Le malheur du Peuple
centrafricain
« En notre
temps, la seule querelle qui vaille est celle de l’homme.
C’est l’homme
qu’il s’agit de sauver, de faire vivre et de développer.
»
(Charles de Gaulle)
Souvenons-nous
d’autrefois… et de ce passé pas si lointain !
Les confidences du
Professeur Abel GOUMBA recueillies lors de l’interview qu’il accepta d’accorder
à l’occasion du Colloque de Réconciliation nationale d’octobre 2003 indiquent
qu’il partage avec une majorité –si ce n’est la totalité- de ses compatriotes,
cette conviction que la brutale disparition de Barthélemy Boganda est le premier
et le plus grand malheur du Peuple centrafricain. L’Indépendance arrivait en
République centrafricaine comme le couronnement de son combat. Un combat qui,
généralement, crée la légitimité difficilement contestable du pouvoir de ceux
qui sont appelés « Pères de la Nation », « Présidents fondateurs » et
consacre la légitimité de leur autorité de Guides habilités à conduire la
politique du Pays.
« Le
pouvoir sans légitimité n’existe pas.
C’est la
débandade…
C’est la
légitimité qui fonde le pouvoir.
C’est elle
qui le colore et permet aux citoyens de l’accepter ».
(1)
Stupéfaction et désarroi
dans tout le Pays en ce jour du 29 mars 1959. A un an de la Proclamation de son
Indépendance le Peuple centrafricain est frappé par un grand malheur : le
Président Barthélemy Boganda meurt avec tous les autres passagers dans
l’explosion de l’avion qui le ramène de Berbérati où il est allé hisser le
drapeau de la nouvelle République. La marche vers l’Indépendance est ouverte.
Elle reste semée d’embûches et il n’y a plus de boussole. La brutale disparition
du Guide est ressentie comme un grand malheur.
« Boganda s’était fait remarquer par
une critique systématique et constante de tous les actes de l’Administration à
Paris, au Grand Conseil à Brazzaville… Dans l’Oubangui qu’il parcourait
incessamment, il soulevait les foules avec une éloquence de prophète,
recueillant ou suscitant les plaintes contre les fonctionnaires et les colons,
hurlant à l’exploitation, à l’oppression de ses frères, et les poussant à
rejeter l’une et l’autre. Tout ce qu’il fallait pour être considéré comme un
agitateur dangereux et irrécupérable, ennemi de la présence française. Et
il est vrai que l’hostilité entre Blancs et Noirs avait fini par prendre une
ampleur rarement atteinte ailleurs.
« Africains fermés ou provocateurs, Européens hargneux, le drame était
permanent (il ne se passait pas d’année sans qu’un ou deux Européens fussent
conduits en justice pour coups et blessures), dans les rapports entre patrons et
employés, entre acheteurs et vendeurs, au bistrot ou au restaurant, sur les
champs de coton qu’on entretenait mal et qui ne s’étendait guère, dans les
mines, plantations et exploitations forestières où l’on avait de plus en plus de
mal à recruter une main-d’œuvre rare, intermittente et cabocharde, dans les
moindres rapports administratifs, et, bien entendu, à l’Assemblée nationale.»
(2)
Cette trop longue
citation a voulu donner la parole à l’auteur, un témoin privilégié pour
présenter le climat de guerre plutôt que de paix qui prévalait en
Oubangui-Chari. Barthélemy Boganda y apparaît bien dans ce rôle d’avocat pour
défendre les droits du faible face à l’oppression des forts. Et le sort joue un
bien mauvais coup à l’arracher à tous ceux-là, qui avaient besoin de ces
intercessions qui ont beaucoup agacé–c’est vérifié- et ont conduit à cet
accident d’avion : l’hypothèse est récurrente.
Mais Boganda disparu,
l’idée d’un vide ne me semble pas s’imposer d’emblée. Il avait des
collaborateurs sur lesquels il pouvait compter et a pu compter en effet. Même si
l’élève n’est pas plus grand que son Maître il peut s’être imprégné des leçons
dispensées et des actes posés par le Maître au terme et bénéfice d’un
compagnonnage qui fut, en l’occurrence, long et soutenu.
Barthélemy Boganda
disparu, il n’est pas raisonnable de penser que tout a été perdu. Et c’est,
semble-t-il, ce qu’ont retenu et voulu vérifier les interviewers du Colloque de
la Réconciliation en imaginant entre Boganda, David Dacko et Abel Goumba ce
dialogue d’outre-tombe :
-
David, je t’ai confié la République centrafricaine : qu’en as-tu
fait ?
Le Président David Dacko est resté
silencieux.
Les clichés du Colloque laissent bien
voir qu’il est fatigué et bien malade.
Il s’est retiré et mourra sans avoir
répondu à la question.
-
Abel, je t’ai confié la République centrafricaine : qu’en as-tu
fait ?
