, 2018.

(2) – Le 3ème Conseil national du KNK doit se déporter à Bossangoa, dans l'Ouham, bastion de la famille du président déchu, pour clore ses travaux. Il ne serait pas étonnant, à cette occasion, de voir apparaître François Bozizé au milieu de ses thuriféraires, comme dans le mystère de l'Incarnation, qui préfigure et conduit au miracle de l'Assomption de la Vierge Marie. Ce comploteur compulsif, adepte du « coup d’Etat permanent » depuis 1982, n’est pas à sa première entourloupe. L’hypothèse de son retour est une évidence, comme l’atteste la tenue des festivités du 10éme anniversaire de la création du KNK le mois dernier à Corbeil-Essonnes, en banlieue parisienne. L'insistance à réclamer un passeport diplomatique pour l'ex chef de l’État, document totalement inutile, ne serait alors qu'un leurre ! Croisons les doigts.