Voici la réponse du Professeur Abel
Goumba :
« J’ai été souvent et longtemps en
prison ».
Qu’y comprendre ?
Avec la brutale
disparition de Barthélemy Boganda la perte d’un tel Leader charismatique est un
malheur mais nul n’est irremplaçable. La situation présente n’a pas
nécessairement créé un vide. Le Général De Gaulle aurait ironisé : cette
disparition n’a pas créé un vide, mais un trop-plein. Et ceci ne tarda pas à se
vérifier : le lamentable débat sur la succession ressemble au
« bal des vautours » (1) et
les Centrafricains, à coup sûr, y ont perdu leur bel idéal de vivre comme un
Peuple uni.
Ci-gît, à mon avis, le
malheur qui est tombé sur la Nation à la mort de Boganda.
Très rapidement s’est
ouverte une guerre de succession devenue guerre de légitimité. On oublia, au
passage, d’en référer aux pratiques démocratiques pour la désignation d’un
« Chef » : la belle manière de brouiller définitivement les
cartes et de créer une impasse !
Le Maître eût choisi le
bon disciple pour lui succéder et le problème, surtout en le prenant sous
l’angle de la légitimité, eût été réglé ! Qu’un disciple, de son propre
chef, excipe de son droit de remplacer le Maître ne paraît point acceptable a
priori…
L’impasse est là en
attendant le verdict de la Pythie !
Alexandre n’arrivant pas
à défaire le nœud très compliqué tressé par Gordios, le trancha avec son
épée.
Le Président Dacko comme
Alexandre n’a pas affiché une appétence délirante pour les discussions
interminables et autres consultations compliquées. Il s’est inscrit dans la
succession : sans formalisme exagéré !
Il était assez habile
pour nouer des alliances et renforcer son camp et a pu allègrement vouer tous
ses adversaires aux gémonies.
En créant le parti
unique il s’est donné l’opportunité de les mettre « hors-jeu » en
déclarant illégales toutes velléités de multipartisme. Il les mit
« hors-champ » en offrant la prison ou le chemin de l’exil –intérieur
dans un premier temps- à tous opposants, réfractaires ou récalcitrants.
Le Président Dacko est
ressté fidèle à lui-même ayant juré que le « pouvoir de Boganda »
revenait de droit aux Ngbakas (2).
Ce fut un moindre mal qu’il en fût délogé par Bokassa dans une sorte de
révolution de Palais. Les choses sont revenus dans l’ordre quand la France lui
offrit de « retrouver son bien » en 1969. Mais il a récupéré un
« bien » qu’il perdra à nouveau deux années après en septembre 1981.
Les ambitions de son nouveau Chef d’Etat-major lui ont inspiré de rejouer
l’opération de la Saint-Sylvestre et Dacko fut définitivement
destitué.
Dacko n’était ni
vraiment préparé ni aidé pour la fonction.
La leçon à en
tirer ? Hériter du pouvoir
peut conduire à une impasse. La République ne s’est pas accommodée du
« Régime dynastique » qu’on a voulu mettre en place… Sans interdire
pour autant aux « Héritiers » et « Fils de… » de cultiver le rêve de
relever le défi et de restaurer un jour l’honneur de leurs
Familles.
La République ne s’est
pas accommodée du « Régionalisme » instauré par le Général Kolingba de
1981 à 1993, par le Président Ange-Félix Patassé de 1993 à 2003 et par le
Général Bozizé de 2003 à 2013… Les uns et les autres ont souhaité -ou même
tenté- de se maintenir au pouvoir, - en recourant parfois à la violence et coups
tordus divers-, mais l’occasion qui a été perdue n’est jamais revenue… Sans
décourager le dernier des Mohicans : le Général Bozizé toujours en
lice et en lutte.
La République
s’accommode encore bien moins de l’invasion du Pays par des Mercenaires
lourdement armées ni de cette situation de guerre créée depuis 2013. L’histoire
ici se répète en nous renvoyant aux razzias d’autrefois, qui ont longtemps écumé
l’Oubangui-Chari. La recherche de main-d’œuvre qui avait conduit à la capture d’esclaves et à la traite
négrière n’y est pas d’actualité : en jouant à la marge les expéditions de
Joseph Kony et LRA. L’invasion, ici, s’est largement ouverte aux pillages et
vastes prédations sur toutes les sources de richesses : exploitations de
matières premières : or, diamant et diverses autres pierres précieuses,
gisements de pétrole, exploitations forestières, chasse, braconnages.
Nos Mercenaires et
Groupes armés sont intéressés par cela seul. Ils ont installé la Terreur ;
et s’ils harcèlent le Pouvoir en présentant parfois des demandes irréalistes
comme la partition du Pays pour qu’ils aient leur Territoire spécifique, ils ne
sont nullement préoccupés ni intéressés d’entrer dans un Gouvernement.
Ceci n’a pas
empêché qu’on leur propose des postes et responsabilités ministériels
qu’ils acceptent pour la forme parfois, mais qu’ils n’occupent jamais
longtemps.
La brutale disparition
de Barthélemy Boganda a conduit enfin à ce malheur, - le dernier sur ma liste et
non le moindre - : tous les cafouillages pour régler une succession ont
constitué une lamentable diversion au regard de l’essentiel en politique :
la vigilance et la mobilisation de toute la Nation face aux menaces et défis
divers d’un univers que nous savons hostile.
Souvenons-nous d’hier et
de ce plan de développement pour un territoire d’Oubangui-Chari qui à
l’affichage des géopolitiques, n’était qu’une friche : une terre vierge et
non cultivée même si paradoxalement on a découvert et admis qu’il y avait une
présence humaine et que des hommes et des femmes y vivaient. De cueillette
plutôt que de culture : concédons-le.
La colonisation est
venue et est censée avoir introduit culture et civilisation dans cette
terre vierge. L’impact de cette intervention est nul ou très peu lisible. Il
faut admettre qu’elle fut confiée à des Compagnies concessionnaires dont la
réputation constante est qu’elles sont sans grands moyens. Elles ont toujours
présenté, en proportion, des performances plutôt insignifiantes. Leur champ
d’opération, l’Oubangui-Chari, porte bien le nom par lequel il est désigné : la
« Cendrillon de l’Empire »
(4)
Je dis de ce plan de
développement qu’il est « cahotique » - préférant ce mot et
cette orthographe à « chaotique ». Allant de
« friche » à « jachère » il est un mouvement immobile en
somme. L’adjectif « cahotique » retient que ce mouvement est
précisément un saut qui ramène au point de départ.
« Friche » et « Jachère » ne se distinguant point finissent
par devenir des synonymes et nous retrouvons « chaotique » et le
« chaos » : le résultat nul de notre plan de
développement.
Je ne pense pas avoir
grossi à plaisir les traits. A
l’Indépendance il nous a été remis une « terre vierge ». Tout est et
reste à faire ! L’Indépendance a sonné le réveil pour écrire une histoire
nouvelle : qui nous appartienne et nous ressemble comme réponse à nos
attentes spécifiques.
Où en
sommes-nous ?
Nos dirigeants sont
frappés d’un autisme profond. Ils ne les voient pas passer et manqueront
toujours tous les trains qui emportent les Peuples –jusqu’à nos voisins les plus
proches- vers le Progrès, la Prospérité et le Bonheur.
Nous en sommes encore et
toujours aux combats et débats d’autrefois :
Guerres de succession ou
guerre de sécession.
Combats de Gueux autour
de resucées
Ils n’ont de voix que
pour crier famine et lancer des appels aux aides
internationales.
Ils ont désappris à
créer et à produire.
Du reste ils n’en ont
plus le loisir ni, plus assurément, la force !
Et quand tout semble
fini, c’est alors, chaque fois, que ça recommence
Au rythme du
« mythe de l’éternel retour » (5) quand on nous apprend que
« l’histoire ne repasse pas les mêmes plats ».
Il y a quelque temps
(6) j’ai souhaité et espéré
voir ceux qui aspiraient à nous gouverner se laisser inspirer par tous ou
quelques-uns des objectifs proposés pour le Millénaire.
Et, comme Sœur Anne, je
n’ai rien vu venir !
B.
MANDEKOUZOU-MONDJO
01/03/2021
2. Jean-Bedel Bokassa expliquant son coup de force de la saint
Sylvestre a dit qu’il a voulu éviter que l’échec de Dacko fasse tomber le
Pouvoir dans des mains étrangères. C’était le Commandant Izamo qui avait été
pressenti pour remplacer le Président Dacko.
Dacko en 1969 a accepté de remplacer Bokassa pour éviter un
massacre programmé des Ngbakas.
3. Louis Sanmarco : Le Colonisateur colonisé, Edit. Pierre
Marcel FAVRE, 1983. pp 136-137.
4. Jean-Joël Brégeon. Un Rêve d’Afrique. Administrateurs en
Oubangui-Chari la Cendrillon de l’Empire
5. Mircea Eliade : Le Mythe de l’éternel retour
(1969)
6.
Des
Objectifs du Millénaire
ü
Combattre
l’extrême pauvreté et la faim
ü
Rendre
l’enseignement primaire accessible à tous
ü
Promouvoir
l’égalité des genres et l’autonomisation des
femmes
ü
Réduire
de 2/3 la mortalité des enfants de moins de 5
ans
ü
Améliorer
de ¾ la santé maternelle
ü
Combattre
le VIH/SIDA, le paludisme et d’autres
maladies
ü
Assurer
un environnement durable
ü
Mettre en place un partenariat mondial pour le
développement…